Revue d'Evidence-Based Medicine
Le Ginkgo biloba peut-il améliorer la mémoire?
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 6 Page 98 - 99
Professions de santé
Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.
Résumé
Bon nombre de traitements, dont le ginkgo biloba, sont vendus dans les pharmacies comme produits de comptoir pour leur efficacité sur les capacités de mémoire, d’attention, et d’autres fonctions cognitives. Cette indication n’est pourtant pas étayée par des études bien menées. Ainsi chez des patients déments aux troubles cognitifs cliniquement évidents, malgré quelques résultats positifs 1, l’intérêt du ginkgo biloba reste à prouver 2.
Pour évaluer l’efficacité du ginkgo biloba chez des patients en bon état général et aux capacités cognitives cliniquement intactes, une RCT en double aveugle a été menée entre juillet 1996 et septembre 1998. Quatre vingt dix huit hommes et 132 femmes, vivant à leur domicile, âgés de plus de 60 ans, dont le score au Mini-Mental State Examination (MMSE est un instrument de dépistage de la démence qui prend principalement en compte les fonctions cognitives. Le MMSE évalue les items suivants : orientation dans le temps et l’espace, mémorisation et reproduction de 3 mots, attention (par exemple, épeler le mot « monde » ou l’isoler 7 fois parmi 100 mots), langage (nommer des objets, construire une phrase, accomplir une tache, écrire une phrase), et praxie constructive (faire un dessin). Le score peut varier de 0 à 30 points.">MMSE) était supérieur à 26, et généralement en bonne santé, ont été sélectionnés. Tous les participants déclaraient être indépendants pour les activités quotidiennes, dont les courses, les déplacements et la gestion de leurs finances. Tous avaient également un compagnon avec qui ils avaient des contacts réguliers (> 4 fois par semaine ≥1h) et qui acceptait de remplir également un questionnaire.
Étaient exclus de l’étude les patients avec un antécédent psychiatrique ou neurologique, ou ayant pris un antidépresseur ou une substance psychoactive dans les 60 derniers jours. Les patients recevaient soit 40 mg de ginkgo biloba soit un placebo 3 fois par jour, pendant une période de 6 semaines. Les critères de jugement primaires consistaient en une série de tests neuropsychologiques standardisés et validés relatifs à l’apprentissage verbal et non verbal, à la mémoire, à l’attention et à la concentration, en des tests d’association de langage, en un questionnaire d’auto-évaluation de la mémoire, ainsi qu’en un test global d’évaluation d’évolution soumis au compagnon. Quatre vingt huit pour cent des participants terminèrent le protocole. Les résultats, calculés en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter, montrent que le groupe prenant du ginkgo ne présente aucune différence significative quel que soit le critère analysé, tant en ce qui concerne les tests neuropsychologiques standardisés qu’en ce qui concerne les différentes évaluations, personnelle ou par le compagnon. Les auteurs concluent que, pour les adultes dont les fonctions cognitives sont bonnes, le ginkgo ne procure aucun bénéfice mesurable relatif à la mémoire ou aux processus cognitifs associés.
Discussion
La vente en pharmacie de produits de comptoir est en constante augmentation, dans des indications souvent discutables, sous-tendues par des études peu rigoureuses. Le ginkgo est un de ces produits, qui vise à l’amélioration des capacités cognitives, essentiellement la mémoire, même chez des patients objectivement “normaux”. Quelques études de faible consistance (cohortes de très petite taille, critères de jugement primaires cliniquement peu pertinents, durée de traitement très courte) tentent d’étayer cette habitude et arrivent à des conclusions contradictoires : effet présent 1,3 ou absent 4.
Il s’agit par contre ici d’une RCT bien menée, comparant des cohortes importantes, prenant le produit supposé actif ou le placebo pendant une durée assez longue, et utilisant de nombreux tests adaptés approchant la même variable clinique pertinente, à savoir les capacités cognitives, par des indicateurs différents.
Déjà le taux très élevé de participants enrôlés dans le groupe ginkgo terminant l’étude (111/118), quasi identique à celui du groupe contrôle (108/117), peut suggérer que le ginkgo est un placebo lui aussi. La majorité des patients arrêtant l’étude le font pour manque de compliance (7 pour le ginkgo et 9 pour le placebo). Aucun effet secondaire n’a été observé dans cette étude, constatation improbable vu l’effet nocebo de tout placebo. Et effectivement, les effets secondaires n’ont pas été systématiquement relevés. Cette attitude est justifiée, selon les auteurs, par le fait que le ginkgo est reconnu pour sa grande sécurité, mais est discutable d’un point de vue méthodologique.
Quel est alors le réel intérêt de cette étude si la question posée est vraiment l’objectivation de l’effet bénéfique du ginkgo biloba sur la mémoire, dans une population saine, physiquement et mentalement ? N’aurait-il pas été plus pertinent de poser une question différente et d’un intérêt clinique plus évident : le ginkgo biloba prévient- il les pertes de mémoire chez des personnes âgées saines physiquement et mentalement ? Mais cette étude nécessiterait une évaluation prospective beaucoup plus longue pour pouvoir mettre en évidence une différence sur le critère « cognition ».
Il semble plutôt que les auteurs ont voulu dénoncer les publicités mensongères pour un produit dont les ventes sont fort importantes dans les magasins d’alimentation naturelle tels qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, ou dans les pharmacies de pays tels que l’Allemagne qui reconnaissent le produit comme médicament (plus de 5 millions d’ordonnances en 1998) 5 . Dans cette mesure, les auteurs ont apporté une contribution modeste, même si les extraits utilisés n’ont sans doute pas été assez standardisés pour se conformer aux recommandations des producteurs quant à l’utilisation de l’extrait EGb 761 2.
Enfin, il est à noter que la plupart des études disponibles concernant le ginkgo biloba évaluent l’efficacité et la sécurité de la molécule comme traitement pour des patients atteints de démence ou avec un déclin des fonctions cognitives. Mais récemment, Birks et al.15 concluaient qu’une grande étude, bien menée méthodologiquement, et permettant l’analyse des résultats en intention de traiter, était nécessaire pour conclure à l’efficacité du ginkgo dans de telles conditions, les résultats actuellement disponibles n’étant pas assez probants, ni cliniquement ni méthodologiquement.
Conflits d’intérêt/financement
Cette étude a été soutenue financièrement par le « National Institute on Aging », le « Howards Hugues Medical Foundation », et l’« Essel Foundation ». Pas de conflit d’intérêt mentionné.
Conclusion
Cette étude, bien menée méthodologiquement, permet de conclure qu’il n’y a pas lieu de prescrire du ginkgo biloba à la dose de 120 mg/j pendant 6 semaines pour augmenter la mémoire ou les facultés d’autres processus cognitifs associés chez des patients de plus de 60 ans en bonne santé et dont les fonctions cognitives sont bonnes. Aucun résultat significatif n’est relevé, que ce soit du point de vue du praticien, du patient ou de son entourage.
Références
- Le Bars PL, Katz MM, Berman N, et al. A placebo-controlled, double-blind, randomized trial of an extract of Ginkgo biloba for dementia. JAMA 1997;278:1327-32.
- Birks J, Grimley E J, Van Dongen M. Ginkgo biloba for cognitive impairment and dementia (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
- Polich, J, Gloria, R. Cognitive effects of a Ginkgo biloba/vinpocetine compound in normal adults: Systematic assessment of perception, attention and memory. Hum Psychopharmacol Clin Exp 2001;16:409.
- Moulton PL, Boyko LN, Fitzpatrick JL, Petros TV. The effect of Ginkgo biloba on memory in healthy male volunteers. Physiol Behav 2001;73:659-65.
- Winslow LC, Kroll DJ. Herbs as medicines. Arch Intern Med 1998;158:2192-9.
Noms de marque
Ginkgo biloba extrait : Memfit ® , Tavonin ®
Auteurs
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
Roland M.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :
Code
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