Analyse


Réconciliation et revue du traitement médicamenteux : quel impact clinique ?


18 11 2015

Professions de santé

Analyse de
Lehnbom EC, Stewart MJ, Manias E, Westbrook JI. Impact of medication reconciliation and review on clinical outcomes. Ann Pharmacother 2014;48:1298-312.


Conclusion
Cette synthèse méthodique incluant des études de faibles qualités méthodologiques ne montre pas d’avantages cliniques pertinents pour les patients de la réconciliation et de la revue médicamenteuses. Elle n’apporte aucun élément permettant de savoir dans quel milieu de soins sa mise en pratique serait le plus propice. Il nous faudra attendre une RCT correcte d’un point de vue méthodologique, dont les résultats seront extrapolables à notre système de soins de santé, pour pouvoir tirer des conclusions adaptées.


 

Dans plusieurs publications antérieures, Minerva a analysé des processus d’optimalisation des traitements médicamenteux : réduction du nombre d’erreurs médicamenteuses grâce à l'accompagnement par un pharmacien (1,2), optimalisation des prises en charge thérapeutiques (3-8) ou encore, impact d’une meilleure collaboration entre pharmaciens et médecins généralistes via la revue médicamenteuse (9,10).

D’autres procédures apparaissent également comme pouvant apporter une amélioration de la prise en charge médicamenteuse des patients. La réconciliation médicamenteuse en est une : il s’agit d’un processus de comparaison de listes de médicaments après une transition d’un milieu de soins à un autre. Si elle permet d’identifier une proportion élevée de divergences et d’en réduire les dommages potentiels, son impact clinique réel mérite d’être étudié. De même, la revue médicamenteuse, processus d’évaluation du traitement médicamenteux, détecte les problèmes médicamenteux (interactions, prise inadéquate des médicaments, etcetera) mais les preuves de son efficacité clinique restent également à démontrer. En outre, la plupart des synthèses méthodiques publiées jusqu’à présent se limitaient à un milieu de soins particulier.

La synthèse méthodique de Lehnborn et al. (11), publiée en 2014, tente d’évaluer l’impact clinique de la réconciliation médicamenteuse et de la revue médicamenteuse à partir d’études menées tant en milieu hospitalier, que dans la communauté ou en MRS/ MR.

Réconciliation médicamenteuse

Lors de la réconciliation, la proportion de patients avec au moins une divergence identifiée varie considérablement d’une étude à l’autre, allant de 3,4% à 98,2% des patients, dues principalement aux omissions, et dans une moindre mesure aux ajouts, à la réintroduction de médicaments arrêtés, aux changements de posologie et à des facteurs liés au patient tels que le manque d’adhérence au traitement détectée par entretien structuré, ou aux sources d’informations conflictuelles (différence entre le dossier médical et la liste des médicaments rédigée par le patient par exemple), etc. Des critères d’évaluation importants tels que le taux de réadmission à l’hôpital, le nombre de visites aux urgences, la durée d’hospitalisation, le nombre de consultations chez le médecin généraliste ou la mortalité ne sont répertoriés que dans une minorité des études. Les résultats disponibles sont mitigés : peu ou pas concluants, voire contradictoires. Si bien que l’impact clinique de la réconciliation médicamenteuse n’est à nouveau pas clairement démontré.

Revue médicamenteuse

Quant à la revue médicamenteuse, le pourcentage de patients avec des problèmes liés aux médicaments varie fortement (de 17,2% à 94%). Les critères d’évaluation sont peu homogènes (“ réadmission ” ou “ réadmission liée au traitement médicamenteux ”, mortalité, durée de séjour, nombre de chutes, troubles de l’humeur…), les résultats peu concluants et même parfois surprenants : en communauté, une étude (sur 12) trouve un taux de (ré) admission à l’hôpital plus important après une revue médicamenteuse. Les auteurs de cette étude avancent quelques explications, telles que l’attention accrue du patient pour des problèmes liés à ses médicaments ou encore, sa confusion ou une plus forte dépendance aux prestataires de soins.

Les études incluses sont de qualité très inégale et leurs méthodologies varient fortement. Certaines n’ont pas de groupe contrôle, d’autres, des comparateurs mal établis, les soins usuels (« usual care ») ne se laissant pas réduire à l’absence d’intervention (ni réconciliation ni revue). Les patients inclus, les médicaments concernés, les connaissances des évaluateurs (pharmaciens, infirmiers,….) et leur manière de procéder varient. Les échantillons sont souvent de trop faible taille pour étudier correctement des effets cliniques, qui sont rares. Les données statistiques manquent souvent (pas d’IC ni de valeur p). De nombreux facteurs confondants potentiels influent sur la morbidité ou la mortalité, mais aussi sur la durée de séjour et le nombre de réadmissions. La plupart des données à ce jour portent sur le milieu hospitalier, sans comparaison directe avec les autres milieux de soins. De fait, cette synthèse méthodique en reste à une vision cloisonnée des soins, les possibilités de développer des pistes d’analyse traversant les différents milieux de soins et conduites à plus long terme faisant encore défaut. Toutes les insuffisances méthodologiques des études incluses font que les résultats de cette synthèse méthodique ne peuvent apporter de réponses claires. Enfin, se pencher sur cette problématique soulève d’autres questions, comme le présente l’éditorial de ce numéro (12).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique incluant des études de faibles qualités méthodologiques ne montre pas d’avantages cliniques pertinents pour les patients de la réconciliation et de la revue médicamenteuses. Elle n’apporte aucun élément permettant de savoir dans quel milieu de soins sa mise en pratique serait le plus propice. Il nous faudra attendre une RCT correcte d’un point de vue méthodologique, dont les résultats seront extrapolables à notre système de soins de santé, pour pouvoir tirer des conclusions adaptées.

 

Références 

  1. Laekeman G. Diminution des erreurs médicamenteuses grâce aux pharmaciens. MinervaF 2013;12(4):43-4.
  2. Avery AJ, Rodgers S, Cantrill JA, et al. A pharmacist-led information technology intervention for medication errors (PINCER): a multicentre, cluster randomised, controlled trial and cost-effectiveness analysis. Lancet 2012;379:1310-9.
  3. Laekeman G, De Cort P. Le pharmacien et les soins dispensés au patient. [Editorial] MinervaF 2007;6(2):17.
  4. Zillich AJ, Sutherland JM, Kumbera PA, Carter BL. Hypertension outcomes through blood pressure monitoring and evaluation by pharmacists (HOME study). J Gen Intern Med 2005;20:1091-6.
  5. De Cort P, De Jonghe M, Laekeman G. Hypertension : les pharmaciens dans l’engrenage thérapeutique. [Editorial] MinervaF 2010;9(1):1.
  6. Green BB, Cook AJ, Ralston JD, et al. Effectiveness of home blood pressure monitoring, Web communication, and pharmacist care on hypertension control: a randomized controlled trial. JAMA 2008;299:2857-67.
  7. Chevalier P, Laekeman G. Modification de comportement du patient : impact du médecin généraliste et du pharmacien. [Editorial] MinervaF 2012;11(3):27.
  8. Falk M, Magnusson H. Sun protection advice mediated by the general practitioner: an effective way to achieve long-term change of behaviour and attitudes related to sun exposure? Scand J Prim Health Care 2011;29:135-43.
  9. Spinewine A. Collaboration pharmaciens-médecins généralistes: impact sur la santé du patient? MinervaF 2012;11(6):73-4.
  10. Geurts MM, Talsma J, Brouwers JR, de Gier JJ. Medication review and reconciliation with cooperation between pharmacist and general practitioner and the benefit for the patient: a systematic review. Br J Clin Pharmacol 2012;74:16-33.
  11. Lehnbom EC, Stewart MJ, Manias E, Westbrook JI. Impact of medication reconciliation and review on clinical outcomes. Ann Pharmacother 2014;48:1298-312.
  12. De Monie C. Réconciliation et revue médicamenteuses : poudre magique ou poil-à-gratter ? [Editorial] MinervaF;14(9):104.

 

 


Auteurs

De Monie C.
pharmacienne hospitalière
COI :

Somers A.
pharmacienne hospitalière
COI :

Glossaire

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