Analyse
Intérêt de l’autocontrôle et de l’autogestion de l’INR ?
Les anticoagulants classiques, antagonistes de la vitamine K, imposent un contrôle régulier de l’état d’anticoagulation au moyen du test INR. Nous avons précédemment présenté, dans la revue Minerva, les résultats d’une synthèse méthodique des études évaluant de manière comparative différents modes de gestion de l’anticoagulation par AVK au long cours (1,2) : surveillance et modification du traitement par le médecin traitant, centres de première ligne d’anticoagulation, autocontrôle (autotest, alias PST pour « patient self-testing ») et/ou autogestion (autotest + auto-adaptation du traitement, alias PSM pour « patient self-management »). Nous avons fait mention, dans nos commentaires, d’une synthèse de 11 études randomisées (3) montrant l’intérêt de l’autocontrôle et de l’autogestion versus autres contrôles avec réduction significative des évènements thromboemboliques sans différence significative ni pour les hémorragies majeures ni pour les décès. Ce même groupe d’auteurs avait souligné (4) que, dans les RCTs, seuls 38% des patients potentiels acceptaient de participer à une étude évaluant l’automesure et que seuls 78% la pratiquait jusqu’à la fin de l’étude. La faisabilité de la recommandation contenue dans certains GPC de favoriser l’autogestion d’un traitement chronique par AVK (5) restait donc une question.
Une étude de cohorte prospective évaluant au Royaume Uni l’intérêt de l’autogestion a été publiée en 2015 (6). Elle a inclus les patients qui avaient acheté récemment un premier dispositif de mesure (51,2%) ou remplacé un ancien par celui-ci (dispositif d’une seule firme ayant 99,9% du marché). Il s’agit donc d’une population relativement sélectionnée. Le dispositif était fourni avec un livret et un DVD, l’un des 2 étant consulté par 93% des participants. Seuls 46% d’entre eux avaient reçu (en plus) une formation individuelle pour l’emploi du dispositif. 90,2% des sujets pratiquaient toujours l’autogestion à 12 mois et seuls 2% avaient présenté un effet indésirable sévère. Ils communiquaient tous les 3 mois leurs résultats d’INR automesurés. Le % de TTR (Time in Therapeutic Range, soit l’atteinte d’un chiffre d’INR compris dans la fourchette cible) médian a été de 78,5% (intervalle interquartile ou IQR 64,9 - 88,5) et moyen de 75,3% (DS 16,9) ce qui est plus élevé que dans la majorité des précédentes publications. 47,5% des sujets ont présenté un TTR dans > 80% de leurs mesures. Les facteurs liés à un TTR > 80% étaient un état de bien-être général jugé meilleur, un âge plus avancé, des valeurs cibles d’INR plus basses.
Cette étude montre la faisabilité de l’autogestion… dans une population qui a pu acheter le dispositif et comportant plus de 50% d’universitaires.
Un rapport du KCE publié en 2009 (7) concluait que l’autogestion est un premier choix en raison non seulement des résultats cliniques (réduction des accidents thromboemboliques et de la mortalité toutes causes confondues) mais aussi du point de vue du payeur des soins de santé, cette stratégie étant moins onéreuse que la pratique courante. Les auteurs soulignaient aussi que cette stratégie n’est réalisable que par une faible proportion de patients.
Une nouvelle synthèse méthodique avec évaluation économique pour le Royaume-Uni a été publiée en 2015 (8). Les auteurs ont inclus 26 RCTs dans leurs méta-analyses dont 20 évaluant l’autogestion (avec autocontrôle au moyen de différents dispositifs) et 6 RCTs évaluant l’autocontrôle. Ils notent une hétérogénéité clinique mais aussi statistique (test I² à 82,4% pour le TTR par exemple) importante entre les études. Ils calculent que l’autogestion diminue de 2,5% sur 10 ans le nombre de sujets présentant un évènement thromboembolique tout en augmentant le risque d’une hémorragie majeure de 1,2%, ce qui rend cette autogestion très intéressante au niveau coût/efficacité. Il n’en est pas de même pour le seul autocontrôle.
Conclusion
Cette étude prospective réalisée dans une population en majorité à haut niveau d’éducation montre l’intérêt d’une autogestion d’un traitement au long cours par AVK, autogestion qui se montre par ailleurs coût/efficace dans une synthèse récente de la littérature. Il reste à évaluer la faisabilité (y compris financière) de cette technique pour chaque patient individuel et, plus globalement, dans un contexte d’invasion par les Nouveaux Anticoagulants Oraux, tous à des prix très conséquents versus AVK.
Références
- Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health. Optimal warfarin management for the prevention of thromboembolic events in patients with atrial fibrillation: a systematic review of the clinical evidence. CADTH Optimal Use Reports November 2011, volume 1, Issue 2a.
- Chevalier P. Suivi d’un traitement anticoagulant. MinervaF 2012;11(3);34-5.
- Heneghan C, Ward A, Perera R, et al. Self-monitoring of oral anticoagulation: systematic review and meta-analysis of individual patient data. Lancet 2012;379:322-34.
- Heneghan C, Perera R, Ward AA, et al. Assessing differential attrition in clinical trials: self-monitoring of oral anticoagulation and type II diabetes. BMC Med Res Methodol 2007;7:18.
- National Institute of Health and Care Excellence. Atrial fibrillation and heart valve disease: self monitoring coagulation status using point of care coagulometers (the CoaguChek XS system and the INRatio2 PT/INR monitor). NICE diagnostics guidance [DG14]. 2014.
- Ward A, Tompson A, Fitzmaurice D, et al. Cohort study of Anticoagulation Self-Monitoring (CASM): a prospective study of its effectiveness in the community. Br J Gen Pract 2015;65:e428-37.
- Gailly J, Gerkens S, Van Den Bruel A, et al. Utilisation des coagulomètres portables chez les patients sous anticoagulants oraux: Health technology Assesment. Health Technology Assessment (HTA). Bruxelles : Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2009. KCE Reports 117B. D/2009/10.273/48.
- Sharma P, Scotland G, Cruickshank M, et al. Is self-monitoring an effective option for people receiving long-term vitamin K antagonist therapy? A systematic review and economic evaluation. BMJ Open 2015;5:e007758.
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