Analyse


Coût-efficacité des anticoagulants oraux pour la TEV (prévention primaire et secondaire, traitement) et la FA (prévention de l’AVC) : une analyse britannique versus données belges (pour la FA)


01 06 2018

Professions de santé

Pharmacien
Analyse de
Sterne JA, Bodalia PN, Bryden PA, et al. Oral anticoagulants for primary prevention, treatment and secondary prevention of venous thromboembolic disease, and for prevention of stroke in atrial fibrillation: systematic review, network meta-analysis and cost-effectiveness analysis. Health Technol Assess 2017;21:1-386. DOI: 10.3310/hta21090


Conclusion
Une analyse de coût-efficacité d’une classe de médicaments ou d’un médicament est valide pour un contexte particulier. L’analyse de cette publication britannique en Health Technology Assessment des anticoagulants oraux (AODs versus AVK) illustre bien, au-delà des limites propres de cette analyse basée sur une méta-analyse en réseau ne comportant aucune comparaison directe entre AODs, les difficultés d’en tirer des conclusions pratiques valides pour la Belgique.



Les anticoagulants oraux actuellement disponibles en Belgique sont soit les antagonistes de la vitamine K (AVK) dont le médicament le mieux évalué est la warfarine et les anticoagulants oraux directs (AODs) (alias NACOs pour nouveaux anticoagulants oraux) : apixaban, dabigatran, édoxaban et rivaroxaban.

Les AVK comme les AODs ont comme indications principales la prévention thromboembolique dans la fibrillation auriculaire (FA) chez les personnes à risque (détermination du score CHADS2 ou CHA2DS2-VASc *), la prévention primaire (uniquement la chirurgie orthopédique majeure pour les AODs, sauf l’édoxaban), le traitement et la prévention secondaire de la thrombose veineuse profonde (TVP) et de l’embolie pulmonaire (EP).

Les études comparant un AOD à la warfarine dans ces différentes indications ont été analysées dans la revue Minerva (1). Il s’agit d’études de non infériorité, avec les limites liées à ce type d’études (2-4), études effectuées dans des populations parfois différentes pour la même indication. Il n’y a pas de publication d’études comparant directement des AODs entre eux. Les comparaisons entre les différents AODs sont donc indirectes avec toutes les limites liées à ce type de comparaison.

Il faut tenir compte de toutes ces limites quand il s’agit d’interpréter les résultats d’analyses pharmaco-économiques, en Health Technology Assessment.

Le National Institute for Health britannique a publié en 2017 (5) une évaluation de ce type quant à l’intérêt relatif des AVK et AODs pour la FA et la TEV. Les auteurs concluent à une plus-value des AODs (apixaban en premier lieu, puis l’édoxaban) en cas de FA et à l’absence de preuve solide d’un intérêt des AODs versus warfarine ou HBPM pour la prévention primaire, le traitement et particulièrement la prévention secondaire des TEV.

Pouvons-nous en tirer des conclusions pour la Belgique ?

 

Oui

  • Nous pouvons conclure que le rapport coût-efficacité des AODs versus warfarine est différent selon l’indication (prévention thromboembolique dans la FA chez les personnes à risque, prévention primaire, traitement et prévention secondaire de la TEV).

 

Non

  • Le coût des traitements par anticoagulants oraux (médicaments et surveillance) est différent entre la Grande Bretagne et la Belgique. En Belgique, la situation est d’autant plus complexe que les AODs sont remboursés dans le cadre d’un article 81, disposition légale pour un remboursement d’un (nouveau) médicament, devant  permettre l’accès à un médicament innovant malgré la présence de certaines incertitudes concernant celui-ci, incertitudes à lever durant la durée de l’accord, avec négociation pour un remboursement par la firme d’un certain pourcentage des sommes perçues en fonction de paliers fixés par contrat, sans réduction du prix public. Les données de ces conventions article 81 doivent rester confidentielles selon la loi. Il est donc impossible de connaitre le coût réel pour la sécurité sociale des médicaments protégés par une telle convention. Le KCE, qui n’a pu avoir accès à ces conventions, a publié un rapport fort intéressant sur ce sujet : « Pistes pour améliorer le système belge de conventions Article 81 » (6)
  • Affirmer qu’un AOD présente un meilleur rapport coût-efficacité qu’un autre versus warfarine est aléatoire sans comparaison directe, d’autant plus que les populations d’étude pour une même indication ne sont pas strictement similaires. Une méta-analyse en réseau, comme celle qui est pratiquée par les auteurs de cette publication, est toujours d’interprétation fort délicate (7), d’autant plus que, dans ce cas-ci, il n’y a aucune comparaison directe entre les AODs.
  • Donner un rapport coût-efficacité global dans une indication aveugle le clinicien plus qu’il ne l’éclaire. Le clinicien doit tenir compte du risque initial du patient avant toute décision. Dans son rapport Health Technology Assessment de 2016 (8), le KCE résume bien cette analyse nécessaire : « chez les personnes en FA dont le score CHA2DS2-VASc est de zéro, le risque d’AVC causé par la FA est plus bas que celui d’hémorragie lié au traitement anticoagulant et il ne faut donc pas en prescrire. Pour les personnes qui ont un score de 1 (hommes) ou 2 (femmes), les recommandations internationales laissent planer un certain flou. Les experts du KCE ont ré-analysé les chiffres des études scientifiques et ils observent que, chez ces patients, le risque d’AVC que l’on cherche à éviter est à peu près équivalent au risque d’hémorragie dû aux anticoagulants. Leur conclusion est donc que ces personnes ne devraient généralement pas recevoir d’anticoagulants, car on ne peut se permettre de les exposer au risque d’hémorragie cérébrale alors que leur risque de thrombose est faible. »
  • Ce type d’évaluation n’éclaire pas le praticien quant à une question fréquente : faut-il passer d’un traitement par AVK à un traitement par AOD ? Nous avons publié une analyse du GRADE Working Group (9) à ce propos dans la revue Minerva (10). En se basant sur la littérature de médecine factuelle, ces auteurs font une recommandation conditionnelle en faveur du passage de la warfarine au dabigatran chez des sujets avec FA et risque modéré à élevé d’AVC uniquement en cas d’une absence de bon contrôle malgré une bonne observance, le rapport coût/efficacité étant favorable à la warfarine versus dabigatran pour de tels patients avec bon contrôle.

 

Conclusion

Une analyse de coût-efficacité d’une classe de médicaments ou d’un médicament est valide pour un contexte particulier. L’analyse de cette publication britannique en Health Technology Assessment des anticoagulants oraux (AODs versus AVK) illustre bien, au-delà des limites propres de cette analyse basée sur une méta-analyse en réseau ne comportant aucune comparaison directe entre AODs, les difficultés d’en tirer des conclusions pratiques valides pour la Belgique.

 

 

Dénomination des médicaments

  • warfarine : Marevan ®
  • anticoagulants oraux directs :
    • apixaban (Eliquis®), dabigatran (Pradaxa®), édoxaban (Lixiana®) et rivaroxaban (Xarelto®)

Références 

  1. LRM. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Pour la pratique : synthèse. MinervaF, dernière mise à jour : 31/03/2014.
  2. Chevalier P. Les bornes de non infériorité. MinervaF 2013;12(5):64.
  3. Chevalier P. Résultats dans les études de non infériorité : limites des rapports de hasards. MinervaF 2016;15(3):81-2.
  4. Chevalier P. Etudes de non infériorité : risque médicamenteux dit non inférieur à celui d’un placebo… même s’il est plus élevé. MinervaF 2017;16(9):236-7.
  5. Sterne JA, Bodalia PN, Bryden PA, et al. Oral anticoagulants for primary prevention, treatment and secondary prevention of venous thromboembolic disease, and for prevention of stroke in atrial fibrillation: systematic review, network meta-analysis and cost-effectiveness analysis. Health Technol Assess 2017;21:1-386. DOI: 10.3310/hta21090
  6. Gerkens S, Neyt M, San Miguel L, et aI. How to improve the Belgian process for managed entry agreements? An analysis of the Belgian and international experience. Health Services Research (HSR). Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE), 2017. KCE Reports 288. D/2017/10.273/41.
  7. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  8. Van Brabandt H, San Miguel L, Fairon N, et al. Anticoagulation et fibrillation auriculaire – Synthèse. Health Technology Assessment (HTA).  Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), 2016. KCE Reports 279Bs. D/2016/10.273/98.
  9. Alonso-Coello P, Oxman AD, Moberg J, et al; GRADE Working Group. GRADE Evidence to Decision (EtD) frameworks: a systematic and transparent approach to making well informed healthcare choices. 2: Clinical practice guidelines. BMJ 2016;353:i2089. DOI: 10.1136/bmj.i2089
  10. Chevalier P. Cadres de passage des preuves aux décisions et GPC. MinervaF 2017;16(3):79-80.

 

 

  

* Calcul du score CHA2DS2-VASc (Source: Van Brabandt H, San Miguel L, Fairon N, et al. Anticoagulation et fibrillation auriculaire – Synthèse. Health Technology Assessment (HTA).  Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), 2016. KCE Reports 279Bs. D/2016/10.273/98.)

C

Insuffisance Cardiaque congestive (en particulier les dysfonctions systoliques modérées à sévères du ventricule gauche, arbitrairement définies par une fraction d’éjection ventriculaire gauche ≤ 40%)

1

H

Hypertension

1

A2

Age > 74 ans

2

D

Diabète

1

S2

Antécédents d’AVC (Stroke), d’accident ischémique transitoire (AIT) ou de problèmes thrombo-emboliques

2

V

Atteinte cardioVasculaire (antécédents d’infarctus du myocarde, plaque aortique complexe, atteinte artérielle périphérique)

1

A

Age entre 65 et 74 ans

1

Sc

Sex category (sexe féminin)

1

Les scores de risque sont obtenus en additionnant les points (1 ou 2) correspondant à chaque facteur de risque. Pour les femmes, le facteur « sexe » ne doit pas être pris en considération dans l’évaluation du risque s’il est le seul facteur présent.

 

 




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