Analyse


Le risque de décès est-il augmenté avec la consommation d’aliments ultra-transformés ?


15 10 2019

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste
Analyse de
Schnabel L, Kesse-Guyot E, Allès B, et al. Association between ultraprocessed food consumption and risk of mortality among middle-aged adults in France. JAMA Intern Med 2019:179:490-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2018.7289


Conclusion
Cette vaste étude de cohorte prospective qui s’est déroulée en France prend en compte de très nombreux facteurs de confusion pertinents et montre qu’il existe un faible rapport entre la consommation d’aliments ultra-transformés et l’augmentation de la mortalité.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le triangle alimentaire actuel proposé par Gezond Leven conseille d’opter le moins possible pour les produits ultra-transformés. L’étude française NutriNet-Santé, prospective, montre qu’une consommation accrue d’aliments ultra-transformés augmente la mortalité. En attentant les résultats d’une recherche plus poussée, il semble prudent de déjà conseiller d’éviter de consommer des aliments ultra-transformés en grande quantité.



Minerva a déjà souvent traité du rapport entre la proportion de certains macronutriments dans l’alimentation et la mortalité. Il est ainsi apparu que la consommation de protéines animales (1,2) et une consommation journalière de sucres ajoutés supérieure à 10% de l’apport calorique (3-5) étaient associées à une mortalité cardiovasculaire plus élevée. Le « régime méditerranéen », constitué de beaucoup de légumes, de légumineuses, de fruits, de noix, d’olives et de poisson gras, s’est également avéré avantageux en termes de prévention primaire de la mortalité globale et cardiovasculaire chez les personnes sans antécédents cardiovasculaires (6,7). Chez les personnes présentant un risque cardiovasculaire élevé, l’ajout d’huile d’olive extra-vierge (50 g par jour) ou de noix (30 g par jour) à un régime méditerranéen réduisait de manière significative l’incidence des événements cardiovasculaires (8,9).

Au cours de ces dernières décennies, la consommation d’aliments ultra-transformés a augmenté dans les pays industrialisés (10). Ces aliments sont préparés de manière industrielle et comportent de nombreux ingrédients et additifs. Le plus souvent, ils sont riches en sucres raffinés, en acides gras saturés et en sel et pauvres en fibres alimentaires. Citons à titre d’exemple les amuse-gueule, les sodas, les collations emballées, les bonbons, les biscuits, les tartes, le pain industriel préemballé, les pizzas industrielles, les nouilles instantanées, les soupes instantanées, la viande reconstituée, comme les hot dogs et les nuggets de poulet... (11). Une étude observationnelle a déjà pu montrer un rapport entre l’alimentation ultra-transformée et la dyslipidémie (12), l’obésité (13), l’hypertension artérielle (14) et le cancer (15). NutriNet-Santé, une récente étude de cohorte observationnelle prospective, a examiné l’association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de mortalité (16).

 

Les participants à l’étude NutriNet-Santé (n = 158361) qui a débuté le 11 mai 2009 en France (177) ont été invités à répondre tous les six mois sur un site Internet à trois enquêtes alimentaires de 24 heures portant sur 3 jours pris au hasard répartis sur une période de 14 jours. La présente étude incluait 44551 adultes ayant en moyenne 56,7 ± 7,5 ans, 73,1% étant des femmes, et ayant répondu à au moins un ensemble de questionnaires alimentaires au cours de leurs deux premières années de suivi. Les personnes de moins de 45 ans ont été exclues, de même que les participants décédés au cours de la première année du suivi.

Les 3000 aliments du tableau alimentaire de l’étude NutriNet-Santé ont été classés suivant le système NOVA de classification des aliments. Les aliments ultra-transformés représentaient 14,4 ± 7,6% du poids total de l’ensemble des aliments et 29,1 ± 10,9% de l’apport énergétique total. Une consommation plus importante d’aliments ultra-transformés était associée à un âge plus jeune (45 à 64 ans), à des revenus moins importants (< 1200 euros/mois), à un niveau de formation plus faible (c’est-à-dire pas de diplôme ou uniquement l’école primaire), au fait d’habiter seul, à un BMI plus élevé (≥ 30), au tabagisme, à un niveau d’activité physique plus faible ainsi qu’à un moindre suivi des recommandations diététiques, à un apport énergétique global plus important, à une plus grande consommation de glucides et de lipides et à une plus faible consommation d’alcool et de fibres (p < 0,001 chaque fois). Ce résultat a été confirmé dans une récente étude randomisée croisée comptant 20 participants (ayant en moyenne 31,2 ± 1,6 ans et dont l’IMC était en moyenne de 27 ± 1,5 kg/m²) qui ont été exposés pendant deux semaines soit à des aliments ultra-transformés soit à des aliments non transformés (18). Les repas étaient isocaloriques et semblables en termes de macronutriments et de densité énergétique, mais l’apport énergétique et l’apport en glucides et en lipides ont été plus importants dans le groupe consommant des aliments ultra-transformés. La consommation d’aliments ultra-transformés était également associée à une prise de poids de 0,9 ± 0,3 kg (p = 0,009).

Pendant un suivi médian de 7,1 ans (interquartile 5,7 à 7,9 ans), 602 (1,4%) décès ont été enregistrés, dont 219 dus au cancer et 34 dus à une cause cardiovasculaire. Après correction pour tenir compte des facteurs de confusion susmentionnés (à l’exception de la consommation de glucides, de graisses et de fibres), on a constaté qu’une augmentation de 10% de la consommation d’aliments ultra-transformés entraînait une augmentation de la mortalité globale de 14% : HR de 1,14 avec IC à 95% de 1,04 à 1,27 ; p = 0,008. Cette étude montre donc plutôt une faible relation entre la consommation d’aliments ultra-transformés et la mortalité (19). Il est toutefois possible que l’effet ait été sous-estimé en raison de divers facteurs comme la sélection de participants qui sont prêts à enregistrer plusieurs fois leur régime alimentaire pendant une étude de longue durée et qui, de ce fait, consomment peut-être moins d’aliments ultra-transformés et présentent un risque de mortalité plus faible que la population générale ; une relation inverse (reverse causation) où les personnes confrontées à une affection chronique (et donc à un risque accru de décès) vont consommer moins d’aliments ultra-transformés ; la courte durée du suivi de la cohorte, alors que les maladies chroniques progressent lentement, ce qui abaisse plutôt les chiffres de mortalité absolus ; la possibilité que les aliments ultra-transformés soient moins signalés avec le système NOVA de classification des aliments. D’autre part, le système de classification NOVA lui-même peut également être remis en question. Les plats cuisinés et le pain, tous deux classés comme ultra-transformés, peuvent néanmoins être équilibrés du point de vue nutritionnel.

Les chercheurs ont formulé diverses hypothèses sur le rapport entre les aliments ultra-transformés et la mortalité, comme une consommation plus importante de sel, de sucre et de viande transformée. En ce qui concerne la viande transformée, deux études de cohorte à grande échelle ont récemment pu montrer un rapport avec un risque de mortalité accru (20). L’influence du processus de production (libération de contaminants due au chauffage, ajout d’additifs, utilisation d’emballages spécifiques) doit également être encore étudiée.

 

Conclusion

Cette vaste étude de cohorte prospective qui s’est déroulée en France prend en compte de très nombreux facteurs de confusion pertinents et montre qu’il existe un faible rapport entre la consommation d’aliments ultra-transformés et l’augmentation de la mortalité.

 

Pour la pratique

Le triangle alimentaire actuel proposé par Gezond Leven conseille d’opter le moins possible pour les produits ultra-transformés (21,22). L’étude française NutriNet-Santé, prospective, montre qu’une consommation accrue d’aliments ultra-transformés augmente la mortalité. En attentant les résultats d’une recherche plus poussée, il semble prudent de déjà conseiller d’éviter de consommer des aliments ultra-transformés en grande quantité.

 

 

 

Le système NOVA de classification des aliments

  • Groupe 1 : aliments non transformés ou peu transformés
    • Fruits, légumes, noix, graines, viandes, œufs, lait
    • Aliments non transformés soumis à un traitement sans ajout de substances (par exemple congélation, séchage, réfrigération, cuisson...)
  • Groupe 2 : ingrédients culinaires transformés
    • Sucre, huile, graisse animale, sel, amidon
  • Groupe 3 : aliments transformés
    • Légumes en conserve, fruits au sirop, viande salée, poisson salé, fromages, pain frais non emballé, charcuterie comme le jambon, poisson fumé...
  • Groupe 4 : aliments ultra-transformés
    • Sodas, collations emballées, bonbons, biscuits, pain industriel préemballé, viande reconstituée telle que hot dogs et nuggets de poulet, soupe instantanée, nouilles instantanées, pizzas industrielles, tartes...

 

Références 

  1. Mullie P. La consommation de protéines animales entraîne-t-elle une augmentation de la mortalité ? Minerva bref 15/05/2017.
  2. Song M, Fung TT, Hu FB, et al. Association of animal and plant protein intake with all-cause and cause-specific mortality. JAMA Intern Med 2016;176:1453-63. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.4182
  3. Michiels B. Le sucre : de la source d’énergie à la substance mortelle. [Editorial] MinervaF 2014;13(8):92.
  4. Michiels B. Sucres ajoutés et mortalité cardiovasculaire. Minerva bref 15/10/2014.
  5. Yang Q, Zhang Z, Gregg EW, et al. Added sugar intake and cardiovascular diseases mortality among US adults. JAMA Intern Med 2014;174:516-24. DOI: 10.1001/jamainternmed.2013.13563
  6. Poelman T. Bénéfice d’un régime méditerranéen en prévention primaire ? MinervaF 2009;8(5):60-1.
  7. Sofi F, Cesari F, Abbate R, et al. Adherence to Mediterranean diet and health status: meta-analysis. BMJ 2008;337:a1344. DOI: 10.1136/bmj.a1344
  8. Roberfroid D. Prévention primaire des maladies cardiovasculaires par une alimentation de type méditerranéen. MinervaF 2014;13(1):8-9.
  9. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013;378: e34. DOI: 10.1056/NEJMoa1800389
  10. Moubarac JC, Batal M, Martins AP, et al. Processedand ultra-processed food products: consumption trends in Canada from1938 to 2011. Can J Diet PractRes 2014;75:15-21. DOI: 10.3148/75.1.2014.15
  11. Monteiro CA, Cannon G, Moubarac JC, et al. The UN Decade of Nutrition, the NOVA food classification and the trouble with ultra-processing. Public Health Nutr 2018;21:5-17. DOI: 10.1017/S1368980017000234
  12. Rauber F, Campagnolo PD, Hoffman DJ, Vitolo MR. Consumption of ultra-processed food products and its effects on children’s lipid profiles:a longitudinal study. Nutr Metab Cardiovasc Dis 2015;25:116-22. DOI: 10.1016/j.numecd.2014.08.001
  13. Mendonca RD, Pimenta AM, Gea A, et al. Ultraprocessed food consumption and risk of overweight and obesity: the University of Navarra Follow-Up (SUN) cohort study. Am J Clin Nutr 2016;104:1433-40. DOI: 10.3945/ajcn.116.135004
  14. Mendonca RD, Lopes AC, Pimenta AM, et al. Ultra-processed food consumption and the incidence of hypertension in a Mediterranean cohort: the Seguimiento Universidad de Navarra Project. Am J Hypertens 2017;30:358-66. DOI: 10.1093/ajh/hpw137
  15. Fiolet T, Srour B, Sellem L, et al. Consumption of ultra-processed foods and cancer risk: results from NutriNet-Santé prospective cohort. BMJ 2018;360:k322. DOI: 10.1136/bmj.k322
  16. Schnabel L, Kesse-Guyot E, Allès B, et al. Association between ultraprocessed food consumption and risk of mortality among middle-aged adults in France. JAMA Intern Med 2019:179:490-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2018.7289
  17. Hercberg S, Castetbon K, Czernichow S, et al. The Nutrinet-Santé Study: a web-based prospective study on the relationship between nutrition and health and determinants of dietary patterns and nutritional status. BMC Public Health 2010;10:242. DOI: 10.1186/1471-2458-10-242
  18. Hall KD, Ayuketah A, Brychta R, et al. Ultra-processed diets cause excess calorie intake and weight gain: an inpatient randomized controlled trial of ad libitum food intake. Cell Metab 2019;30:67-77. E3. DOI: 10.1016/j.cmet.2019.05.008
  19. Guyatt GH, Oxman AD, Sultan S, et al; GRADE Working Group. GRADE guidelines: 9. Rating up the quality of evidence. J Clin Epidemiol 2011;64:1311-6. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2011.06.004
  20. Zheng Y, Li Y, Satija A, et al.Association of changes in red meat consumption with total and cause specific mortality among US women and men: two prospective cohort studies. BMJ 2019;365:l2110. DOI: 10.1136/bmj.l2110
  21. Vlaams Instituut Gezond Leven, 2017. URL: www.gezondleven.be
  22. Une nouvelle pyramide alimentaire. Univers Santé 2017. URL: https://www.univers-sante.be/une-nouvelle-pyramide-alimentaire/

 

 


Auteurs

Matthys C.
Klinische en Experimentele Endocrinologie, Departement Chronische aandoeningen en Metabolisme, KU Leuven; Departement Endocrinologie, UZ Leuven
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires