Analyse
Des anti-inflammatoires pour lutter contre la dépression ?
Minerva a déjà traité à plusieurs reprises de l’effet de l’ajout de médicaments aux antidépresseurs dans le traitement de la dépression majeure. Une étude randomisée placebo-contrôlée menée chez des patients âgés de plus de 60 ans qui présentaient une dépression majeure modérément grave réfractaire après un traitement par venlafaxine à forte dose a montré que l’ajout d’une faible dose d’aripiprazole augmentait les chances de rémission à court terme, au prix d’une augmentation des effets indésirables extrapyramidaux (1,2). Une méta-analyse, qui avait des limites sur le plan méthodologique, a montré que l’ajout d’un neuroleptique atypique à un antidépresseur entraînait une réponse et une rémission significativement plus importantes chez les patients qui présentaient une dépression majeure réfractaire (3,4).
Des études observationnelles ont pu montrer un rapport entre la dépression majeure et l’inflammation. Chez les patients en dépression, on a constaté une augmentation des cytokines inflammatoires telles que l’interleukine-6, le récepteur de l’interleukine-2, la protéine C réactive (CRP) et le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα) (5,6). Depuis, de nombreuses recherches ont été menées sur l’utilité des anti-inflammatoires dans la dépression. Deux synthèses méthodiques ont pu montrer une diminution des symptômes dépressifs avec des anti-inflammatoires, mais elles présentaient un problème d’importante hétérogénéité clinique des études incluses (7,8).
Une synthèse méthodique plus récente (9) a inclus 30 études randomisées contrôlées qui comparaient des anti-inflammatoires, administrés en monothérapie ou ajoutés à des antidépresseurs, et un placebo chez un total de 1610 patients âgés d’au moins 18 ans (âge moyen : 30 à 84 ans) qui souffraient d’une dépression majeure. Les études avec des patients bipolaires n’ont pas été incluses. Plusieurs sources ont été consultées (PubMed, Embase, la Cochrane Library et Web of Science ; jusqu’au 1er janvier 2019). Un funnel plot asymétrique permet de supposer un biais de publication, mais qui n’aurait pas eu d’influence sur les résultats des méta-analyses. Deux tiers des études décrivent une randomisation correctement effectuée, avec préservation du secret d’attribution (concealment of allocation).
Par comparaison avec le placebo, les anti-inflammatoires ont entraîné une diminution statistiquement significative des symptômes dépressifs sur une échelle de dépression validée (différence moyenne standardisée (DMS) de -0,55 avec IC à 95% de -0,75 à -0,35 ; p < 0,00001 ; N = 26, n = 1610 ; I² = 71%). Pour les anti-inflammatoires en monothérapie, la DMS était de -0,30 (avec IC à 95% de - 0,58 à -0,02 ; p < 0,008 ; N = 8, n = 560; I² = 60%), tandis que l’on a constaté, pour les anti-inflammatoires ajoutés au traitement, une DMS de -0,70 (avec IC à 95% de - 0,97 à -0,43 ; p < 0,00001 ; N = 18, n = 1 041 ; I² = 74%). Les probabilités de réponse (réduction d’au moins 50% sur une échelle de dépression validée) et les probabilités de rémission étaient plus fortes dans le groupe qui recevait ces anti-inflammatoires que dans le groupe placebo (respectivement RR de 1,52 (avec IC à 95% de 1,30 à 1,79 ; N = 19, n = 1095 ; I² = 29%) et RR de 1,79 (avec IC à 95% de 1,29 à 2,49 ; N = 16, n = 1003 ; I² = 41%). Pour la plupart des méta-analyses, il y avait une importante hétérogénéité statistique, probablement due à la différence dans les échelles utilisées, dans les caractéristiques des patients et dans les médicaments utilisés. Des analyses de sous-groupes complémentaires ont montré que les AINS (n = 121), les acides gras insaturés oméga-3 (n = 746), les statines (n = 166) et la minocycline (n = 151) avaient tous un effet antidépresseur statistiquement significatif. Dans les études ne comptant que des patients de sexe féminin (n = 171), une différence statistiquement significative entre les anti-inflammatoires et le placebo n’a pas été observée. Les anti-inflammatoires ont maintenu leur effet, versus placebo, indépendamment du type de promoteur et indépendamment de la qualité de l’étude. La qualité de vie mesurée sur une échelle validée a été examinée dans cinq études, et, après sommation, aucune différence entre les anti-inflammatoires et le placebo n’a pu être démontrée. Il y a eu plus d’effets indésirables gastro-intestinaux sous N-acétylcystéine et statines qu’avec le placebo. Les résultats doivent être interprétés avec prudence en raison de la petite taille de la plupart des études (le nombre de patients par étude étant rarement supérieur à 100) et de de la courte durée des études (de 6 à 16 semaines) par rapport au caractère souvent chronique de la dépression majeure.
Une autre synthèse méthodique récente (10) a inclus 36 études totalisant 10000 patients souffrant de dépression majeure. Elle a examiné l’effet des corticoïdes et des inhibiteurs des cytokines, mais pas celui des acides gras polyinsaturés. Elle a permis d’observer des différences statistiquement significatives à l’avantage des AINS (principalement le célécoxib ; n = 4214), des inhibiteurs des cytokines (principalement les anticorps monoclonaux ; n = 3345) et de diverses statines (n = 1576). Seuls les AINS ont entraîné un plus grand nombre de rémissions. Un commentaire a indiqué un certain nombre de pièges, que l’on peut également citer pour la synthèse méthodique décrite plus haut. Une différence statistique versus placebo ne garantit pas un résultat cliniquement pertinent. Certains éléments de l’échelle de dépression (troubles du sommeil, douleur) peuvent, en tant que symptômes spécifiques, influencer unilatéralement le résultat final. L’auteur a également signalé que les antidépresseurs peuvent avoir un effet positif sur les symptômes somatiques, mais que l’inverse peut également être vrai : les médicaments qui agissent spécifiquement sur les symptômes somatiques peuvent aussi avoir un effet bénéfique sur la souffrance psychique (11). À ces réflexions critiques s’ajoute le fait qu’une différence moyenne standardisée est souvent difficile à interpréter du point de vue clinique (12).
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de petites études randomisées contrôlées hétérogènes montre que des anti-inflammatoires comme les AINS, les acides gras insaturés oméga-3, les statines et la minocycline, versus placebo, réduisent les symptômes dépressifs de manière statistiquement significative chez les adultes atteints de dépression majeure. On ne sait pas encore dans quelle mesure le résultat est également pertinent sur le plan clinique et s’il se maintiendra sur le long terme.
Pour la pratique
L’instauration d’anti-inflammatoires ne fait pas (encore) partie des guides de pratique clinique pour le traitement de la dépression chez l’adulte (13).
Selon cette synthèse méthodique avec méta-analyse, la place des anti-inflammatoires reste encore indéterminée dans le traitement de la dépression majeure chez l’adulte.
- De Winter FL, Van Buggenhout R. Ajouter de l’aripiprazol en cas de dépression majeure réfractaire chez les personnes de plus de 60 ans ? MinervaF 2016;15(6):147-50.
- Lenze EJ, Mulsant BH, Blumberger DM, et al. Efficacy, safety, and tolerability of augmentation pharmacotherapy with aripiprazole for treatment-resistant depression in late life: a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2015;386:2404-12. DOI: 10.1016/S0140-6736(15)00308-6. Erratum in: Lancet 2015;386:2394.
- Wyckaert S. Dépression majeure : antipsychotique en ajout à un antidépresseur ? MinervaF 2010;9(10):120-1.
- Nelson JC, Papakostas GI. Atypical antipsychotic augmentation in major depressive disorder: a meta-analysis of placebo-controlled randomized trials. Am J Psychiatry 2009;166:980-91. DOI: 10.1176/appi.ajp.2009.09030312
- Motivala SJ, Sarfatti A, Olmos L, Irwin MR. Inflammatory markers and sleep disturbance in major depression. Psychosom Med 2005;67:187-94. DOI: 10.1097/01.psy.0000149259.72488.09
- Pike JL, Irwin MR. Dissociation of inflammatory markers and natural killer cell activity in major depressive disorder. Brain Behav Immun 2006;20:169-74. DOI: 10.1016/j.bbi.2005.05.004
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- Köhler O, Benros ME, Nordentoft M, et al. Effect of anti-inflammatory treatment on depression, depressive symptoms, and adverse effects: a systematic review and meta-analysis of randomized clinical trials. JAMA Psychiatry 2014;71:1381-91. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2014.1611
- Bai S, Guo W, Feng Y, et al. Efficacy and safety of anti-inflammatory agents for the treatment of major depressive disorder: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2020;91:21-32. DOI: 10.1136/jnnp-2019-320912
- Köhler-Forsberg O, Lydholm CN, Hjorthøj C, et al. Efficacy of anti-inflammatory treatment on major depressive disorder or depressive symptoms: meta-analysis of clinical trials. Acta Psychiatr Scand 2019:139:404-19. DOI: 10.1111/acps.13016
- Andrade C. Anti-inflammatory treatments for depression: perspectives on how to read a meta-analysis critically. J Clin Psychiatry 2019;80:19f129087. DOI: 10.4088/JCP.19f12907
- Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
- Depressie bij volwassenen. Beleid. Duodecim Medical Publications 2/03/2014. Laatste update: 25/03/2016. (Ce guide de pratique clinique national est uniquement disponible en Néerlandais.)
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