Analyse
Quelle est l’efficacité d'une infiltration locale de corticostéroïde par rapport à l’utilisation d'une attelle de nuit dans le traitement du syndrome du canal carpien ?
01 09 2020
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
En 2008, nous avions analysé dans Minerva (1) une synthèse méthodique avec méta-analyses de la Cochrane Collaboration (2) évaluant l'efficacité d'une injection locale avec un corticostéroïde versus placebo dans le traitement du syndrome du canal carpien. Cette synthèse méthodique montrait qu'une infiltration avec un corticostéroïde apportait une amélioration subjective des plaintes supérieure à celle de l'injection d'un placebo, un mois après l'injection, sans amélioration clinique au-delà d’un mois.
En 2012, une revue systématique avec méta-analyses de la Cochrane Collaboration également (3) montrait quant à elle que l’utilisation d’une attelle de nuit était plus efficace qu’un placebo dans le traitement à court terme du syndrome du canal carpien (une seule étude de faible qualité ; niveau de preuve selon GRADE bas) et laissait surtout beaucoup de questions sans réponses (type d’attelle, recommandations quant au port de l’attelle ; efficacité versus autres approches non chirurgicales). De plus, jusqu’alors, aucune étude ne comparait l’efficacité des infiltrations de corticostéroïdes versus utilisation d’une attelle de nuit.
Une nouvelle RCT (4) vient palier à ce manque et évalue l'efficacité clinique et le rapport coût-bénéfice d'une injection de corticostéroïdes versus utilisation d'une attelle de nuit dans le traitement du syndrome du canal carpien, en soins primaires.
Il s’agit d’une étude randomisée, pragmatique, ouverte avec groupes parallèles chez des adultes de plus de 18 ans présentant un syndrome du canal carpien léger ou modéré d'une durée d'au moins 6 semaines. Les patients étaient assignés de manière aléatoire en deux groupes. Un groupe recevait une infiltration de 20 mg de méthylprednisolone acétate réalisée par un médecin généraliste ou un physiothérapeute. L'autre groupe devait porter une attelle de nuit pendant 6 semaines. L’évolution du score moyen était évaluée grâce au Boston Carpal Tunnel Questionnaire (BCTQ) à 6 semaines et 6 mois. Les résultats sont calculés en intention de traiter. 234 patients ont été inclus (118 dans le groupe attelle de nuit, 116 dans le groupe injection) dont 212 ont complété le BCTQ à 6 semaines. Ont été exclus les participants qui avaient un syndrome du canal carpien sévère présentant une douleur constante au poignet et à la main (en particulier la paume, l'index ou le majeur ou le pouce), un engourdissement ou une perte sensorielle au poignet et à la main (en particulier la paume, l'index ou le majeur, ou pouce) ou une atrophie du muscle thénar. Une injection de corticostéroïdes ou une attelle de nuit pour un syndrome du canal carpien au cours des 6 mois précédents, une intervention chirurgicale au poignet affecté, un traumatisme à la main touchée ayant nécessité une intervention chirurgicale ou une immobilisation au cours des 12 mois précédents étaient également des critères d’exclusion ; de mêmes pour les femmes enceintes ou allaitantes et les patients présentant une contre-indication médicale à l’injection.
A 6 semaines, une amélioration significativement plus importante du score BCTQ a été observée dans le groupe injection de corticostéroïdes que dans le groupe attelle de nuit (différence moyenne ajustée de -0,32 point avec IC à 95% de -0,48 à -0,16 point ; p = 0,0001). A 6 mois, le groupe injection de corticostéroïdes a maintenu le score observé à 6 semaines tandis que le groupe attelle de nuit a montré une amélioration du score BCTQ pour arriver à un niveau équivalent au groupe injection de corticostéroïdes (différence moyenne ajustée de 0,06 point avec IC à 95% de -0,11 à 0,23 point ; p = 0,499). En outre, aucun effet indésirable sérieux ou inattendu n'a été reporté dans aucun des deux groupes. Dans le groupe injection de corticostéroïdes, un amincissement, un éclaircissement ou un assombrissement de la peau au site d’injection ainsi que des flushs ou une douleur au niveau de la main ou du poignet ont pu être observés tandis que certains patients (6%) ont été incapables de porter l’attelle car ils la jugeaient inconfortable.
Les auteurs de cette nouvelle RCT concluent qu’une injection unique de corticostéroïdes, versus une attelle de nuit, présente une efficacité clinique supérieure à 6 semaines et équivalente à 6 mois, ce qui devrait en faire le traitement de choix pour une réponse rapide et soutenue aux symptômes du syndrome du canal carpien léger à modéré en médecine générale.
En termes de rapport coût-efficacité, l’injection de corticostéroïdes est jugée plus efficiente que l’attelle à 6 mois. Selon les auteurs, cette étude pragmatique est importante par le nombre de patients inclus (elle serait la plus importante à ce jour) comme par sa réalisation en soins primaires sur une période suffisamment longue. Si l’efficacité clinique est équivalente à 6 mois entre les 2 approches étudiées, les meilleurs résultats à 6 semaines justifieraient l’injection de corticostéroïdes comme premier choix, dans une perspective économique et de reprise du travail rapide.
Cette étude présente quelques limitations. D’une part, on peut regretter l’absence d'un groupe contrôle non traité ; on peut aussi, dans une perspective pragmatique, regretter l’absence d'un groupe recevant les deux interventions. Les auteurs ont justifié cela par le fait qu'il était important pour eux d'offrir un traitement à tous les participants et qu'un autre groupe aurait augmenté la taille de l'échantillon et compromis la faisabilité de l'étude en médecine générale. Il faut noter les nombreux critères d’exclusion ; des études complémentaires sur des populations plus ciblées seraient intéressantes pour aider les cliniciens. Evaluer la pertinence clinique de la faible différence observée au BCTQ est primordiale : les auteurs s’y attellent, mais il nous faut reconnaitre que les explications sont quelque peu à la limite de la manipulation des résultats.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Un guide de pratique NICE (5) recommande de recourir à un traitement conservateur pour prendre en charge le syndrome du canal carpien modéré en première ligne. L’échec d’une forme de traitement conservateur est prédictif de l’échec des autres formes de traitement conservateur. Pour cette raison, pas plus de deux modalités ne doivent être employées afin d’éviter de retarder inutilement une chirurgie. Les deux modalités recommandées sont l’utilisation d’une attelle de nuit et une injection unique de stéroïdes. Les patients doivent ressentir une amélioration dans les 6 semaines. Les traitements conservateurs non conventionnels comme le laser ou l’acupuncture ne sont pas recommandés.
Conclusion
Cette étude pragmatique, réalisée en soins primaires, comparant une infiltration de 20 mg de méthylprednisolone acétate versus port d’une attelle de poignet la nuit en cas de syndrome de canal carpien léger à modéré dans une population bien définie, montre une efficacité plus importante à 6 semaines de l’infiltration et des résultats cliniques équivalents à 6 mois. La pertinence clinique de cette différence n’est cependant pas claire. L’injection de corticostéroïdes comme premier choix dans une perspective économique et de reprise du travail rapide devrait être confirmée par d’autres études mais pourrait être discutée avec les patients.
- Poelman T. Efficacité des infiltrations avec un corticostéroïde dans le syndrome du canal carpien ? MinervaF 2008 ;7(1): 8-9.
- Marshall SC, Tardif G, Ashworth NL. Local corticosteroid injection for carpal tunnel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD001554.pub2
- Page MJ, Massy-Westropp N, O'Connor D, Pitt V. Splinting for carpal tunnel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD010003
- Chesterton L, Blagojevic-Bucknall M, Burton C, et al. The clinical and cost-effectiveness of corticosteroid injection versus night splints for carpal tunnel syndrome: an open-label, parallel group, randomised controlled trial. Lancet 2018;392:1423-33. DOI: 10.1186/s12891-016-1264-8
- British Orthopaedic Association. Commissioning Guide: Treatment of Carpal Tunnel Syndrome. NICE 2017. URL: https://www.boa.ac.uk/standards-guidance/commissioning-guides.html
Auteurs
Berthet PE.
assistant UCLouvain
COI :
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
Glossaire
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