Analyse
Que penser du curcuma comme traitement de la gonarthrose ?
En vingt ans, Minerva a publié 41 contributions sur l’arthrose, principalement la gonarthrose. Nous avons aussi déjà discuté de l’utilité de la curcumine dans la prévention du diabète sucré de type 2 (1,2). Mais l’effet du Curcuma longa a également été étudié dans le cadre de l’arthrose. Une synthèse méthodique de 2017 (3) incluant sept études randomisées contrôlées (n = 797) a ainsi montré que, par comparaison avec un placebo, le Curcuma longa réduisait la douleur dans la gonarthrose, et ce de manière statistiquement significative. En revanche, son effet antalgique est moindre que celui de l’ibuprofène, et ce de manière statistiquement significative. Mais la plupart de ces études avaient été menées hors d’Europe, elles présentaient un risque de biais globalement modéré, et elles étaient cliniquement hétérogènes en termes de populations étudiées et de préparations de curcuma utilisées (la posologie variait de 180 mg à 1,5 g par jour). En outre, le risque de biais de publication n’était pas déterminé, et les aspects relatifs à la sécurité n’étaient pas suffisamment pris en compte dans les études sélectionnées.
Une étude monocentrique, randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo a été menée en Tasmanie (4) chez 70 patients de plus de 40 ans (âge moyen 62 ans (écart-type 8,5 ans)) souffrant de gonarthrose selon les critères cliniques de l’American College of Rheumatology*. Ils se plaignaient de douleurs au genou (au moins 40 mm et moyenne de 55 mm (écart-type 17 mm)) sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 100 mm) mesurant l’intensité de la douleur et une échographie du genou montrait une synovite avec épanchement (≥ 4 mm dans la région suprapatellaire). Les critères d’exclusion étaient nombreux, notamment un pincement sévère de l’interligne articulaire à la radiographie (grade 3 selon l’Osteoarthritis Research Society International (OARSI)), une chirurgie du genou par voie arthroscopique ou à ciel ouvert planifiée ou effectuée dans l’année écoulée, des infiltrations de corticoïdes ou d’acide hyaluronique dans le genou au cours des trois à six derniers mois. Les patients ont été randomisés dans deux groupes d’étude, le secret d'attribution étant préservé. Les patients du groupe d’intervention ont été invités à prendre quotidiennement 2 gélules de chacune 500 mg d’extrait de racine de Curcuma longa standardisé contenant 80% de turmérosaccharides et 20% de curcuminoïdes pendant 12 semaines (n = 36) tandis que ceux du groupe témoin prenaient chaque jour deux gélules d’un placebo d’aspect identique (n = 34). Il a été demandé aux patients de continuer à prendre leurs médicaments habituels (paracétamol, AINS, opioïdes) en les modifiant le moins possible. Bien qu’il s’agisse d’une étude pilote, le nombre de patients à inclure a été calculé afin de montrer avec une puissance de 80%, entre le curcuma et le placebo, une différence minimale cliniquement pertinente de 18 mm sur une EVA mesurant l’intensité de la douleur. Après 12 semaines, le score EVA pour la douleur (1er critère de jugement principal) avait diminué de 23,8 mm (avec IC à 95% de -29,8 à -17,7) dans le groupe Curcuma longa et de 14,6 mm (avec IC à 95% de -20,8 à -8,5) dans le groupe placebo. La différence était donc de -9,1 mm (avec IC à 95% de -17,8 à -0,4 ; p = 0,039). Après 12 semaines, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes quant à la modification du volume de liquide synovial à l’IRM (2e critère de jugement principal). Neuf patients du groupe placebo contre quatre du groupe intervention ont dû commencer des analgésiques ou augmenter les analgésiques existants. Quant aux effets indésirables, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes. Des résultats plus pertinents sur le plan clinique, tels que la mobilité et la qualité de vie, font défaut. On ne sait pas non plus combien de patients ont atteint la valeur seuil cliniquement pertinente de -18 mm sur l’EVA, mais la puissance n’était probablement pas assez élevée pour montrer une différence statistiquement significative. La réduction moyenne de la douleur est restée inférieure à la cible de 18 mm sur l’EVA, et nous pouvons donc douter de la pertinence clinique du résultat. À cet égard, les auteurs se réfèrent à une synthèse méthodique (5) qui montrait que l’effet du paracétamol sur la douleur dans l’arthrose était une réduction de seulement 3,7 mm en moyenne sur l’EVA. Dans une étude publiée plus récemment qui a été menée auprès de 144 patients indiens pendant six semaines, une préparation de racine de Curcuma longa (2 x 500 mg par jour avec au moins 88% de curcuminoïdes) s’est avérée aussi efficace que le paracétamol (3 x 650 mg par jour) selon le score WOMAC de douleur (6). Mais il s’agissait d’une préparation de curcuma différente du produit de l’étude pilote décrite ici (plus riche en curcuminoïdes et associée à une essence de curcuma). Cependant, le fait que les auteurs de l’étude pilote aient décrit la composition de leur préparation plaide pour eux. Les préparations de curcuma peuvent contenir des excipients qui augmentent l’absorption des curcuminoïdes. Ces excipients ne sont pas comptés parmi les principes actifs, mais ils peuvent augmenter l’efficacité d’une même quantité de curcuminoïdes. Le nom commercial de la préparation (Turmacin Plus, qui n’est pas commercialisée en Belgique en 2021) laisse entendre ce type d’ajout.
La différence entre les préparations d’une même plante médicinale est un fait récurrent et rend difficile la comparaison des études et la réalisation de méta-analyses, comme évoqué au début de cette contribution. Un comité au sein de l’Agence européenne des médicaments (EMA) étudie les propriétés des plantes médicinales, débouchant sur des recommandations d’usage thérapeutique ou des monographies (voir éditorial dans ce numéro). Ainsi, l’EMA ne retient pas l’arthrose comme indication thérapeutique de la racine de Curcuma longa (7). En Belgique, seuls des compléments alimentaires sont disponibles à partir de la racine de Curcuma longa. Il s’agit généralement de mélanges de différentes plantes, avec ou sans ajout de substances favorisant l’absorption. Une concertation interdisciplinaire entre médecins et pharmaciens est recommandée afin de mieux comprendre l’utilité et la sécurité d’emploi de ces compléments alimentaires (voir éditorial de ce numéro).
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Les recommandations actuelles stipulent que la pharmacothérapie ne doit pas être utilisée comme traitement unique ou principal de l’arthrose (8). L’attention est attirée sur l’alimentation, le BMI, l’adaptation des mouvements, la kinésithérapie et les dispositifs favorisant la mobilité. Les traitements médicamenteux à envisager sont le paracétamol, les AINS (topiques et non topiques), les opioïdes, les glucocorticoïdes intra-articulaires et l’acide hyaluronique, la glucosamine et la chondroïtine ; le niveau de preuve de leur effet varie. Contrairement au Boswelia serrata (plante à encens), le Curcuma longa n’est pas encore mentionné parmi les médicaments à base de plantes.
Conclusion
Il ressort de cette étude clinique randomisée, contrôlée, en double aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, avec un nombre limité de patients, qu’une préparation de racine de Curcuma longa est plus efficace qu’un placebo pour diminuer la douleur dans la gonarthrose après trois mois. Cependant, la pertinence clinique de cet effet antalgique est fort douteuse. Des recherches cliniques plus poussées avec des préparations clairement définies sont nécessaires pour déterminer la place du Curcuma longa dans le traitement de l’arthrose.
* Douleur articulaire du genou et au moins trois des symptômes suivants : crépitations à la mobilisation active de l’articulation, raideur matinale inférieure à 30 minutes, âge supérieur à 50 ans, élargissement des éléments osseux du genou, douleur osseuse au niveau du genou, absence de chaleur à la palpation.
- Van De Vijver E. La curcumine pour prévenir le diabète de type 2 ? MinervaF 2013;12(2):19-20.
- Chuengsamarn S, Rattanamongkolgul S, Luechapudiporn R, et al. Curcumin extract for prevention of type 2 diabetes. Diabetes Care 2012;35:2121-7. DOI: 10.2337/dc12-0116
- Onakpoya IJ, Spencer EA, Perera R, et al. Effectiveness of curcuminoids in the treatment of knee osteoarthritis: a systematic review and meta-analysis of randomized clinical trials. Int J Rheum Dis 2017; 20: 420-33. DOI: 10.1111/1756-185X.13069
- Wang Z, Jones G, Winzenberg T, et al. Effectiveness of Curcuma longa extract for the treatment of symptoms and effusion–synovitis of knee osteoarthritis. A randomized trial. Ann Intern Med 2020;173:861-9. DOI: 10.7326/M20-0990
- Machado GC, Maher CG, Ferreira PH, et al. Efficacy and safety of paracetamol for spinal pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised placebo controlled trials. BMJ 2015;350:h1225. DOI: 10.1136/bmj.h1225
- Singhal S, Hasan N, Nirmal K, et al. Bioavailable turmeric extract for knee osteoarthritis: a randomized, non-inferiority trial versus paracetamol. Trials 2021;22:105. DOI: 10.1186/s13063-021-05053-7
- van Galen E, Kroes B, Llorente GG. Assessment report on Curcuma longa L., rhizoma. European Medicines Agency 2018. URL: https://www.ema.europa.eu/en/documents/herbal-report/final-assessment-report-curcuma-longa-l-rhizoma-revision-1_en.pdf , site consulté le 24 mars 2021.
- Arthrose. Ebpracticenet. Dernière mise à jour: 29/05/2017. Dernière révision contextuelle: 2/04/2018.
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