Analyse
Association entre consommation de céréales et maladies cardiovasculaires et mortalité
Dédié à Pierre Chevalier, un maître en EBM (1949-2021)
Près de 15% de toutes les années de vie perdues sont dues à une mauvaise alimentation (1). Nous avons déjà analysé à de multiples reprises, dans Minerva, les liens entre alimentation et morbi-mortalité, en particulier au niveau cardiovasculaire. L’analyse d’une synthèse méthodique avec méta-analyses n’apportait pas de preuves, mais des arguments sujets à discussion pour l’intérêt de la consommation de hautes doses de céréales complètes (210 à 225 g par jour) versus faibles doses dans la prévention de la morbidité cardiovasculaire et la mortalité de différentes causes (2,3). Une étude a montré une faible association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et l’augmentation de la mortalité (4,5). Une étude randomisée contrôlée, de bonne qualité méthodologique, a montré que des suppléments d’huile d’olive extra-vierge (50 g par jour) ou de noix (30 g par jour) en ajout à une alimentation de type méditerranéen pouvaient réduire de façon significative l’incidence des accidents cardiovasculaires en prévention primaire chez des personnes présentant un haut risque cardiovasculaire (6,7). Une étude a montré que le suivi d’un régime de type méditerranéen apportait, en prévention primaire, un bénéfice important en termes de mortalité globale et cardiovasculaire, de cancer, de maladies d’Alzheimer et de Parkinson (8,9). Une vaste étude d’une cohorte de plus de 100000 personnes qui ont été suivies pendant plus de 30 ans, montrait que la consommation de protéines animales était associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire tandis que la consommation de protéines végétales était associée à une diminution de la mortalité globale. Ces associations n’ont pas été constatées chez les personnes qui avaient un mode de vie sain. La pertinence clinique des résultats semblait plutôt limitée (10,11). Une méta-analyse n’apportait pas de preuve valide d’un bénéfice de l’administration de suppléments d’oméga 3 (de composition fort variable) chez des patients avec pathologie cardiovasculaire ou atteints de diabète en termes de moindre mortalité de toute cause ou de resténose coronaire post angioplastie (12,13). Une synthèse de bonne qualité évaluant la sécurité de l’administration de calcium (alimentaire et suppléments) à une dose quotidienne maximale de 2000 à 2500 mg n’a pas montré d’association avec un risque de pathologie cardiovasculaire accru, chez des adultes généralement en bonne santé (14,15). Une étude de cohorte, de bonne qualité méthodologique, a montré clairement un rapport exponentiel entre la consommation de sucres ajoutés (à l’exception des fruits) et la mortalité cardiovasculaire sur une période de 15 ans (16,17). Une étude d’observation a montré qu’une restriction sodée a réduit, après dix à quinze ans de suivi, la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez des personnes présentant une pression artérielle normale haute (18,19).
Les céréales constituent une part importante de l’alimentation humaine. Sur base épidémiologique, il existait déjà des arguments pour suggérer que la consommation de céréales complètes est bonne pour la santé (20). Une étude de cohorte a montré un lien entre consommation importante d’hydrates de carbone, mortalité et maladies cardiovasculaires (21). Une méta-analyse a montré un lien entre consommation importante de céréales complètes et réduction du risque de mortalité cardiovasculaire (22). Une étude récente a également montré un lien entre consommation de fibres et de céréales complètes et diminution de mortalité cardiovasculaire (23). Sur base épidémiologique toujours, il existe également des arguments pour suggérer que la consommation d’aliments très transformés n’est pas à recommander (20), même si les causes peuvent être multiples (ajout de sel, de sucre…).
Une nouvelle étude de cohorte, multicentrique, tente d’apporter des réponses plus solides (24). L’étude de cohorte prospective analysée ici avait pour objectif d’évaluer l’association entre la consommation de céréales raffinées, de céréales complètes, de riz blanc, avec la morbidité cardiovasculaire, la mortalité totale, les lipides sanguins et la pression artérielle. 148858 participants de 35 à 70 ans dans 21 pays de niveau économique haut, moyen ou bas (137130 après exclusion de ceux qui présentaient une maladie cardiovasculaire à l’enregistrement), ont été suivis tous les 3 ans durant une période médiane de 9,5 années. Le suivi consistait en réponses à des questionnaires pour évaluer la consommation de nourriture, examens cliniques et mesures de lipides sanguins. L’évaluation reposait sur la mesure d’un indicateur primaire composite : la mortalité de cause cardiovasculaire, les événements cardiovasculaires majeurs (infarctus myocardique, AVC, insuffisance cardiaque) et d’autres indicateurs secondaires.
Au cours du suivi, 9,2% des participants ont eu un événement du critère de jugement composite. La catégorie de participants avec la plus haute consommation de céréales raffinées (≥ 350 g/j ou 7 consommations/j) avait le risque de mortalité le plus élevé (HR de 1,27 avec IC à 95% de 1,11 à 1,46), d’événements cardiovasculaires majeurs (HR de 1,33 avec IC à 95% de 1,16 à 1,52) et de résultats composites (HR de 1,28 avec IC à 95% de 1,15 à 1,42), comparativement à la catégorie avec le plus faible taux de consommation (<50 g/j). Les auteurs n’ont pas trouvé d’association entre la consommation de céréales complètes ou de riz avec les indicateurs de résultats.
Avec des données de 21 pays sur cinq continents utilisées pour cette analyse, divers modèles d'alimentation et un large éventail de consommation ont été caractérisés, et les résultats sont susceptibles d'être plus généralisables que ceux d'une étude menée dans un seul pays. Les auteurs annoncent que de nombreuses covariables en été prises en compte lors de l'analyse. L'ajout de médicaments dans le modèle n'a pas modifié les résultats, ce qui indique que les résultats étaient robustes. En plus du centre, de l'emplacement (urbain/rural) et du niveau de revenu des pays, la variation du statut socio-économique en ajustant l'éducation et l'indice de richesse, qui sont de puissants prédicteurs du statut socio-économique ont été pris en compte également. Avec de nombreux facteurs de confusion connus pris en compte, les auteurs reconnaissent que les associations observées pourraient encore être en partie dues à des facteurs de confusion résiduels. Il faut aussi noter que les données alimentaires recueillies dans les études épidémiologiques fournissent des estimations de l'apport alimentaire ou nutritionnel qui sont utiles pour regrouper les individus selon leurs niveaux relatifs d'apport d'un aliment, mais pas leurs niveaux absolus. Cela peut sous-estimer la relation entre le régime alimentaire et les événements. Reconnaissons cependant que les auteurs ont pris beaucoup de précaution pour assurer une robustesse certaine à leurs résultats.
Au total, s'il semble préférable de consommer des céréales complètes plutôt que des céréales raffinées, nous ne disposons pas encore de seuils clairs à recommander (un minimum quotidien de céréales complètes, un maximum quotidien de céréales raffinées, ou une proportion minimale entre les céréales complètes et les céréales raffinées).
Que disent les guides de pratique clinique ?
En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) recommandait en 2014 « pour les enfants âgés de 1 an et plus, les adolescents et les adultes que l’apport en glucides totaux représente 50 à 55% de l’apport énergétique total, que l’apport en glucides soit principalement couvert via la consommation d’aliments riches en fibres alimentaires et en micronutriments comme les céréales complètes (p. ex. pain gris), les pommes de terre, les légumineuses, les fruits et les légumes et que l’apport énergétique via les sucres ajoutés représente au maximum 10% de l’apport énergétique total » (25).
Le CSS a rappelé en 2019 (26) que, afin de profiter des bienfaits des céréales complètes, il est préférable que celles-ci remplacent les céréales raffinées (p.ex. préférer le pain intégral ou complet plutôt que du pain blanc, préférer les pâtes complètes aux pâtes blanches, etc.). Il est conseillé de manger tous les jours une quantité suffisante de produits céréaliers complets correspondant aux besoins énergétiques. La consommation quotidienne d’au moins 125 g de produits céréaliers complets est recommandée. Le CSS rappelle également qu’une faible consommation de produits céréaliers complets (apports inférieurs à 115 g par jour) comporte des risques pour la santé. La quantité correspondant au risque minimal pour la santé est actuellement chiffrée entre 100 et 150 g par jour en moyenne.
En attendant d’autres études, il reste raisonnable de recommander de limiter la consommation de céréales raffinées.
Conclusion
Cette étude de cohorte prospective, malgré les difficultés, les limites et les biais dans les démarches de collecter et de comparer des données fiables dans un aussi grand nombre de contextes très variables sur une période aussi longue, suggère que la consommation importante de céréales raffinées est associée à un risque plus important de mortalité et d’accidents cardiovasculaires majeurs. Elle n’a pas trouvé de lien, montré dans d’autres études, entre la consommation importante de céréales complètes et une diminution du risque des maladies cardiovasculaires, des cancers et des décès.
Références
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Auteurs
Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
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