Analyse
Qu’en est-il de l’effet de la restriction sodée sur la tension artérielle ?
La réduction de l’apport sodé (passant de 10 g de sel par jour, qui est la consommation la plus fréquente, à 5 à 6 g/j) est une action non pharmacologique recommandée chez les patients hypertendus (1), mais on ignore encore dans quelle mesure la restriction en sel à l’échelle de la population prévient la morbidité cardiovasculaire (2,3). Une revue Cochrane a également montré que la restriction sodée devrait plutôt être utilisée avec prudence en cas d’insuffisance cardiaque chronique et qu’une consommation normale de sel est probablement plus sûre dans cette situation (4,5). Chez ces patients, l’hyponatrémie pourrait théoriquement activer le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) avec pour conséquence le risque d’une progression de l’insuffisance cardiaque. Des études de population suggèrent une relation parabolique entre la consommation de sel et diverses formes de maladies cardiovasculaires (6,7).
Une récente synthèse méthodique et méta-analyse de la Cochrane (8) a examiné l’effet d’une restriction de l’apport alimentaire en sel sur la tension artérielle, sur les hormones du SRAA et sur les lipides. Une recherche a été effectuée dans le registre spécialisé du groupe Cochrane sur l’hypertension (Cochrane Hypertension Specialised Register), le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), MEDLINE, Embase, le portail de recherche de la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Platform) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et sur ClinicalTrials.gov jusqu’en avril 2018. Les critères d’inclusion étaient : études randomisées contrôlées, menées en double aveugle ou en ouvert, en groupes parallèles ou avec croisement, portant sur l’effet d’un apport sodé élevé et d’un faible apport sodé sur au moins un des critères d’évaluation suivants : pression artérielle, rénine, aldostérone, noradrénaline, adrénaline, cholestérol, cholestérol HDL, cholestérol LDL et triglycérides. Les études examinant exclusivement des patients présentant des comorbidités telles que le diabète ou l’insuffisance cardiaque ont été exclues. 250 études (n = 12296 patients) ont été incluses, comparant deux régimes alimentaires où l’apport en sel était différent ou comparant l’administration de comprimés de sel à un placebo. Comme critère de « faible » apport sodé, on a défini une consommation ≤ 100-250 mmol/j (soit ≤ 6-15 g/j) et, comme critère d’apport sodé « élevé », une consommation ≥ 150-250 mmol/j (soit ≥ 9-15 g/j) ou supérieure. L’observance a été estimée en mesurant l’excrétion de sodium dans un échantillon d’urine de 24 heures ou d’au moins 8 heures. L’apport sodé moyen dans le groupe d’étude où il était élevé était en moyenne de 11,5 g/j (soit 203 mmol/j (ET 66 mmol/j)), et, dans celui où il était faible, il était en moyenne de 3,8 g/j (soit 65 mmol/j (ET 4 mmol/j)). L’hypertension artérielle était définie comme une pression systolique ≥ 140 mmHg et/ou une pression diastolique ≥ 90 mmHg ou la prise d’antihypertenseurs. L’âge moyen des participants dans les analyses de la tension artérielle était de 47 ans (de 12 à 73 ans). La tension artérielle moyenne chez les normotendus était de 119/71 mmHg et, chez les hypertendus, de 151/94 mmHg.
En ce qui concerne l’effet sur la tension artérielle, les données ont été stratifiées en fonction de l’origine ethnique et de la tension artérielle (tension normale ou hypertension) :
- chez les participants blancs ayant une tension artérielle normale, la restriction en sel a réduit la pression systolique de -1,14 mmHg en moyenne (avec IC à 95% de -1,65 à -0,63 ; p = 0,0001 ; N = 95, n = 5982, I² = 69% ; GRADE élevé), et la pression diastolique est restée presque inchangée avec +0,01 mmHg (avec IC à 95% de -0,37 à 0,39 ; p = 0,96 ; N = 96, n = 6 276, I² = 60% ; GRADE élevé)
- chez les participants blancs hypertendus, la restriction en sel a réduit la pression systolique de -5,71 mmHg en moyenne (avec IC à 95% de -6,67 à -4,74 ; p < 0,00001 ; N = 88, n = 3 998, I² = 77 ; GRADE élevé) et la pression diastolique de -2,87 mmHg (avec IC à 95% de -3,41 à -2,32 ; p < 0,00001 ; N = 89, n = 4 032, I² = 60%; GRADE élevé)
- chez les participants noirs et asiatiques, les différences observées étaient plus importantes lors de la comparaison entre restriction sodée et absence de restriction sodée, et ce tant au niveau de la pression systolique que de la pression diastolique, et tant chez les patients normotendus que chez les patients hypertendus (GRADE faible).
En ce qui concerne les lipides, en cas de restriction sodée :
- le cholestérol a augmenté de 5,19 mg/dl (avec IC à 95% de 2,1 à 8,3 ; p = 0,001 ; N = 28 ; n = 917 ; I² = 0% ; GRADE élevé)
- les triglycérides ont augmenté de 7,10 mg/dl (avec IC à 95% de 3,1 à 11,1 ; p = 0,0004 ; N = 20 ; n = 712 ; I² = 0% ; GRADE élevé)
- il n’y a eu aucun effet sur les taux de cholestérol HDL (N = 20 ; n = 738) et de cholestérol LDL (N = 18, n = 696) (GRADE élevé).
Avec une réduction de l’apport sodé :
- le taux sanguin de rénine a augmenté de manière significative de 1,56 ng/ml/heure (avec IC à 95% de 1,39 à 1,73 ; p < 0,00001 ; N = 91 ; n = 2 904 ; GRADE élevé),
- le taux sanguin d’aldostérone a augmenté de 102,4 pg/ml (avec IC à 95% de 86,9 à 117,8 ; p < 0,00001 ; N = 70 ; n = 2 506 ; GRADE élevé)
- le taux sanguin de noradrénaline a augmenté de 62,3 pg/ml (avec IC à 95% de 41,9 à 82,8 ; p = 0,00001 ; N = 38, n = 878 ; GRADE élevé)
- le taux sanguin d’adrénaline a augmenté de 7,55 pg/ml (avec IC à 95% de 0,85 à 14,26 ; p = 0,03 ; N = 15 ; n = 331 ; GRADE modéré).
Près de 70% des études sélectionnées présentaient un biais de sélection et de performance. Les différences en termes de pression artérielle à l’entrée dans l’étude, de traitement, d’âge, d’intensité de la restriction sodée et de durée de l’intervention (entre 3 jours et 1111 jours) sont à l’origine d’une importante hétérogénéité clinique entre les études. Les analyses de sensibilité qui ont extrait les études avec des résultats fortement divergents ont diminué l’hétérogénéité statistique (I²) sans modifier les résultats. Le fait que l’excrétion urinaire de Na+ n’ait pas toujours été mesurée sur un échantillon d’urines de 24 heures complet est un autre inconvénient car une analyse sur une fraction d’échantillon d’urine est moins fiable (9). Une analyse à long terme de l’effet de la restriction sodée n’était pas possible. Cette étude ne permet pas non plus de formuler de conclusion concernant l’effet des modifications des paramètres métaboliques (lipides et hormones du SRAA) sur les critères d’évaluation cliniques (rétention hydrique, accélération du pouls, athérosclérose).
Que disent les guides de pratique clinique actuels ?
Le « triangle alimentaire » recommande à la population générale de « limiter le sel dans la cuisine et de ne pas en ajouter à table » (10). Chez les personnes atteintes d’hypertension artérielle, une réduction substantielle du sel à 5 - 6 g par jour est recommandée pour son effet hypotenseur (1,11).
Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse de la Cochrane de 250 études randomisées contrôlées, cliniquement hétérogènes, confirme que la diminution de la consommation de sel a pour effet à court terme d’abaisser de manière importante la pression systolique et diastolique chez les personnes hypertendues. De plus, chez les normotendus, il y avait une diminution discrète de la pression systolique en raison de la restriction du sel dans l’alimentation. La signification clinique de l’effet statistiquement significatif de la restriction sodée sur le métabolisme des lipides et les hormones du SRAA n’est pas claire et nécessite une étude plus approfondie, en particulier chez les personnes atteintes de diabète sucré et d’insuffisance cardiaque.
- Hypertension. Ebpracticenet. SSMG 1/01/2004. Dernière mise à jour 1/11/2009.
- De Cort P. Une moindre consommation de sel prévient-elle les maladies cardiovasculaires ? MinervaF 2012;11(1):4-5.
- Taylor RS, Ashton KE, Moxham T, et al. Reduced dietary salt for the prevention of cardiovascular disease: a meta-analysis of randomized controlled trials (Cochrane review). Am J Hypertens 2011;24:843-53. DOI: 10.1038/ajh.2011.115
- De Cort P. Insuffisance cardiaque chronique systolique : moins de sel alimentaire ? Minerva bref 28/06/2013.
- DiNicolantonio JJ, Pasquale PD, Taylor RS, Hackam DG. Low sodium versus normal sodium diets in systolic heart failure: systematic review and meta-analysis. Heart 2012. Published Online First 21 August 2012. DOI: 10.1136/heartjnl-2012-302337
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- Une nouvelle pyramide alimentaire. Vlaams Instituut Gezond Leven/Univers Santé, site consulté le 14/12/2021.
- NHG-Standaard. Cardiovasculaire risicomanagement. M84. Versie 4.0. juni 2019.
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