Analyse
Syndrome des brides lymphatiques axillaires après chirurgie axillaire pour un cancer du sein : kinésithérapie précoce spécialisée ?
Contexte
Minerva avait analysé en 2011 (1,2) une première étude montrant, dans la prévention d’un œdème lymphatique, l’efficacité d’une kinésithérapie précoce (incluant un drainage lymphatique manuel) par rapport à un programme éducatif pendant au moins un an après chirurgie pour cancer du sein avec curage des ganglions lymphatiques axillaires. Une autre étude randomisée, de bonne qualité méthodologique, a montré (3,4) que chez des patientes présentant un cancer du sein devant être opéré et à risque de développer des complications post-opératoires, un programme structuré d’exercices, pratiqué par des kinésithérapeutes spécialisés, permet d’améliorer après 1 an, par rapport aux soins usuels, la fonction du membre supérieur sans occasionner plus de risques.
Les séquelles après curage axillaire ne se résument en effet pas au seul lymphœdème. Le syndrome des brides lymphatiques axillaires (axillary web syndrome en anglais), décrit en 1996 par le kinésithérapeute français Jean-Claude Ferrandez (5), est une complication très fréquente du curage axillaire réalisé dans le traitement du cancer du sein. L’arrêt partiel de la circulation lymphatique du membre supérieur provoque une réaction des vaisseaux oblitérés (lymphangiothromboses). Cette oblitération crée le tableau connu des brides lymphatiques comparées à des « cordes de guitare qui courent sur le membre ». Une première étude randomisée coréenne (6) a montré que la kinésithérapie améliore la fonction de l'épaule, la douleur et la qualité de vie chez les patientes atteintes d'un cancer du sein avec ce syndrome et, combinée à un drainage lymphatique manuel, diminue le lymphœdème du bras. Une nouvelle étude randomisée espagnole (7) a évalué dans le même contexte l’efficacité d’un programme de kinésithérapie par drainage lymphatique manuel avec exercices progressifs du bras.
Résumé
Etude clinique randomisée unicentrique.
Population étudiée :
- critères d’inclusion :
- cancer unilatéral du sein
- chirurgie mammaire avec lymphadénectomie et/ou biopsie des ganglions lymphatiques de la sentinelle
- syndrome des brides lymphatiques axillaires dans le membre supérieur du côté opéré
- indice de douleur subjectif > 30 mm évalué sur une échelle visuelle analogique (EVA)
- aucune contre-indication à la kinésithérapie (infection, fièvre, métastases)
- critères d’exclusion :
- lymphœdème
- cancer du sein bilatéral
- maladie métastatique
- infection
- fièvre
- récidive locorégionale
- troubles neurologiques
- capsulite rétractile
- consommation d'analgésiques et d'anti-inflammatoires
- thrombose aiguë
- maladie psychiatrique
- incapacité à comprendre et à remplir les questionnaires de l'étude ( troubles cognitifs et / ou déficit visuel pour la lecture) ou les informations et instructions de traitement
- syndrome des brides lymphatiques axillaires sur la poitrine ou le thorax ipsilatéral n'impliquant pas le bras.
Protocole d’étude
- intervention : drainage lymphatique manuel utilisant des mouvements de résorption et des exercices du bras comme s'il s'agissait d'exercices de glissement neurodynamique du nerf médian sans charge neurale avec une composante éducative sur la réduction des symptômes du syndrome ; réalisée par des kinésithérapeutes formés à la technique
- comparateur : exercices standards des bras avec la même composante éducative
- le traitement a été réalisé 3 fois par semaine pendant 3 semaines et a commencé 2 à 5 semaines après la chirurgie mammaire ; les évaluations se tiennent à la fin de la prise en charge (A0), à 3 mois et à 6 mois après le temps A0.
Critères de jugement
- critère de jugement primaire :
- intensité subjective de la douleur, mesurée à l'aide d'une EVA
- critères de jugement secondaires :
- douleur et restriction de l'amplitude de mouvement actif de l'épaule
- invalidité perçue de l'épaule, évaluée à l'aide du score d'épaule d'Oxford autodéclaré (OSS)
- qualité de vie liée à la santé, mesurée à l'aide de la version espagnole du Functional Assessment of Cancer Therapy-Breast (FACT-B).
Résultats
- 95 patientes (âge médian : 48,6 ans) ont été randomisées et suivies : 48 dans le bras expérimental et 47 dans le bras contrôle
- critère de jugement primaire : intensité subjective de la douleur significativement diminuée dans le bras expérimental en fin de traitement (p < 0,001) et à 3 mois (p < 0,001) mais pas à 6 mois
- critères de jugement secondaires :
- douleur et restriction de l'amplitude de mouvement actif de l'épaule : significativement améliorée dans le bras expérimental en fin de traitement (p < 0,001) et à 3 mois (p < 0,001) mais pas à 6 mois
- invalidité perçue de l'épaule, évaluée à l'aide du score d'épaule d'Oxford autodéclaré (OSS) : significativement améliorée dans le bras expérimental en fin de traitement (p < 0,001) et à 3 mois (p < 0,001) mais pas à 6 mois
- qualité de vie liée à la santé : significativement améliorée dans le bras expérimental en fin de traitement et à 3 mois mais pas à 6 mois
- le volume du bras s'est amélioré dans les deux groupes tout au long du suivi, avec une plus grande amélioration dans le bras expérimental
- le taux d'adhésion aux programmes d'exercices pendant l'intervention était similaire dans les deux groupes, avec une adhésion élevée (92,4% et 89,2% respectivement)
- aucun effet indésirable n'a été trouvé ; cependant, 3 participantes (1 dans le bras expérimental et 2 dans le bras contrôle) ont eu une récidive du syndrome après un traitement adjuvant (chimiothérapie et radiothérapie).
Conclusion des auteurs
Le programme de physiothérapie adapté au syndrome des brides lymphatiques axillaires s'est avéré efficace sur les symptômes du syndrome chez les femmes après une chirurgie du cancer du sein, à la fois immédiatement après le programme et après 3 mois.
Financement de l'étude
Cette étude a été financée par l'Instituto de Salud Carlos III, Madrid, Espagne, et par le Fonds européen de développement régional (FONDOS FEDER).
Conflits d’intérêts des auteurs
Les auteurs ne rapportent pas de conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
L’étude randomisée a été bien conçue et conduite selon un protocole enregistré sur ClinicalTrials.gov. La technique de kinésithérapie est décrite en détail dans l’article, elle a été réalisée dans les deux bras par des kinésistes spécialisés dans la prise en charge des patientes mastectomisées. L’objectif primaire est bien décrit avec des considérations statistiques définies a priori et bien respectées avec atteinte de l’échantillon de patientes requis pour l’analyse. Le seul point critiquable est l’exclusion d’une patiente pour l’analyse à 6 mois dans le bras contrôle car elle a développé un lymphœdème secondaire. Ce cas aurait dû être considéré comme un échec. Cette exclusion ne change cependant pas les résultats rapportés.
Évaluation des résultats
La technique de kinésithérapie du groupe intervention, à savoir drainage lymphatique manuel utilisant des mouvements de résorption et des exercices du bras comme s'il s'agissait d'exercices de glissement neurodynamique du nerf médian sans charge neurale, réalisée dans les semaines qui suivent l’intervention chirurgicale s’avère efficace contre le syndrome des brides lymphatiques axillaires, du moins dans les premiers mois selon les évaluations réalisées en fin de traitement et à 3 mois. Les résultats à 6 mois rejoignent ceux de la kinésithérapie postopératoire dite de soins courants du bras contrôle. Il n’y a pas de bras contrôle sans traitement car cela n’aurait pas été éthique. Il a en effet été montré par de nombreux travaux que la participation de ces patientes à une surveillance prospective avec une prise en charge précoce réduit le risque de lymphœdème chronique du bras lié au cancer du sein (8). Les auteurs expliquent l’intérêt de leur traitement par le fait que la douleur chronique est une des complications à long terme les plus fréquentes du cancer du sein, touchant environ 30 % des survivantes confrontées à une douleur supérieure à la moyenne 10 ans après la fin du traitement et que l'un des moyens les plus importants de réduire l'incidence de cette douleur chronique est d'empêcher la douleur aiguë de se produire et de bien la gérer lorsqu'elle se produit. Le traitement ne s’avère cependant pas supérieur aux soins courants dans l’évaluation à 6 mois. L’étude ne donne pas non plus de résultats plus tardifs, que ce soit sur la douleur ou la survenue d’un lymphœdème du bras. L’effet bénéfique ne semble donc que de quelques mois au maximum.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le KCE recommande, après un curage axillaire, un traitement de kinésithérapie de mobilité (9). Pour la Société Européenne d’Oncologie médicale (ESMO) (10), selon ses recommandations de 2019, des installations et des services de réadaptation spécialisés sont indispensables pour diminuer les séquelles physiques, psychologiques et sociales du traitement du cancer du sein. Les principaux objectifs de la kinésithérapie devraient inclure la prévention et le traitement du lymphœdème, assurer une gamme complète de mouvements du bras et de l'épaule, et prévenir ou corriger les défauts posturaux résultant de la mastectomie. Il n'existe aucune donnée indiquant que tout type de kinésithérapie peut augmenter le risque de récidive. Lorsque cela est indiqué, les patients ne doivent pas se voir refuser l'accès aux services de réadaptation. Ces recommandations ont été adoptées en 2020 par les sociétés asiatiques (11). Pour la Société américaine (ASCO), en 2018 (12), la thérapie au laser de bas niveau, le drainage lymphatique manuel et le bandage compressif peuvent être envisagés pour améliorer le lymphœdème.
Conclusion de Minerva
Un programme de kinésithérapie adapté au syndrome des brides lymphatiques axillaires avec une composante éducative sur la réduction des symptômes du syndrome améliore le handicap de l'épaule perçu par les malades et les aspects physiques et fonctionnels spécifiques de la qualité de vie par rapport aux exercices standard des bras avec la même composante éducative. La prise en charge par kinésithérapie précoce après chirurgie axillaire pour un cancer du sein est recommandée pour éviter le développement d’un lymphœdème. La présente étude contrôlée suggère qu’une une kinésithérapie spécialisée pour éviter les conséquences du syndrome des brides lymphatiques axillaires pourrait être bénéfique, du moins à court terme. D’autres études contrôlées pour confirmer les résultats initiaux et des données avec un suivi plus long sont nécessaires avant de recommander de l’intégrer dans la pratique quotidienne.
- Vanwelde A. Kinésithérapie précoce en prévention de l’œdème lymphatique après chirurgie du cancer du sein ? MinervaF 2011;10(2):19-20.
- Torres Lacomba M, Yuste Sánchez MJ, Zapico Goñi A, et al. Effectiveness of early physiotherapy to prevent lymphoedema after surgery for breast cancer: randomised, single blinded, clinical trial. BMJ 2010;340:b5396. DOI: 10.1136/bmj.b5396
- Joly L. Un programme d’exercice après une chirurgie non reconstructrice pour cancer du sein chez les patientes à risque de développer une complication post-opératoire ? MinervaF 2022;21(5):100-3.
- Bruce J, Mazuquin B, Canaway A, et al. Exercise versus usual care after non-reconstructive breast cancer surgery (UK PROSPER): multicentre randomised controlled trial and economic evaluation. BMJ 2021;375:e066542. DOI: 10.1136/bmj-2021-066542
- Ferrandez JC. Évolution des vaisseaux lymphatiques après curage axillaire : oblitérations et thromboses lymphatiques superficielles. Kinésithér Scient 2012;537:19-21.
- Cho Y, Do J, Jung S, et al. Effects of a physical therapy program combined with manual lymphatic drainage on shoulder function, quality of life, lymphedema incidence, and pain in breast cancer patients with axillary web syndrome following axillary dissection. Support Care Cancer 2016;24:2047-57. DOI: 10.1007/s00520-015-3005-1
- Torres-Lacomba M, Prieto-Gómez V, Arranz-Martín B, et al. Manual lymph drainage with progressive arm exercises for axillary web syndrome after breast cancer surgery: a randomized controlled trial. Phys Ther 2022;102:pzab314. DOI: 10.1093/ptj/pzab314
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Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
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