Analyse
Une augmentation de la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus grâce au test HPV sans examen au spéculum ?
Contexte
En Belgique, le dépistage du cancer du col de l’utérus se fait actuellement au moyen d’un frottis. La participation à ce dépistage n’est pas optimale : on estime que la proportion de femmes belges qui ne participent pas au dépistage peut atteindre 40% (1). On sait que l’examen au spéculum est un obstacle à la participation au dépistage. Les femmes âgées jugent l’examen au spéculum encore plus gênant ou perturbant ; cela s’explique par l’atrophie vaginale, l’augmentation du BMI et les problèmes musculo-squelettiques (2). Comme indiqué précédemment dans Minerva, d’autres méthodes de dépistage du cancer du col cervical, comme l’autotest de dépistage du papillomavirus humain (HPV), sont aussi fiables que le frottis (3,4). L’impact de l’autotest HPV sur le taux de participation dans différents groupes doit cependant faire encore l’objet de recherche (5,6). Par ailleurs, un test HPV effectué par le médecin sans examen au spéculum peut également être proposé comme option (7).
Résumé
Population étudiée
- inclusion de 784 femmes âgées de 50 à 64 ans de dix cabinets de médecine générale multiculturels (environ 50% d’origine africaine ou asiatique) de East London qui, d’après le dossier médical informatisé du médecin généraliste, avaient au moins douze mois de retard pour leur frottis, mais chez qui au moins un frottis avait été réalisé au cours des quinze dernières années.
Protocole d’étude
Étude randomisée contrôlée (RCT), pragmatique, menée en ouvert
- groupe intervention (n = 393) : les femmes ont reçu une invitation écrite à passer le dépistage, avec au choix un autotest HPV qu’elles pouvaient recevoir et retourner par courrier, un test HPV qu’elles pouvaient passer au cabinet médical (sans spéculum) ou un frottis classique ; en cas de test HPV positif, les femmes ont reçu un courrier (avec le médecin généraliste en copie) qui les en informait et leur conseillait de passer un examen au spéculum chez le médecin généraliste
- groupe témoin (n = 391) : les femmes ont reçu une invitation, par courrier, par téléphone ou par SMS, pour passer un frottis réalisé tous les 5 ans avec tri par examen cytologique en milieu liquide pour rechercher le HPV
- les participantes du groupe intervention ont également reçu un questionnaire leur demandant leur expérience concernant le test, quels obstacles expliquent qu’elles n’avaient pas participé aux précédents dépistages et leurs préférences en matière de dépistage pour le futur.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : différence entre le groupe intervention et le groupe témoin quant au pourcentage de femmes qui ont participé au dépistage du cancer du col de l’utérus dans les 4 mois suivant l’invitation
- critères de jugement secondaires : participation au dépistage du cancer du col de l’utérus dans les 12 mois, différences quant à la participation selon l’âge, l’origine ethnique et le statut en termes de précédents dépistages, perceptions par rapport à la méthode de dépistage.
Résultats
- la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus dans les 4 mois suivant l’invitation était plus élevée dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative : 20,4% contre 4,9% soit une différence absolue de 15,5% (avec IC à 95% de 11,0% à 20,0% ; p < 0,001)
- de même après 12 mois, le taux de participation était plus important dans le groupe intervention que dans le groupe témoin (30,5% contre 13,6% soit une différence absolue de 17,0% (avec IC à 95% de 11,3% à 22,7% ; p < 0,001)
- il n’y avait pas de différence dans le taux de participation selon l’âge ou l’origine ethnique ; les femmes du groupe intervention dont le dernier frottis remontait à plus de 10 ans ont moins participé au dépistage à 4 mois et au dépistage à 12 mois que les femmes qui avaient participé au dépistage entre 6 et 10 ans auparavant
- autant de femmes ont participé au dépistage par frottis après 12 mois dans les deux groupes (12,7% dans le groupe intervention et 13,6% dans le groupe témoin) ; dans le groupe intervention, 41,7% ont opté pour un frottis, 22,5% pour un test HPV réalisé par le médecin, et 35,8% pour un autotest HPV ; dans le groupe intervention, la moitié des femmes blanches ont opté pour un autotest HPV, tandis que les femmes d’origine asiatique, africaine ou mixte ont opté le plus souvent pour un frottis (respectivement 53,3%, 71,4% et 66,7%) (p < 0,001)
- la plupart des femmes du groupe intervention estimaient qu’il était important de pouvoir choisir entre différentes options (88% pour l’autotest HPV et 72% pour le test HPV réalisé par un médecin) ; les femmes qui ont choisi l’autotest HPV avaient moins confiance dans le soin apporté à la réalisation du test que les femmes qui ont opté pour un test HPV réalisé par un médecin (64,3% contre 23,5% ; p = 0,009) ; 27,8% des femmes chez qui un médecin a réalisé un test HPV ont éprouvé un sentiment de honte contre 4,8% des femmes qui ont réalisé elles-mêmes le test HPV (p = 0,021).
Conclusion des auteurs
Proposer un autotest HPV ou un test HPV réalisé par le médecin sans examen au spéculum augmente la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes âgées qui ne se sont pas récemment soumises à un dépistage par frottis. Les femmes qui éprouvent de l’aversion à l’égard des examens au spéculum mais qui souhaitent quand même impliquer un médecin dans le prélèvement de l’échantillon optent pour un test HPV effectué par le médecin. Pour optimiser la participation des femmes au dépistage du cancer du col de l’utérus, il peut être important de leur donner le choix.
Financement de l’étude
L’étude a été en grande partie financée par Cancer Research UK, une association caritative britannique de lutte contre le cancer.
Conflits d’intérêt des auteurs
Le dernier auteur a reçu un « soutien non financier » de la société qui fabrique les kits d’auto-prélèvement.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Pour étudier l’effet d’une invitation à un autotest HPV ou à un test HPV réalisé par un médecin sans examen au spéculum dans le cadre d’un programme de dépistage du cancer du col de l’utérus existant, les chercheurs ont à raison utilisé une conception de Zelen (voir l’article méthodologique (8)). L’inclusion a été effectuée à partir des dossiers médicaux informatisés chez le médecin généraliste. L’étude pouvait ainsi être menée sans en informer le groupe témoin. Il y avait peu de critères d’inclusion et d’exclusion, ce qui convient pour une étude pragmatique (9). Les numéros NHS des participants ont été utilisés pour le processus de randomisation. La randomisation a été effectuée dans chaque cabinet de médecine générale individuellement afin que, dans chaque cabinet, il y ait le même nombre de participantes attribués à chaque groupe d’étude. Une taille d’échantillon a été calculée sur la base d’un taux de participation attendu de 4 à 8% dans le groupe témoin. Les taux de participation à 4 mois (principal critère de jugement) et à 12 mois ont été évalués. Ceci est important pour détecter un effet « coup de pouce ». Il est en effet possible que les femmes du groupe intervention, qui, déjà avant la randomisation, prévoyaient de se soumettre au dépistage aient été encouragées par l’invitation à s’y soumettre plus tôt. Les chercheurs ont effectué une analyse en intention de traiter, comme requis pour une conception de Zelen.
Discussion des résultats
Cette étude montre un effet bénéfique de la proposition d’un autotest HPV et d’un test HPV réalisé par un médecin sans examen au spéculum sur le taux de participation au dépistage du cancer du col de l’utérus, tant à 4 mois qu’à 12 mois. L’option supplémentaire offerte aux femmes de passer un test HPV réalisé par leur médecin sans la nécessité d’un examen au spéculum est quelque chose de très novateur pour cette étude. L’effet bénéfique de cette intervention est plus important que dans plusieurs autres études menées au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe, où seul un autotest était proposé comme méthode de dépistage alternative (10,11). Le gain de dépistage dans cette étude repose entièrement sur les deux options de dépistage du HPV car le nombre d’écouvillons est le même dans le groupe témoin et dans le groupe intervention. L’étude s’est déroulée dans un quartier ethniquement diversifié, mais l’intervention n’était ouverte qu’aux femmes qui maîtrisaient suffisamment l’anglais pour comprendre la lettre d’invitation et la brochure d’information. De plus, il semble que ce sont principalement les femmes blanches qui optent pour les options alternatives (test HPV). Les femmes d’origine asiatique et africaine étaient plus susceptibles, et ce de manière statistiquement significative, d’opter pour le frottis classique, ce qui cadre avec les études précédentes (12,13). Le gain de loin le plus important dans cette étude a donc été observé chez les femmes blanches : après un an, celles du groupe intervention qui s’étaient soumises au dépistage étaient trois fois plus nombreuses que dans le groupe témoin. L’augmentation absolue du taux de participation par rapport au groupe témoin était de 22% chez les femmes blanches qui s’étaient soumises au dépistage, contre 11% chez les femmes d’ascendance africaine et 7% chez les femmes d’origine asiatique. Le fait qu’aucune différence statistiquement significative n’ait été trouvée entre les différents groupes ethniques quant à la participation est probablement dû à un manque de puissance pour démontrer cette différence.
Une autre limite de cette étude est qu’elle excluait les femmes chez qui le dépistage n’avait encore jamais été réalisé. Le raisonnement des chercheurs était que les femmes qui n’ont jamais participé au dépistage avant l’âge de 50 ans sont bien convaincues de leur choix de ne pas s’y soumettre. Elles seraient donc moins susceptibles de participer à l’intervention. C’est dommage, car les plus grands gains de santé peuvent être obtenus chez les femmes chez qui le test n’a jamais été réalisé. En 2021, l’OMS a fixé des objectifs de dépistage du cancer du col de l’utérus d’ici 2030 (14), et l’un des objectifs est de réaliser un dépistage chez le plus grand nombre de femmes possible au moins deux fois dans leur vie. À cet égard, il aurait été judicieux d’inclure dans l’étude également des femmes chez qui le dépistage n’avait jamais été réalisé. L’exclusion de ce groupe difficile à atteindre, comme le soulignent les auteurs eux-mêmes, a également contribué au résultat très favorable de l’étude.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le dépistage primaire du HPV n’est pas encore recommandé dans les guides de pratique clinique belges, bien que le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) ait rapporté en 2015 que le test HPV était plus efficace que le frottis classique pour le dépistage du cancer du col de l’utérus et qu’il permettait en outre d’allonger l’intervalle de dépistage de 3 ans à 5 ans (1). Actuellement, l’indication d’un test HPV est limitée au tri des frottis présentant des anomalies (entre autres frottis ASCUS (atypical squamous cell of undetermined significance)) (15).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, suivant la conception de Zelen, montre que la proposition d’un autotest HPV et d’un test HPV réalisé par un médecin sans examen au spéculum accroît la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus après 4 mois et après 1 an respectivement de 15,5% et de 17% parmi les femmes âgées de 50 à 64 ans qui n’avaient pas répondu à l’invitation au dépistage par un frottis réalisé tous les cinq ans.
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Auteurs
Verhoeven V.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Universiteit Antwerpen
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
étude ouverteCode
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