Analyse


Absence de signaux d’alerte pour prédire le type de fracture en cas de lombalgies aiguës


17 04 2024

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Han CS, Hancock MJ, Downie A, et al. Red flags to screen for vertebral fracture in people presenting with low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD014461.pub2


Question clinique
Chez les patients souffrant de lombalgie, quelle est l'exactitude diagnostique des signaux d'alarme utilisés pour dépister une fracture vertébrale chez les personnes et ce pour les différents types de fracture vertébrale (fracture vertébrale par compression vertébrale ostéoporotique aiguë, fracture traumatique vertébrale, fracture vertébrale de stress, fracture vertébrale non précisée) ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la Cochrane montre que quelques signaux d’alarme sont prometteurs. En soins primaires, « âge avancé » est informatif pour « fracture vertébrale non précisée » et « traumatisme » et « utilisation de corticostéroïdes » sont tous deux informatifs pour « fracture vertébrale non précisée » et « fracture vertébrale ostéoporotique ». En soins secondaires, « âge avancé » est informatif pour une « fracture vertébrale ostéoporotique » et « traumatisme » est informatif pour une « fracture vertébrale non précisée ». En soins tertiaires, la « présence d'une contusion/abrasion » est informative pour une « fracture vertébrale par compression ». Les combinaisons de signaux d'alarme sont également informatives et pourraient être plus utiles pour aider les cliniciens à prendre des décisions que les tests individuels seuls. Pour Minerva, par manque de données ad hoc dans la littérature, cette revue de la Cochrane ne change pas la pratique et doit inciter à plus de recherche.


Contexte

Les lombalgies sont un problème important de santé publique, avec une petite proportion qui a tendance à se chroniciser, ce qui engendre des incapacités importantes en durée et en intensité et un coût substantiel pour les soins de santé, l’assurance maladie et le fond des maladies professionnelles. En 2001, Minerva a analysé une étude (1,2) qui, en pratique générale, montrait qu’une radiographie pratiquée chez des patients lombalgiques (depuis au moins 6 semaines) ne conduit pas à un meilleur fonctionnement, à une diminution de la douleur ou à une amélioration de l’état général de santé du patient. En 2021, Minerva a analysé une revue systématique (3,4) avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique montrant que l’utilisation de l’outil de dépistage STarT Back Tool, un questionnaire simple et standardisé portant autant sur les aspects psychosociaux que physiques, est utile pour proposer aux patients lombalgiques une prise en charge adaptée, de façon précoce, selon le niveau de risque de chronicisation et diminuer ainsi douleur et degré d’incapacité à court terme (3 à 6 mois). Mais quels sont les signes d’alerte pour dépister une fracture vertébrale chez les personnes souffrant de lombalgie aiguë ? Une équipe dans le cadre de la collaboration Cochrane a réalisé une revue systématique pour répondre à cette question (5).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique de la littérature.
 

Sources consultées

  • MEDLINE (Ovid, from 1946) 
  • Embase (Embase.com)
  • CINAHL (EBSCO)
  • recherche d’autres études issues des références dans les articles sélectionnés et de consultation d’experts.

 

Etudes sélectionnées

  • études de diagnostic primaire comparant des résultats de l'anamnèse et/ou de l'examen physique (test index) avec un test standard de référence (radiographie, imagerie par résonance magnétique (IRM), tomodensitométrie (TDM), tomodensitométrie par émission de photons (SPECT) pour l'identification des fractures vertébrales chez les personnes souffrant de lombalgie ; pas de limitation linguistique
  • exclusion : études avec des participants diagnostiqués avec des fractures vertébrales pathologiques (par exemple, fractures malignes) ; études cas-témoins incluant certains participants (cas) déjà diagnostiqués avec une fracture vertébrale et certains participants (témoins) sans fracture vertébrale ; études dont le diagnostic est basé sur le jugement clinique (car trop difficile à interpréter)
  • au total, 14 études ont été incluses : 8 d’une précédente revue systématique de 2013 et 6 nouvelles études ; six études se déroulent en soins primaires, 5 en soins secondaires et 3 en soins tertiaires ; quatre études se rapportent aux fractures vertébrales ostéoporotiques, 2 aux fractures vertébrales par compression, 1 aux fractures vertébrales ostéoporotiques et traumatiques, 2 aux fractures vertébrales de stress et 5 à des fractures vertébrales non spécifiées. 

 

Population étudiée

  • adolescents (à partir de 15 ans) ou adultes se présentant en soins primaires, secondaires ou tertiaires pour la prise en charge de la lombalgie.

 

Mesure des résultats

  • mesures des résultats primaires : précision diagnostique des signaux d'alarme utilisés pour dépister les fractures vertébrales chez les personnes souffrant de lombalgie, séparément pour différents types de fracture vertébrale (c'est-à-dire fracture vertébrale ostéoporotique aiguë par compression, fracture traumatique vertébrale, fracture vertébrale de stress, fracture vertébrale non précisée)
  • mesures des résultats secondaires : 
    • influence des sources d'hétérogénéité sur l'exactitude diagnostique des tests d'alerte, le cas échéant, en particulier au sein des différents types de fracture vertébrale, en raison de facteurs tels que le milieu de soins de santé (par exemple soins primaires, d'urgence ou secondaires)
    • évaluation de l'âge moyen des participants dans chaque étude incluse à différents seuils (par exemple, plus de 50 ans versus plus de 70 ans).

 

Résultats 

  • résultats primaires : analyse irréalisable par manque de données
  • résultats secondaires : analyse rapportée selon le milieu de soins : résultats d’études individuelles seulement rapportés :
    • soins primaires (6 études, 6365 participants) : 
      • étude du signal d’alerte = traumatisme : rapport de vraisemblance positif (RV+) de 1,93 (avec IC à 95% de 0,67 à 5,53) à 12,85 (avec IC à 95% de 8,58 à 19,24) pour les « fractures vertébrales non précisées » et 6,42 (avec IC à 95% de 2,94 à 14,02) pour les fractures vertébrales ostéoporotiques ; les rapports de vraisemblance négatifs (RV-) étaient respectivement de 0,36 (avec IC à 95% de 0,22 à 0,62) à 0,88 (avec IC à 95% de 0,67 à 1,17)
      • étude du signal d’alerte = âge avancé supérieur à 70 ans : RV+ à 11,19 (avec IC à 95% de 5,33 à 23,51) pour les fractures vertébrales non précisées 
      • étude du signal d’alerte = corticothérapie : RV+ de 3,97 (avec IC à 95% de 0,20 à 79,15) à 48,50, avec IC à 95% de 11,48 à 204,98) pour les « fractures vertébrales non précisées » et RV+ de 2,46 (avec IC à 95% de 1,13 à 5,34) pour fracture vertébrale ostéoporotique 
      • étude du signal d’alerte = combinaison de tests index tels que âge plus avancé et sexe féminin : RV+ de 16,17 (avec IC à 95% de 4,47 à 58,43) pour les fractures vertébrales non précisées
    • soins secondaires (5 études, 12135 participants) :
      • étude du signal d’alerte = traumatisme : RV+ de 2,18 (avec IC à 95% de 1,86 à 2,54) pour une fracture vertébrale non spécifiée 
      • étude du signal d’alerte = âge avancé plus de 75 ans : RV+ de 2,51 (avec IC à 95% de 1,48 à 4,27 pour la fracture vertébrale ostéoporotique 
      • étude du signal d’alerte = âge avancé et les traumatismes :  RV+ de 4,35 (avec IC à 95% de 2,92 à 6,48) pour une fracture vertébrale non spécifiée 
    • soins tertiaires (3 études, 1259 participants) : 
      • étude du signal d’alerte = présence de contusion/abrasion : RV+ de 31,09 (avec IC à 95% de 18,25 à 52,96) pour fracture vertébrale par compression.  

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les preuves disponibles suggèrent que seuls quelques signaux d’alarme sont potentiellement utiles pour orienter les décisions cliniques visant à approfondir les investigations sur les personnes suspectées d’avoir une fracture vertébrale. La plupart des signaux d’alarme n’étaient pas utiles en tant qu’outils de dépistage pour identifier les fractures vertébrales chez les personnes souffrant de lombalgies. En soins primaires, l’âge avancé était informatif pour une « fracture vertébrale non précisée », et un traumatisme et l’utilisation de corticostéroïdes étaient tous deux informatifs pour une « fracture vertébrale non précisée » et une « fracture vertébrale ostéoporotique ». En soins secondaires, l’âge avancé était informatif pour une « fracture vertébrale ostéoporotique » et un traumatisme était informatif pour une « fracture vertébrale non précisée ». En soins tertiaires, la présence d'une contusion/abrasion était informative pour une « fracture vertébrale par compression ». Les combinaisons de signaux d’alarme étaient également informatives et peuvent être plus utiles que des tests individuels seuls. Malheureusement, il reste difficile de fournir des indications claires sur les signaux d’alarme à utiliser systématiquement dans la pratique clinique. Des recherches supplémentaires avec des études primaires sont nécessaires pour améliorer et consolider nos recommandations actuelles en matière de dépistage des fractures vertébrales afin d'orienter les soins cliniques.

 

Financement de l’étude

Par la Dutch Health Care Insurance Board, Netherlands et la National Health and Medical Research Council, Australia.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Un des auteurs rapporte des liens de consultance. 

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

La revue a été réalisée selon les recommandations Cochrane en suivant le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions. Deux auteurs de la revue ont appliqué indépendamment les critères de sélection à toutes les études (titres et résumés) identifiées lors de la recherche documentaire. Ils ont exclu indépendamment les études clairement non pertinentes et ont ensuite récupéré et évalué de manière indépendante les publications en texte intégral en utilisant les critères d'inclusion prédéfinis. Tous les désaccords ont été résolus par consensus, en consultant d'autres auteurs de la revue si nécessaire. Cela a permis de sélectionner 14 études. La plupart des études étaient hétérogènes et ne présentaient pas de données basées sur les différents types de fractures vertébrales. Une limite de cette revue est en effet la nature hétérogène des études incluses et le manque de recherches diagnostiques évaluant les signaux d'alarme pour dépister une fracture vertébrale. De nombreux tests index ont été étudiés par des études uniques, mais peu d'études ont étudié les mêmes tests index. Il y avait également peu d'accord uniforme sur la définition des tests index.
L'évaluation de la qualité des résultats a été réalisée à l'aide de l'échelle QUADAS-2. Aucune étude n'a montré aucun risque de biais dans tous les domaines, 9 études présentant même 1 à plusieurs risques de biais importants ; cependant, 10 études sur 14 n’ont pas montré des préoccupations de biais concernant l'applicabilité des résultats.

 

Évaluation des résultats 
L’objectif primaire de la revue systématique n’a pu être atteint faute d’études ad hoc. Il n’est donc pas possible d’utiliser, chez les personnes souffrant de lombalgie, des signaux d'alarme pour dépister les différents types de fracture vertébrale (c'est-à-dire fracture vertébrale ostéoporotique aiguë par compression, fracture traumatique vertébrale, fracture vertébrale de stress, fracture vertébrale non précisée). Les auteurs se sont donc rabattus sur des objectifs secondaires, à savoir la valeur des signaux d’alarme selon la structure de soins. Notons que le présent article est une mise à jour d’une précédente revue Cochrane par le même groupe (6,7), mise à jour qui a fait l’objet de deux articles avec le même titre dont l’un couvre les signes d’alerte pour une fracture quel qu’en soit le type (8). Cette pratique crée de la confusion et pourrait s’apparenter à du saucissonnage. Les auteurs auraient mieux fait de mettre l’ensemble des données dans la même publication.
La revue Prescrire (9) a fait récemment un bilan sur le sujet dans sa rubrique « signes à la loupe » : « Quand on évoque une fracture vertébrale chez un adulte qui souffre de lombalgie récente, la connaissance de la prévalence des fractures chez les patients lombalgiques examinés en soins de premiers recours permet d’estimer à environ 1% à 4% la probabilité de fracture vertébrale, avant de recueillir d’autres informations auprès du patient. Le repérage de certains ‘signes d’alerte’ lors de l’entretien augmente de manière très importante cette probabilité, notamment : un âge supérieur à 70 ans ; une corticothérapie prolongée ; un traumatisme récent ».

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Les sociétés de radiologie se basent sur des signes d’alerte pour recommander le type d’examens radiologiques à prescrire (10). Les signes d’alerte utilisés proviennent d’analyse de littérature des années 1990. 
Les signes d’alerte à prendre en compte chez un patient présentant un mal de dos/radiculopathie incluent les contextes suivants : 

  • prédicteurs de cancer ou infection : antécédents de cancer, perte de poids inexpliquée, immunosuppression, infection urinaire, consommation de drogues intraveineuses, utilisation prolongée de corticostéroïdes, maux de dos non améliorés par une prise en charge conservatrice, fièvre
  • prédicteurs de fracture de la colonne vertébrale : antécédents de traumatisme important, chute mineure ou port de charges lourdes chez une personne potentiellement ostéoporotique ou âgée, utilisation prolongée de corticostéroïdes
  • prédicteurs de compression de la moelle épinière : syndrome de la queue de cheval, apparition aiguë de rétention urinaire ou d'incontinence par regorgement, perte du tonus du sphincter anal ou incontinence fécale, anesthésie en selle, faiblesse motrice globale ou progressive des membres inférieurs, atteinte neurologique grave.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de la Cochrane montre que quelques signaux d’alarme sont prometteurs. En soins primaires, « âge avancé » est informatif pour « fracture vertébrale non précisée » et « traumatisme » et « utilisation de corticostéroïdes » sont tous deux informatifs pour « fracture vertébrale non précisée » et « fracture vertébrale ostéoporotique ». En soins secondaires, « âge avancé » est informatif pour une « fracture vertébrale ostéoporotique » et « traumatisme » est informatif pour une « fracture vertébrale non précisée ». En soins tertiaires, la « présence d'une contusion/abrasion » est informative pour une « fracture vertébrale par compression ». Les combinaisons de signaux d'alarme sont également informatives et pourraient être plus utiles pour aider les cliniciens à prendre des décisions que les tests individuels seuls.
Pour Minerva, par manque de données ad hoc dans la littérature, cette revue de la Cochrane ne change pas la pratique et doit inciter à plus de recherche.

 

 


Références 

  1. De Wachter J. Faut-il demander une radiographie en cas de lombalgie ? MinervaF 2003;2(3):50‑1.
  2. Kendrick D, Fielding K, Bentley E, et al. Radiography of the lumbar spine in primary care patients with low back pain: randomised controlled trial. BMJ 2001;322:400-5. DOI: 10.1136/bmj.322.7283.400
  3. Feron JM. Efficacité pour le patient lombalgique de l’approche combinant dépistage des risques (STarT Back Tool) et traitement ciblé versus soins standard. MinervaF 2021;20(7):87‑90.
  4. Ogbeivor C, Elsabbagh L. Management approach combining prognostic screening and targeted treatment for patients with low back pain compared with standard physiotherapy: a systematic review & meta‐analysis. Musculoskeletal Care 2021;1-21. DOI: 10.1002/msc.1541
  5. Han CS, Hancock MJ, Downie A, et al. Red flags to screen for vertebral fracture in people presenting with low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD014461.pub2
  6. Williams CM, Henschke N, Maher CG, et al. Red flags to screen for vertebral fracture in patients presenting with low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 1. DOI:  10.1002/14651858.CD008643.pub2
  7. Downie A, Williams CM, Henschke N, et al. Red flags to screen for malignancy and fracture in patients with low back pain: systematic review. BMJ 2013;347:f7095. DOI: 10.1136/bmj.f7095
  8. Williams CM, Henschke N, Maher CG, et al. Red flags to screen for vertebral fracture in patients presenting with low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD008643.pub3
  9. Rédaction Prescrire. Signes de fracture vertébrale en cas de lombalgie récente. Signes à la loupe. Rev Prescrire 2020;40:439‑40.
  10. Shah LM, Jennings JW, Kirsch CF, et al. ACR Appropriateness Criteria® management of vertebral compression fractures. J Am Coll Radiol 2018;15:S347‑64. DOI: 10.1016/j.jacr.2018.09.019

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


M54, S32
L03, L76


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