Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité pour le patient lombalgique de l’approche combinant dépistage des risques (STarT Back Tool) et traitement ciblé versus soins standard
Minerva 2021 Volume 20 Numéro 7 Page 87 - 90
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Contexte
La lombalgie chez l’adulte a une prévalence tellement importante dans la population que même si la grande majorité de ces lombalgies se résolvent spontanément après une à deux semaines (1), la petite proportion qui a tendance à se chroniciser (2) engendre des incapacités importantes en durée et en intensité et un coût substantiel pour les soins de santé, l’assurance maladie et le fond des maladies professionnelles (3). Minerva s’est déjà intéressé aux nombreuses interventions proposées dans les lombalgies chroniques, révélant la complexité du problème et l’absence de solution simple et unique (4-25). Un dépistage précoce des patients à risque de chronicisation par un questionnaire simple et standardisé (STarT Back Tool = SBT) (26) portant autant sur les aspects psychosociaux que physiques suivi d’une prise en charge ciblée semble néanmoins montrer un certain bénéfice sur la douleur et la fonction à court terme par rapport aux soins usuels. Aucune revue systématique avec méta-analyse n’avait jusqu’à présent été réalisée pour analyser les bénéfices à plus long terme de ce type d’intervention.
Résumé
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- deux auteurs ont effectué une revue systématique de littérature (méthode PRISMA) à partir des bases de données : CINAHL, MEDLINE, Pedro, EMBASE, PsycINFO, Cochrane Register for Controlled Trials et Web of Science.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion : les études ont été incluses si elles concernaient des adultes > 18 ans avec diagnostic de lombalgie, quelle qu’en soit la durée, avec ou sans symptôme radiculaire, et qu’un dépistage par l’outil SBT et un traitement ciblé en fonction du risque leur avaient été proposés
- critère d’exclusion : les études portant sur des patients avec grossesse ou red flag (syndrome de la queue de cheval, fracture vertébrale récente, cancer) n’ont pas été considérées
- in fine, 8 études incluant un total de 6842 patients ont été sélectionnées, dont 4 essais cliniques randomisés.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : intensité de la douleur (évaluée par échelle visuelle analogique ou par cotation numérique) et le degré d’incapacité fonctionnelle (évalué par échelle de Roland-Morris) (27)
- critères de jugement secondaires : le catastrophisme, l’évitements par peur et croyance par rapport aux activités physiques, la qualité de vie évaluée par The 5-dimensional EuroQol (EQ-5D), la perception globale du changement dans la lombalgie, le nombre de séances de traitement par kinésithérapie, le recours aux ressources de soins de santé, l’absentéisme au travail dû à la lombalgie, la satisfaction par rapport aux soins reçus et les effets secondaires
- lorsque cela était possible dans la méta-analyse, les résultats sous forme de données continues ont été analysés par différence moyenne standardisée
- les deux auteurs ont évalué de façon indépendante le risque de biais via l’outil de la Cochrane Collaboration ; l’hétérogénéité des études a été statistiquement évaluée (calcul du Chi2 et du I2) ; les niveaux de preuve ont été évalués par l’outil GRADE.
Résultats
- pour les critères de jugement primaires : concernant la douleur, une méta-analyse a pu être réalisée à partir de 3 RCTs, permettant de pooler les résultats de 2460 patients
|
Critère de jugement |
Hétérogénéité taille d’effet p value |
Différence moyenne [avec IC à 95%] |
Nombres de participants (Essais) |
Niveau de preuve (GRADE) |
Follow-up 3 à 6 mois |
Différence dans l’intensité de la douleur, tout participant |
I2 = 22% z = 3,6 p = 0,0003 |
0,46 [0,21 à 0,71] |
2460 (3 essais) |
modéré |
Différence dans la douleur, groupe à bas risque |
I2 = 49% z = 0,56 p = 0,60 |
-0,13 [-0,61 à 0,35] |
737 (3 essais) |
modéré |
|
Différence dans la douleur, groupe à moyen risque |
I2 = 4% z = 3,46 p = 0,0005 |
0, 57 [0,25 à 0,89] |
1131 (3 essais) |
modéré |
|
Différence dans la douleur, groupe à haut risque |
I2 = 0% z = 2,48 p = 0,01 |
0,59 [0,12 à 1,06] |
629 (3 essais) |
modéré |
|
Différence dans le degré d’incapacité, tout participant |
I2 = 59% z = 2,11 p = 0,03 |
0,71 [0,05 à 1,37] |
3444 (4 essais) |
modéré |
1 essa
- 1 essai (Hill et al., 2011) montre des résultats similaires sur un follow-up à 12 mois
- pour les critères de jugement secondaires : pas de résultat poolé, seulement certaines études qui montrent pour l’un ou l’autre critère (croyances et évitement par crainte, satisfaction du patient, absentéisme au travail, qualité de vie, coût des soins) un avantage pour l’intervention par SBT, surtout en ce qui concerne les groupes à moyen et haut risque ; aucune différence notée quant aux effets indésirables.
Conclusion des auteurs
Cette revue systématique démontre qu’une approche combinant dépistage des risques et traitement ciblé pour les patients lombalgiques apporte un bénéfice important en termes de douleur, d’incapacité et de coût des soins de santé pour les personnes à moyen et haut risque. D’autres recherches sont nécessaires par rapport aux bénéfices à long terme.
Financement de l’étude
Financement en libre accès activé et organisé par ProjektDEAL.
Conflit d’intérêt des auteurs
Les auteurs ne rapportent aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette revue de littérature semble avoir été menée de façon rigoureuse par rapport aux méthodologies actuelles. Méthode PRISMA pour le design de la revue, recherche et analyse des biais, analyse de l’hétérogénéité, évaluation des niveaux de preuve. Elle ne tient malheureusement pas ses promesses par rapport à l’objectif annoncé sur les bénéfices à long terme, par défaut d’étude disponible dans la littérature (1 seule).
L’échelle StarT Back est une échelle validée mise au point par l’université de Keele, dont la traduction française est également validée. Elle permet de classer les patients selon le risque présenté (faible, moyen et fort), en fonction de leur prédisposition à développer des symptômes persistants et handicapants consécutifs à leur lombalgie.
La principale critique à poser est probablement l’inclusion de critères de jugement secondaires trop nombreux et dispersés, résultant en un mélange des genres entre bénéfice clinique et économique pouvant prêter au procès d’intention par rapport à l’intérêt de l’intervention.
Interprétation des résultats et mise en perspective des résultats
Les résultats des critères de jugement primaires (douleur et degré d’incapacité) montrent un bénéfice assez évident de l’intervention pour les groupes des patients à moyen et à haut risque, certainement dans les 3 à 6 mois après prise en charge. Les données manquent encore pour le suivi à plus long terme. Ces résultats sont cohérents avec les recommandations NICE (28) et pour notre contexte belge avec le guide lombalgies proposé par le KCE (29). Les questions posées dans le SBT soulignent l’importance de la dimension psychosociale dans le risque de chronicisation de la lombalgie (30).
Les médecins généralistes restent naturellement peu enclins à l’utilisation d’échelles dans leur pratique quotidienne, préférant souvent une approche plus intuitive qui a fait ses preuves dans de nombreux domaines. Cependant certains outils très pratiques disponibles en ligne (31) devraient permettre aux cliniciens de la première ligne de détecter très précocement, de s’investir dans les messages forts et d’orienter correctement les patients à moyen et haut risque vers les services adéquats de médecine physique pour un programme adapté de réadaptation.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le KCE (29) rappelle que la douleur lombaire est en principe sans gravité et son évolution est spontanément bonne dans la très grande majorité des cas. Il n’y a donc pas de raison de la « médicaliser » à outrance. Il est toutefois indispensable d’identifier les patients qui présentent un risque accru de développer des douleurs ou une limitation chroniques, car ceux-là nécessitent une prise en charge spécifique, plus complexe et multidisciplinaire. Pour dépister ces patients, le KCE propose deux questionnaires très courts (10 questions) internationalement validés, STarT Back et Örebro, qui permettent de cerner aisément les yellow flags (croyances et perceptions du patient). Les contextes relationnel et professionnel sont également à prendre (…). Le KCE insiste sur le fait que cette étape d’évaluation du risque (nouvelle par rapport au guideline précédent) porte principalement sur le ressenti de la douleur, l’angoisse des patients, et leurs convictions – erronées mais nocives – du type « si je bouge, je vais aggraver ma lésion ». Avec ces patients, il faut faire preuve de pédagogie, les rassurer et les encourager à rester autant que possible actifs. Et surtout éviter les messages dramatisants qui ne font qu’aggraver leur stress.
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre que l’utilisation de l’outil de dépistage STarT Back Tool est utile pour proposer aux patients lombalgiques une prise en charge adaptée, de façon précoce, selon le niveau de risque de chronicisation et diminuer ainsi douleur et degré d’incapacité à court terme (3 à 6 mois). D’autres recherches sont nécessaires par rapport aux bénéfices à long terme.
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- Disponibles par: https://lombalgie.kce.be/
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