Analyse


Manipulation et mobilisation pour le traitement des lombalgies chroniques


15 07 2019

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Coulter ID, Crawford C, Hurwitz EL, et al.Manipulation and mobilization for treating chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis. Spine J 2018;18:866-79. DOI: 10.1016/j.spinee.2018.01.013


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, dont la qualité méthodologique est bonne, montre qu’en cas de lombalgies chroniques, la manipulation et la mobilisation, comparées à d’autres traitements actifs, réduisent la douleur et améliorent les capacités fonctionnelles à court terme, et ce de manière statistiquement significative, mais dans une mesure limitée. L’effet de la manipulation semble plus important que celui de la mobilisation.


Que disent les guides de pratique clinique ?
En cas de lombalgies chroniques, la mobilisation et/ou la manipulation peuvent être envisagées comme modalités thérapeutiques facultatives chez les patients chez qui la prise en charge personnelle et la gymnastique médicale ne suffisent pas. La mobilisation et la manipulation ne peuvent apporter un avantage clinique qu’en situation multimodale (c’est-à-dire en association avec une approche active comme la gymnastique médicale). La synthèse méthodique décrite ci-dessus vient étayer principalement la place facultative de la manipulation dans l’arsenal thérapeutique de la gestion des lombalgies chroniques.



Minerva a déjà commenté deux études randomisées contrôlées qui n’ont pas pu montrer la plus-value des manipulations vertébrales par rapport à la gymnastique médicale chez des patients souffrant de lombalgies chroniques (1-4). Une synthèse méthodique Cochrane n’a pas pu montrer de différence cliniquement pertinente entre les manipulations vertébrales et d’autres interventions pour réduire la douleur et améliorer les capacités fonctionnelles chez les patients souffrant de lombalgies chroniques (5). Il reste cependant encore beaucoup de questions sans réponse concernant l’efficacité des manipulations vertébrales et de la mobilisation en fonction de la durée des symptômes et des modalités d’application (dosage), et concernant la sécurité et la relation avec d’autres traitements.

 

Une synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2018 a examiné l’efficacité, l’utilité et la sécurité d’emploi de différentes formes de mobilisation (sans impulsion) et de manipulation (avec impulsion) dans le traitement des lombalgies chroniques aspécifiques (6). Une vaste recherche dans la littérature a été effectuée dans six bases de données électroniques (PubMed, Cochrane, Embase, CINAHL, PsycINFO et ICL ; de janvier 2000 à mars 2017). Les investigateurs ont également effectué une recherche dans les listes de référence, et ils ont consulté les experts. Les critères d’inclusion pour la synthèse méthodique ont été définis sur la base d’une étude de la portée de la littérature disponible. Finalement, 51 études randomisées contrôlées ont été incluses comparant la mobilisation et/ou la manipulation à un groupe témoin actif (acupuncture, kinésithérapie, gymnastique médicale, prise en charge habituelle) (dans 84% des études) ou à un groupe recevant un placebo ou ne recevant pas de traitement, chez un total de 1334 patients, âgés en moyenne de 42 ans (29 à 59 ans), souffrant de lombalgies chroniques aspécifiques (> 3 mois ; en moyenne 6 mois ; > 1 an). Le risque de biais a été évalué à l’aide des critères SIGN (7). Parmi les études incluses, environ une sur trois ou quatre comportait de nettes limitations sur le plan de la randomisation, de la préservation du secret d’attribution (concealment of allocation), de l'insu et de l’analyse en intention de traiter. Lorsque, pour un critère de jugement donné, au moins trois études étaient suffisamment similaires en termes de population, d’intervention et de contrôle, elles ont été combinées à l’aide du modèle à effets aléatoires.

Pour la réduction de la douleur à 1 mois, la différence moyenne standardisée (DMS) était de -0,28 (avec IC à 95% de -0,47 à -0,09 ; p = 0,004 ; I² = 57%) avec la mobilisation ou la manipulation par comparaison avec la gymnastique médicale ou la kinésithérapie (N = 9 études ; n = 1176 patients). Dans une analyse de sous-groupe, la douleur a diminué de manière significative tant avec la manipulation qu’avec la mobilisation. Sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 100, cela se traduisait par une diminution de 10 points avec la manipulation et de 5 points avec la mobilisation. Pour la réduction de l’invalidité à 1 mois, la DMS était de -0,33 (avec IC à 95% de -0,63 à -0,03 ; p = 0,03 ; I² = 78%) avec la manipulation ou la mobilisation par comparaison avec les autres traitements actifs (N = 7 études ; n = 923 patients). Dans une analyse de sous-groupe, seule la manipulation a réduit la douleur de manière significative. Au questionnaire Roland-Morris (échelle d’incapacité fonctionnelle pour l’évaluation des lombalgies), qui va de 0 à 24, cela revenait à une diminution de 5 points. Les études comparant la manipulation ou la mobilisation et un placebo ou l’absence de traitement étaient trop hétérogènes pour pouvoir être combinées. Trop peu d’études examinaient la qualité de vie liée à la santé. Dans environ la moitié des études incluses, les effets indésirables n’ont pas fait l’objet d’un rapport. 15 études ont déclaré qu’il n’y avait pas d’effets indésirables. 8 études ont mentionné des effets indésirables mineurs, consistant le plus souvent en une aggravation des symptômes existants. Dans une seule étude, des effets indésirables graves ont été observés chez 2% des participants. Ces effets indésirables ne paraissaient toutefois pas être liés au traitement et sont survenus tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin. Certains résultats correspondent à ceux d’une récente synthèse méthodique avec méta-analyse qui examinait les avantages et les inconvénients des manipulations vertébrales comme traitement des lombalgies chroniques (8) (cette publication est une mise à jour d’une revue Cochrane datant de 2011 (5)). 47 études randomisées contrôlées ont été incluses, et la conclusion est que les manipulations vertébrales ont un effet comparable, en termes de réduction de la douleur, à celui des traitements recommandés et non recommandés. Il semble bien qu’à court terme, les manipulations vertébrales améliorent les capacités fonctionnelles, versus les traitements non recommandés.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, dont la qualité méthodologique est bonne, montre qu’en cas de lombalgies chroniques, la manipulation et la mobilisation, comparées à d’autres traitements actifs, réduisent la douleur et améliorent les capacités fonctionnelles à court terme, et ce de manière statistiquement significative, mais dans une mesure limitée. L’effet de la manipulation semble plus important que celui de la mobilisation.

 

Pour la pratique

En cas de lombalgies chroniques, la mobilisation et/ou la manipulation peuvent être envisagées comme modalités thérapeutiques facultatives chez les patients chez qui la prise en charge personnelle et la gymnastique médicale ne suffisent pas. La mobilisation et la manipulation ne peuvent apporter un avantage clinique qu’en situation multimodale (c’est-à-dire en association avec une approche active comme la gymnastique médicale) (9,10). La synthèse méthodique décrite ci-dessus vient étayer principalement la place facultative de la manipulation dans l’arsenal thérapeutique de la gestion des lombalgies chroniques.

 

 

Références 

  1. Vermeire E. Exercices physiques et manipulations pour les lombalgies. MinervaF 2006;5(4):52-4.
  2. UK BEAM Trial Team. United Kingdom back pain exercise and manipulation (UK BEAM) randomised trial: effectiveness of physical treatments for back pain in primary care. BMJ 2004;329:1377. DOI: 10.1136/bmj.38282.669225.AE
  3. Duyver C. Exercices supervisés, à domicile ou manipulations (chiropraxie) pour les lombalgies chroniques. MinervaF 2012;11(3):32-3.
  4. Bronfort G, Maiers MJ, Evans RL, et al. Supervised exercise, spinal manipulation, and home exercise for chronic low back pain: a randomized clinical trial. Spine 2011;11:585-98. DOI: 10.1016/j.spinee.2011.01.036
  5. Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, et al. Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD008112.pub2
  6. Coulter ID, Crawford C, Hurwitz EL, et al. Manipulation and mobilization for treating chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis. Spine J 2018;18:866-79. DOI: 10.1016/j.spinee.2018.01.013
  7. Scottish Intercollegiate Guidelines Network. Sign 50: a guideline developer’s handbook. 2015. Available at http://www.sign.ac.uk/. Accessed July 1, 2019.
  8. Rubinstein SM, de Zoete A, van Middelkoop M, et al. Benefits and harms of spinal manipulative therapy for the treatment of chronic low back pain: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2019;364:l689. DOI: 10.1136/bmj.l689
  9. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.
  10. GPC kinésitherapeutique Lombalgie. KNGF/Ebpracticenet 6/11/2013. Dernière mise à jour 16/09/2016.




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