Revue d'Evidence-Based Medicine
Exercices supervisés, à domicile ou manipulations (chiropraxie) pour les lombalgies chroniques
Contexte
Plusieurs traitements conservateurs ont montré une efficacité (souvent similaire) dans le cadre des traitements des lombalgies chroniques, en ce compris différentes formes d'exercices supervisés, de manipulations vertébrales et d’éducation du patient (1-5). Il n'existe pas de plan de soins standard pour cette pathologie. L'efficacité d’interventions moins coûteuses en temps et en argent comme par exemple les exercices effectués par le patient à son domicile restait à prouver, aussi bien pour les lombalgies aiguës que chroniques, et également versus autres interventions, par exemple des manipulations vertébrales.
Résumé
Population étudiée
- 301 patients âgés de 18 à 65 ans : âge moyen de 45,1 ans (ET 11) ; 60% de femmes ; sur 630 recrutés par un service d’études d’une université étatsunienne via des annonces dans les journaux, par des mailings, par des affiches
- le traitement en cours (médicamenteux ou non) lors de l’inclusion n’est pas mentionné
- critères d’inclusion : première plainte de lombalgies mécaniques d'une durée d’au moins six semaines avec ou sans douleur irradiant dans le membre inférieur ; la lombalgie mécanique est définie comme une douleur sans étiologie spécifique identifiable mais pouvant être reproduite par des mouvements du dos ou des tests de provocation
- critères d’exclusion : arthrodèse lombaire, déficit neurologique progressif, atteinte de l’aorte ou des artères périphériques, score de douleur < 3 (échelle de 0 à 10), litiges en cours, traitement de ces lombalgies par d'autres prestataires de soins.
Protocole d’étude
- étude clinique prospective avec observateur en insu, randomisée
- intervention, d’une durée de 12 semaines :
- soit série d’exercices supervisés par un kinésithérapeute et individualisés, visant à augmenter la résistance musculaire et la stabilité tronculaire (ESK, 20 sessions d’une heure, 2 par semaine) (n=100 en début d’étude, n=82 en fin d’étude)
- soit manipulations vertébrales (MV, chiropraxie 1 à 2 x/semaine pendant 15 à 30 min) (n=100 en début d’étude, n=82 en fin d’étude)
- soit exercices à domicile et conseils (EDC, 2 x 1h d’instructions + livret avec des fiches) + un suivi unique à domicile (n=101 en début d’étude, n=81 en fin d’étude)
- analyse en intention de traiter
- suivi : questionnaire complété par le patient à 4, 12, 26 et 52 semaines.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : douleur ressentie par le patient sur une échelle avec un score de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur maximale envisageable)
- critères de jugement secondaires :
- questionnaire modifié de Roland Morris (score d’invalidité)
- Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey (SF-36) est un questionnaire validé comportant 36 questions. Il permet d’explorer huit aspects de la qualité de vie : santé générale et mentale, capacités fonctionnelles physiques et sociales, santé physique et émotionnelle, douleur et vitalité. Les scores pour chacun des huit domaines vont de 0 (le moins bon) à 100 (le meilleur).">SF 36 (short form health survey)
- fréquence d'utilisation d'antalgiques
- amélioration globale perçue par le patient (échelle à 9 points)
- degré de satisfaction (échelle à 7 points, 1 tout à fait satisfait - 7 complètement insatisfait)
- performances du tronc (stabilité et endurance musculaire)
- mesures qualitatives par interview : satisfaction, attentes,…
Résultats
- critère primaire : amélioration dans les 3 groupes ; pas de différence significative entre les trois groupes en ce qui concerne l'amélioration de la douleur ressentie, ni à court terme (à 4 et 12 semaines), ni à long terme (26 et 52 semaines) ; valeurs basales versus valeurs à 12 semaines : ESK de 5,1 à 2,6 , MV de 5,4 à 2,9 , EDC de 5,2 à 3,2
- critères secondaires : pas de différence significative à court terme et à long terme pour les différents critères sauf pour le score de satisfaction qui était de loin supérieur dans le groupe bénéficiant d'exercices supervisés (p<0,01) et pour une amélioration significative (p <0,05) de l'endurance et de la force musculaire mais pas de l'amplitude des mouvements dans le groupe des exercices supervisés comparés aux deux autres groupes
- effets indésirables transitoires sans retentissement sur les niveaux d'activité.
Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent que pour les lombalgies chroniques, des exercices supervisés sont significativement mieux que des manipulations vertébrales de chiropraxie et que des exercices effectués par le patient à son domicile en termes de satisfaction pour le traitement et pour l’endurance musculaire et la stabilité au niveau du tronc. Malgré une différence à court et long terme en faveur du groupe exercices supervisés en termes de douleur évaluée par le patient, de handicap, d’amélioration, de status général de santé et de recours à des médicaments, les différences sont relativement faibles et non statistiquement significatives pour ces critères pris individuellement.
Financement
Pas de financement d’étude mentionné.
Conflits d’intérêt
7 des 10 auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt ; 3 auteurs déclarent avoir reçu des financements à titres divers de différentes firmes pharmaceutiques ou de matériel médical.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette RCT bénéficie d’un double protocole : à la fois étude prospective simple aveugle et étude qualitative mais dont les résultats ne sont pas présentés dans cette publication-ci. Les auteurs ont prévu une stratification initiale suivant la présence de symptômes avec ou sans irradiation d’une part et d’autre part en fonction de la durée des symptômes (de 6 à 12 semaines et de plus de 12 semaines), avec une randomisation aléatoire. Deux analyses de la covariance (ANCOVA-MANCOVA) ont été utilisées pour toutes les variables évaluées par le patient (douleur,…). Toutes les analyses étaient effectuées en intention de traiter. Une analyse de la variance a été utilisée pour les performances du tronc. Plusieurs limites sont cependant à relever. La première est que l’étude est réalisée dans un centre universitaire et que le recrutement des patients est réalisé par l’intermédiaire de publicités dans les journaux ou de mailing, ce qui n’est pas le contexte de recrutement d’un cabinet de médecine générale. D’autre part, le fait que les patients soient des volontaires peut influencer favorablement leur observance thérapeutique et en faire, ainsi, une population plus sélectionnée que la population générale, ce qui limite aussi l’extrapolabilité des résultats. La deuxième limite est qu’il est impossible dans une RCT évaluant une intervention à base d’exercices de procéder en double aveugle. Le fait que l’évaluateur soit en insu peut corriger ce risque de biais… pour autant qu’il ne reçoive aucune information sur le traitement via le patient. Une troisième limite est que dans le groupe qui bénéficie de manipulations vertébrales, le plan de traitement est laissé à la discrétion du chiropracteur. Il peut ainsi être modifié, par exemple, en l’absence d’amélioration des symptômes en cours d’étude. Quatrièmement, les auteurs soulignent également que l’étude telle qu’elle a été conçue ne permet pas de mettre en évidence les bénéfices du traitement en fonction du contexte de soins. Par exemple, la quantité d’attention fournie aux différents patients par un même prestataire n’a pas été évaluée. De même, les attentes des patients en termes d’amélioration étaient beaucoup plus importantes dans les 3 groupes pour les exercices supervisés versus exercices au domicile (programme paraissant moins intense avec moins d’attention consacrée). Enfin un certain nombre de patients ont été perdus de vue et un certain nombre de données étaient manquantes ; ces informations ont été recréées par des méthodes statistiques adéquates.
Il est regrettable qu’un bras contrôle sans traitement ou avec placebo n’ait pas été prévu, ce qui aurait permis de juger de l’efficacité des différentes interventions versus évolution naturelle.
Interprétation des résultats
Cette étude ne tient compte que d’une population active (18-65 ans) présentant des lombalgies d’origine aspécifique, éludant par là même toute une frange de la population concernée par le problème des lombalgies chroniques. Elle montre une amélioration de 40 à 50% de la douleur et de l’incapacité à court et à long terme quel que soit le traitement effectué. Un seuil de pertinence clinique n’est cependant pas précisé pour la diminution de la douleur. Une différence significative entre les trois groupes de traitement n’est observée que pour les scores de satisfaction (p<0,01), de capacités d'endurance et de force musculaire (p<0,05), dans ces 3 cas en faveur du groupe bénéficiant d'exercices supervisés. L’ensemble des autres critères évalués à court et long termes, dont le critère primaire, ne montre pas de différence significative entre les différents groupes, même si les résultats du groupe bénéficiant d’exercices supervisés sont toujours un peu meilleurs. Ces résultats sont très similaires à ceux de la littérature (1-4) montrant l’efficacité de différentes techniques et traitements mais ne permettant pas d’affirmer qu’un traitement est supérieur à un autre (2).
Les auteurs de cette RCT notent également la probable nécessité d’explorer des prises en charge alternatives comme des programmes courts de gestion cognitivo-comportementale de la douleur (6,7) et composites ainsi que la détermination de certains profils de répondeurs ou non à certains types de traitement.
Même si la chiropraxie n’a pas montré d’avantages par rapport à d’autres techniques pour le traitement des lombalgies chroniques (8), on notera qu’en 2009, 2% des adultes, en Belgique, ont consulté un chiropracteur toutes causes confondues et que près de 90% étaient satisfaits des soins reçus (9). Actuellement, contrairement à la kinésithérapie la chiropraxie n’est peu ou pas remboursée par les mutuelles mais fait l’objet d’évaluation visant à reconnaitre cette pratique (loi Colla).
Les implications financières des choix thérapeutiquessont encore à préciser.
Conclusion de Minerva
Cette RCT ne montre pas de plus-value ni à 3 mois ni à 1 an en termes de douleur ressentie (critère primaire) par des patients adultes avec lombalgies chroniques mécaniques pour un des 3 programmes de prise en charge thérapeutiques proposés sur une durée de 3 mois (exercices supervisés par un kinésithérapeute et individualisés, manipulations vertébrales, exercices à domicile).
Pour la pratique
La déjà ancienne RBP belge concernant les lombalgies communes (10) insiste sur l’importance de l’éducation du patient en cas de lombalgies chroniques. Elle montre les preuves d’efficacité de différentes approches thérapeutiques non médicamenteuses, dont la mobilisation ou manipulation vertébrale et différentes formes d’exercices, sans préférence, et sans donner de détail sur le nombre et la durée des séances. Une mise à jour des données de la littérature (11) conclut à une efficacité prouvée d’exercices lombaires (GRADE C ou D) et à une efficacité probable de l’acupuncture (GRADE D), de traitements comportementaux (GRADE B ou D), de programmes multidisciplinaires intensifs (GRADE C), de massages (GRADE B) et de manipulations vertébrales (GRADE B).
La présente RCT confirme que différentes approches thérapeutiques des lombalgies chroniques sont possibles, sans qu’une approche thérapeutique parmi celles évaluées dans cette RCT (exercices supervisés par un kinésithérapeute et individualisés, manipulations vertébrales, exercices à domicile, pendant 3 mois) ne se montre clairement supérieure à une autre, ni à 3 mois ni à 1 an.
Le choix entre ces différentes approches thérapeutiques évaluées, devra être fait individuellement en fonction des attentes du patient, des coûts, risques et bénéfices.
Références
- van Middelkoop M, Rubinstein SM, Verhagen AP, et al. Exercise therapy for chronic nonspecific low-back pain. Best Pract Res Clin Rheumatol 2010;24:193-204.
- Vermeire E. Exercices physiques et manipulations pour les lombalgies. MinervaF 2006;5(4):52-4.
- Assendelft WJ, Morton SC, Yu EI, et al. Spinal manipulative therapy for low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1.
- Smith C, Grimmer-Somers K. The treatment effect of exercise programmes for chronic low back pain. J Eval Clin Pract 2010;16:484-91.
- Engers AJ, Jellema P, Wensing M, et al. Individual patient education for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 1.
- Henschke N, Ostelo RW, van Tulder MW, et al. Behavioural treatment for chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 7.
- van Hooff ML, Ter Avest W, Horsting PP, et al. A short, intensive cognitive behavioral pain management program reduces health-care use in patients with chronic low back pain: two-year follow-up results of a prospective cohort. Eur Spine J 2011 Dec 3 [Epub ahead of print].
- Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, et al. Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 2.
- De Gendt T, Desomer A, Goossens M, et al. Etat des lieux de l’ostéopathie et de la chiropraxie en Belgique - Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2010. D/2010/10.273/95.
- Timmermans B. Recommandations de Bonne Pratique : Les lombalgies communes . SSMG 2001.
- Chou R. Low back pain (chronic). Clin Evid (Online) 2010 Oct 8;2010.
Ajoutez un commentaire
Commentaires