Revue d'Evidence-Based Medicine
Exercices physiques et manipulations pour les lombalgies
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 4 Page 52 - 54
Professions de santé
Résumé
Contexte
Pour soulager les lombalgies, des traitements dont l’efficacité est insuffisamment démontrée sont souvent proposés. Encourager les patients à rester actifs semble efficace tandis que l’efficacité des manipulations vertébrales n’est pas franche. La pratique d’exercices spécifiques semble inefficace, mais des programmes d’exercices généraux visant à stimuler la mobilisation semblent d’un apport utile.
Population étudiée
Dans 181 pratiques de médecine générale au R.U., des patients consultant pour des lombalgies ont été recrutés dans le cadre d’une étude infirmière. Ils doivent présenter les caractéristiques suivantes: être âgé de 18 à 65 ans, souffrir de lombalgies quotidiennes sans sciatique depuis un mois (lombalgies, douleur fessière, douleur irradiée dans le membre inférieur mais au-dessus du genou) et un score ≥4 sur le Roland-Morris low back pain and disability questionnaire. Les critères d’exclusion sont: pathologie sévère ou chirurgie récente du canal vertébral, pathologie musculosquelettique plus sévère que les lombalgies, trouble psychique, pathologie cardiovasculaire, incapacité de marcher 100 m sans douleur et incapacité de se coucher sur le sol ou de s’en relever sans aide. Finalement, 1 334 personnes sont incluses, d’un âge moyen de 43 (ET 11) ans, dont 56% de femmes. Neuf pour cent sont en incapacité de travail en raison d’autres problèmes de santé importants. Plus de la moitié souffrent de douleur depuis plus de trois mois. Le score moyen au questionnaire de Roland est de 9 (sur 0 à 23). Il n’y a pas de différence significative entre les six groupes.
Protocole d’étude
Cette étude clinique pragmatique, randomisée, répartit ses sujets dans six groupes: «best care» (n=338) et «best care plus manipulations vertébrales dans le cadre de la pratique NHS» (n=173) ou «best care plus manipulations vertébrales dans le cadre d’une pratique privée» (n=180) ou exercices thérapeutiques (n=310) ou manipulations dans le cadre de la pratique NHS suivies d’exercices thérapeutiques (n=161) ou manipulations dans le cadre d’une pratique privée suivies d’exercices thérapeutiques (n=172) (voir encadré page suivante). Avant la randomisation et 1, 3 et 12 mois après celle-ci, les participants complètent certains questionnaires explorant leurs lombalgies, leurs conceptions des lombalgies, d’un bon état de santé psychologique et de la santé en général.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est le score obtenu sur le Roland-Morris low back pain and disability questionnaire après trois et douze mois. Les critères de jugement secondaires sont des questions concernant les convictions par rapport aux lombalgies et des échelles de qualité de vie. L’analyse est faite en intention de traiter.
Résultats
Le score moyen au questionnaire de Roland (9/23 au départ de l’étude) diminue après trois mois pour atteindre 5,5 points dans le groupe recevant «best care» et exercices thérapeutiques versus 6,8 points dans le groupe ne recevant que les «best care»; différence de 1,4 avec IC à 95% de 0,6 à 2,1. Après douze mois, il n’y a plus de différence significative entre les deux groupes. Les manipulations apportent un complément d’amélioration chiffré à 1,6 (IC à 95% de 0,8 à 2,3) après trois mois et à 1,0 (IC à 95% de 0,2 à 1,8) après douze mois versus «best care». En ce qui concerne les manipulations suivies d’exercices thérapeutiques, l’amélioration additionnelle est de 1,9 (IC à 95% de 1,2 à 2,6) après trois mois et de 1,3 (IC à 95% de 0,5 à 2,1) après douze mois. Aucun effet indésirable sévère n’est mentionné.
« BEST CARE IN GENERAL PRACTICE » |
Le médecins généralistes participants ont reçu une formation à l’application des «acute back pain guidelines» qui recommandent de poursuivre les activités normales et d’éviter le repos. Ils ont également reçu un livre «The back book» accompagné de brochures destinées aux patients. |
Programme d’exercices |
Un programme d’exercices «back to fitness», basé sur une thérapie cognitive comportementale, est constitué de 10 sessions de groupe d’une durée de 60 minutes chacune, sous la direction de kinésithérapeutes spécialement formés. |
Manipulation vertébrale |
Un groupe multidisciplinaire de chiropracteurs, ostéopathes et kinésithérapeutes ont déterminé un ensemble des techniques utilisées. Les patients ont subi huit sessions de 20 minutes chacune. |
Traitements combinés |
Les patients inclus dans ces groupes ont été invités à réaliser huit sessions de manipulations sur une durée de 6 semaines ainsi que 8 sessions d’exercices dans les 6 semaines suivantes. |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, par rapport aux «best care», un traitement adjuvant constitué de manipulations suivies d’exercices thérapeutiques apporte un bénéfice modéré à trois mois et minime à douze mois. Un traitement adjuvant limité à des manipulations score légèrement à modérément mieux à trois mois et légèrement mieux à douze mois. Un traitement adjuvant d’exercices thérapeutiques score légèrement mieux à trois mois mais sans efficacité montrée à douze mois.
Financement
Medical Research Council (MRC), National Health Service (NHS)
Conflits d’intérêt
Cinq auteurs ont reçu un salaire du MRC. Un auteur a perçu des honoraires de Menarini Pharmaceuticals et de Pfizer. Les autres auteurs ne déclarent rien.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Les participants ont été aléatoirement répartis mais l’étude n’est pas en double aveugle. Cette absence d’insu des participants, médecins et infirmières était probablement nécessaire pour pouvoir évaluer l’efficacité des manipulations et exercices dans la pratique quotidienne. Soulignons également que la prise en charge par le médecin généraliste utilisée comme traitement comparateur n’est pas constituée par des soins habituels mais bien par des soins de qualité plus élevée. Les médecins généralistes étaient formés et utilisaient un guide de pratique. Des «best care» sont donc utilisés plutôt que des «usual care». Les différences observées pourraient être plus importantes versus «usual care». L’implantation de ces «best care» n’est pas étudiée.
Apport de cette étude
Parmi toutes les interventions, les manipulations semblent les plus bénéfiques après trois et douze mois, suivies par les exercices thérapeutiques. Pour les autres interventions, l’efficacité est moindre et quasiment nulle à la fin de l’étude. Ces résultats et un large intervalle de confiance suggèrent une pertinence clinique limitée. La signification statistique est atteinte mais le bénéfice est limité pour le score de Roland: 1 à 2 points sur une échelle de 0 à 23. Autrement dit: des personnes âgées de moins de 65 ans, présentant des lombalgies sans irradiation radiculaire et sans pathologie sous-jacente (ostéoporose, affections rhumatismales, infection, cancer ou sténose du canal vertébral), voient leur situation s’améliorer après douze mois, de manière équivalente quelle que soit l’intervention évaluée. Un élément est certain: le coût de ces diverses interventions est beaucoup plus élevé que celui des «best care» prodigués par le médecin de famille1.
Autres études
Les résultats des exercices thérapeutiques (associés à une thérapie comportementale) sont aussi peu convaincants que dans d’autres études 2,3. L’efficacité des manipulations vertébrales est semblable à celle observée dans une méta-analyse 2,4. Celle-ci ne montre pas de preuve d’une supériorité des manipulations sur d’autres traitements de référence (soins du médecin généraliste, analgésiques, physiothérapie ou exercices thérapeutiques) chez des personnes présentant des lombalgies aiguës ou chroniques. Les manipulations montraient cependant une supériorité statistique sur le placebo. Le NHG-Standaard insiste sur «un plan thérapeutique visant une amélioration progressive des capacités fonctionnelles quotidiennes» en cas de lombalgies subaiguës ou chroniques. Cette approche thérapeutique n’est guère éloignée des «best care» dispensés dans l’étude UK BEAM. Le guide de pratique laisse un espace pour les exercices thérapeutiques: «le médecin généraliste peut également envisager de référer à un kinésithérapeute (et à un psychologue) qui, pas à pas, élargira les activités et les charges en vue de restaurer les capacités de s’en sortir soi-même». Ce guide est moins précis à propos des thérapies manuelles: «les thérapies manuelles ne sont pas plus efficaces que les exercices thérapeutiques ou la physiothérapie et doivent être, si possible, combinées aux exercices thérapeutiques pour maintenir leur efficacité» 5.
Conclusion
Cette étude chez des personnes âgées de 18 à 65 ans présentant des lombalgies sans irradiation radiculaire et sans pathologie sous-jacente montre l’absence d’une différence cliniquement pertinente dans l’amélioration des lombalgies après douze mois, que ce soit par des «best care», des exercices thérapeutiques ou des manipulations vertébrales.
Références
- UK BEAM Trial Team. United Kingdom back pain exercise and manipulation (UK BEAM) randomised trial: cost effectiveness of physical treatments for back pain in primary care. BMJ 2004;329:1381.
- van Tulder M, Koes B. Low back pain (chronic). Clin Evid 2005;14:1458-77.
- Habraken H. Helpt oefentherapie bij subcacute lage rugpijn? Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(3):227-30.
- Assendelft WJ, Morton SC, Yu EI et al. Spinal manipulative therapy for low back pain. A meta-analysis of effectiveness relative to other therapies. Ann Intern Med 2003;138:871-81.
- Chavannes AW, Mens JMA, Koes BW et al. NHG-Standaard Aspecifieke lage rugpijn. Eerste herziening. Huisarts Wet 2005;48:113-23.
Auteurs
Vermeire E.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :
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