Revue d'Evidence-Based Medicine
La dénervation par radiofréquence comme traitement des lombalgies chroniques
Minerva 2018 Volume 17 Numéro 4 Page 52 - 55
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
La dénervation par radiofréquence tente d’interrompre la transmission de la douleur dans les faisceaux nerveux communiquant avec les facettes articulaires, les articulations sacro-iliaques ou les disques intervertébraux au moyen d’un courant de radiofréquence. A ce jour, les preuves sont de qualité très faible à moyenne sur l’efficacité de la dénervation par radiofréquence comme traitement des lombalgies chroniques (1). Dans le cadre du remboursement, 4 études randomisées contrôlées (RCTs) ont été conçues aux Pays-Bas pour évaluer l’effet de la dénervation par radiofréquence (2). Une RCT évaluant spécifiquement l’effet de la dénervation par radiofréquence dans les pathologies des disques intervertébraux a dû être prématurément arrêtée en raison d’un trop petit nombre de participants. Les résultats des 3 autres RCTs ont été rassemblés dans une publication de 2017.
Résumé
Population étudiée
- 681 patients âgés de 18 à 70 ans (âge moyen de 52,2 ans), dont 61,8% de femmes, recrutés dans 16 cliniques de la douleur multidisciplinaires aux Pays-Bas, présentant des lombalgies chroniques ne répondant pas à un traitement conservateur et situées (d’après les résultats de l’anamnèse et de l’examen clinique) à hauteur des facettes articulaires (n = 251), des articulations sacro-iliaques (n = 228) ou d’une combinaison de facettes articulaires, d’articulations sacro-iliaques et de disques intervertébraux (n = 202) ; l’étude « facettes articulaires » et « articulations sacro-iliaques » (SI) a inclus uniquement des patients ayant répondu positivement à un essai d’infiltration (≥ 50% diminution de la douleur après 30 à 90 minutes)
- critères d’exclusion : grossesse, problèmes psychologiques graves, implication dans un conflit lié au travail ou dans une demande d’indemnisation, IMC > 35 kg/m², traitement avec anticoagulants, présence d’une coagulopathie.
Protocole de l’étude
Étude pragmatique randomisée, contrôlée, menée en ouvert
- avec 2 groupes d’étude :
- groupe intervention : programme d’exercices standardisé + dénervation par radiofréquence au cours de la semaine suivant la première séance d’exercices
- groupe témoin : uniquement programme d’exercices standardisé
- le programme d’exercices standardisé avait lieu dans une des 102 pratiques de kinésithérapie ; il s’agissait d’un programme d’une durée de 8 à 12 heures axé sur la qualité du mouvement et du comportement ; au besoin, un soutien psychologique était proposé
- suivi pendant 12 mois au moyen d’un questionnaire en ligne.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : intensité de la douleur sur une échelle numérique à 11 points (NRS, pour Numeric Rating Scale) 3 mois après l’intervention
- critères de jugement secondaires : satisfaction des patients et perception globale de récupération (mesurée sur une échelle à 7 points) ; capacités fonctionnelles (mesurées à l’aide de l’indice d’incapacité d’Oswestry (Oswestry Disability Index) ; qualité de vie (mesurée à l’aide de l’instrument EQ-5D-3L) ; état de santé général (mesuré à l’aide du questionnaire SF-36 (36-Item Health Survey), développé par RAND ; expérience de la douleur chronique (mesurée au moyen de l’instrument pour l’évaluation multidimensionnelle de la douleur West Haven-Yale Multidimensional Pain Inventory)
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- critère de jugement primaire : la différence moyenne entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à l’intensité de la douleur après 3 mois était de -0,18 point (IC à 95% de -0,76 à 0,40) dans l’étude « facettes articulaires », de -0,71 point (IC à 95% de -1,35 à -0,06) dans l’étude « SI » et de -0,99 point (IC à 95% de -1,73 à -0,25) dans l’étude « combinaison » ; après 3 mois, chez un plus grand nombre de patients, seule l’étude « combinaison » démontre une diminution significative de la douleur, douleur ayant diminué > 30% (risque relatif (RR) 1,92 avec IC à 95% de 1,19 à 2,65) ; aucune étude n’a démontré de différence quant au nombre de patients chez qui la douleur avait diminué ≥ 2 points après 3 mois
- critères de jugement secondaires :
- aucune étude ne mentionne de différence statistiquement significative en termes de capacités fonctionnelles après 3 mois
- après 3 mois, seule l’étude « SI » montre chez un plus grand nombre statistiquement significatif de patients du groupe intervention une perception globale de récupération (score de 1 à 2) (RR 1,87 avec IC à 95% de 1,13 à 2,17) ; le nombre de patients qui avaient une perception globale de récupération après 6 semaines était toutefois statistiquement plus important dans le groupe intervention de toutes les études.
Conclusion des auteurs
Les auteurs, de ces 3 études cliniques randomisées, concluent que, chez les patients souffrant de lombalgie chronique provenant des facettes articulaires, des articulations sacro-iliaques ou d’une combinaison des facettes articulaires, des articulations sacro-iliaques ou des articulations intervertébrales, la dénervation par radiofréquence associée à un programme d’exercices n’apporte pas d’amélioration de la lombalgie chronique ou apporte une amélioration qui n’est pas cliniquement pertinente par comparaison avec le programme d’exercices standardisé seul. Ces résultats n’étayent donc pas l’utilisation de la dénervation par radiofréquence pour le traitement des lombalgies chroniques au niveau des différentes localisations.
Financement de l’étude
Les études ont été financées par une bourse de l’organisation néerlandaise pour la recherche médicale (Nederlandse Organisatie voor Gezondheidsonderzoek), par l’association néerlandaise d’anesthésie (Nederlandse vereniging voor Anesthesie) et par diverses compagnies d’assurance néerlandaises.
Conflits d’intérêts des auteurs
Tous les conflits d’intérêts sont mentionnés dans la publication, mais il ne semble pas qu’ils aient interféré avec la conduite des études.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La méthodologie de ces 3 RCTs pragmatiques a correctement été menée (3). Les critères d’inclusion et d’exclusion ont été clairement décrits. Pour chaque étude, la taille de l’échantillon a été calculée afin d’obtenir avec une puissance suffisante, une différence cliniquement pertinente d’au moins 2 points sur une échelle numérique à 11 points. Les chercheurs ont également tenu compte d’un taux d’abandon de 20% par étude. La randomisation semble avoir été correctement effectuée sur base de la description qu’en donne l’article. Cependant, dans 2 études, les patients du groupe intervention souffraient de lombalgies depuis déjà 3 à 4 ans de plus que les patients du groupe témoin. En raison de la nature de l’intervention, il n’était pas possible de respecter l’insu pour les médecins et les participants. Cela peut avoir amplifié le résultat du critère de jugement subjectif (intensité de la douleur), même si l’analyse des données a été effectuée en aveugle. Au cours de l’analyse en intention de traiter, les auteurs ont correctement tenu compte des différences entre les groupes de l’étude quant aux valeurs initiales de l’intensité de la douleur (4).
Les études présentent toutefois quelques limites méthodologiques. Il est plus que probable qu’il y a eu un biais de sélection important au moment de l’inclusion. La seule possibilité dont disposaient les patients néerlandais pour obtenir le remboursement d’une dénervation par radiofréquence était la participation à l’étude. De plus, les patients étaient informés à l’avance que le traitement proprement dit ne pouvait être appliqué qu’après une réponse positive à un essai d’infiltration. Par ailleurs, certains experts contestent le seuil d’au moins 50% de diminution de la douleur après un seul essai d’infiltration (5-8). Même si ce critère d’inclusion n’était pas utilisé de manière systématique dans les précédentes études (1), ce n’est pas une erreur que les auteurs de cette étude pragmatique se soient basés sur la recommandation actuelle des Pays-Bas (9). Un point délicat est le fait que la dénervation par radiofréquence a été appliquée par 66 thérapeutes de la douleur sans consensus sur la standardisation de la technique utilisée. Dans le groupe traité pour une douleur sacro-iliaque, ils ont même utilisé 3 techniques différentes. Les groupes étaient trop petits pour qu’une analyse de sous-groupes puisse être effectuée.
Interprétation des résultats
Un effet statistiquement significatif sur l’intensité de la douleur a pu être constaté après 3 mois dans l’étude « SI » ainsi que dans l’étude « combinaison », mais pas dans l’étude « facettes ». Les résultats en intention de traiter de l’étude « combinaison » sont toutefois difficiles à interpréter parce que 35 patients du groupe intervention n’ont finalement pas bénéficié d’une dénervation par radiofréquence suite à l’absence de réponse positive à l’essai d’infiltration (7). Cette sous-étude manquait probablement de puissance du fait d’un taux d’abandons plus élevé (près de 20%).
Les différences en termes de diminution de la douleur n’étaient toutefois pas cliniquement pertinentes. En outre, une différence en termes de diminution de la douleur ne se traduisait pas en une amélioration des capacités fonctionnelles après 3 mois. Les patients ayant une perception globale de récupération après 3 mois étaient plus nombreux uniquement dans le groupe intervention de l’étude « SI ». Il convient de signaler que la prudence est de rigueur pour en tirer des conclusions car aucune analyse de puissance n’a été effectuée à cet effet, un critère de jugement secondaire.
Durant les 3 premiers mois, mais surtout au cours du suivi après 3 mois, 25 à 35% des patients des groupes témoins ont quand même bénéficié d’une dénervation par radiofréquence. Cette contamination n’a néanmoins pas entraîné d’autres résultats dans les analyses de sensibilité.
Conclusion de Minerva
Ces études pragmatiques randomisées contrôlées, de méthodologie correcte, montrent que l’association d’une dénervation par radiofréquence et de la gymnastique médicale active ne conduit pas à une amélioration cliniquement pertinente de la lombalgie chronique, par comparaison avec la gymnastique médicale seule. L’extrapolation des résultats est rendue compliquée de par la possibilité d’un biais de sélection des patients et du manque de technique standardisée de traitement.
Pour la pratique
Le GPC publié par le KCE (10) en 2017 recommande, sur base de 4 petites RCTs de faible à très faible qualité méthodologique (aucune référence mentionnée) d’envisager une dénervation par radiofréquence, réalisée par des médecins ayant bénéficié d’une formation appropriée, chez les patients atteints de lombalgie chronique avec suspicion de syndrome facettaire, lorsque la prise en charge non chirurgicale multimodale, basée sur les preuves, n’a pas donné de résultat, que la source principale de la douleur semble provenir des structures innervées par les branches médiales et que le patient, au moment où il est référé, souffre de douleur dorsale locale modérée ou sévère (score de 5 ou plus sur une échelle numérique de 0 à 10) (faible recommandation avec niveau de preuve moyen à très faible). Un examen d’imagerie n’est pas nécessaire avant la dénervation par radiofréquence, mais une réponse positive à un bloc nerveux de la branche médiale à visée diagnostique est toutefois recommandée (opinion d’expert). En Belgique, la dénervation par radiofréquence est remboursée à condition d’être guidée par imagerie, de porter sur au moins 3 niveaux articulaires (unilatéraux) et d’être réalisée au maximum 3 fois par an.
Les résultats de l’étude pragmatique randomisée contrôlée décrite plus haut ne viennent pas étayer l’utilisation de la dénervation par radiofréquence dans le traitement de la lombalgie chronique. Pour pouvoir tirer des conclusions définitives, il convient de mener une étude clinique (de préférence internationale) axée sur la pratique, d’une excellente qualité sur le plan méthodologique, avec suivi sur le long terme de paramètres objectifs et fonctionnels et utilisant une technique standardisée de dénervation par radiofréquence.
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