Analyse


La kinésithérapie pour prévenir l'incontinence urinaire en postpartum ?


28 11 2025

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Cabrera-Martos I, Cortés-Alcaraz C, Jiménez-López P, et al. Physical therapist interventions to prevent postpartum urinary incontinence: a systematic review. Physical Ther 2025;105: pzaf017. DOI: 10.1093/ptj/pzaf017


Question clinique
Quels sont les effets des interventions de kinésithérapie, seules ou combinées à d’autres traitements, pour prévenir l'incontinence urinaire chez des femmes enceintes ou en post-partum sans restriction d’origine ou de lieu, versus un groupe contrôle sans intervention ou avec placebo ou autre traitement ?


Conclusion
Cette revue systématique de 2025 met en évidence que le renforcement des muscles du plancher pelvien a un effet positif sur la prévention de l’incontinence urinaire post-partum. Bien qu’elle soit de bonne qualité méthodologique et s’inscrive dans la tendance visant à intégrer la kinésithérapie dans la prise en charge des incontinences urinaires d’effort en péripartum, les études incluses présentent des protocoles de rééducation et des méthodes d’analyse trop hétérogènes pour pouvoir tirer des conclusions pratiques et généralisables.


Contexte

L’incontinence urinaire post-partum concerne jusqu’à 32% des femmes (1). Elle peut avoir un impact majeur sur la qualité de vie et contribuer au développement de symptômes anxieux ou dépressifs (2). Une revue récente de la littérature met en évidence l’intérêt du renforcement des muscles du plancher pelvien pour réduire ce problème lorsqu’il est déjà installé (3). En 2013, Minerva a analysé (4) une synthèse méthodique Cochrane (5) montrant que les exercices pelviens réalisés en prénatal peuvent prévenir l’incontinence urinaire jusqu’à 6 mois après l’accouchement. Plus récemment, en 2021, une autre analyse de Minerva (6) a mis en évidence que le travail des muscles pelviens améliore l’ensemble des formes d’incontinence (7).
La prévention apparaît donc comme un enjeu essentiel afin de limiter les répercussions négatives de l’incontinence. Toutefois, aucune revue antérieure n’a spécifiquement examiné le rôle des interventions de kinésithérapie, en tenant compte de leurs différentes modalités, dans la prévention de l’incontinence urinaire post-partum. Une mise à jour des données scientifiques apparaît dès lors nécessaire (8).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique sans méta-analyse.

 

Sources consultées

  • PubMed/MEDLINE, Web of Science, ScienceDirect, PEDro, CINAHL, Scopus
  • consultation en date du 26 avril 2023.

 

Etudes sélectionnées

  • critère d’inclusion : 
    • RCTs publiés en anglais, espagnol, français, italien, brésilien et portugais
    • femmes pendant la grossesse ou post-partum
    • intervention d’un physiothérapeute : 
      • étude sur la prévention de l’incontinence urinaire en post-partum (seule ou combinée à d'autres traitements)
    • comparateur : sans intervention, placebo ou autre traitement
    • évaluant des variables liées à l’incontinence urinaire du post-partum
  • au total, 9 études randomisées contrôlées ont rencontré les critères d’inclusion ; toutes les études incluaient une intervention kinésithérapeutique, principalement un entraînement des muscles du plancher pelvien, réalisé à domicile dans 5 études, et/ou par des informations de santé dans 4 études ; une étude a réalisé une électrostimulation vaginale basse fréquence, et une autre étude a utilisé le massage périnéal.

 

Population étudiée

  • femmes adultes (> 18 ans), pendant la grossesse ou après l’accouchement, sans restriction d’origine ethnique ni de contexte
  • ont été exclues les femmes présentant une incontinence urinaire préexistante, des infections urinaires, des pathologies neurologiques ou génito-urinaires, des grossesses multiples ou à haut risque, ainsi que des antécédents de chirurgie pelvienne ou de maladies chroniques susceptibles d’interférer avec les interventions ou les évaluations
  • au total, les données de 2694 patientes étaient disponibles pour 3176 patientes recrutées.

 

Mesure des résultats 

 

Résultats

  • les résultats, issus de plusieurs études différentes, sont présentés sous forme narrative dans l’article, complétés par des tableaux descriptifs (dont synthèse ci-dessous) :  

 

Incidence de l’incontinence urinaire post-partum (PPUI)

Après intervention : EG : 15,0% vs CG : 31,7% (p = 0,002) (N = 1)

À 6 semaines post-partum : EG : 15,7% vs CG : 47% (p = 0,009) (N = 1)

À 3 mois post-partum : EG : 31,0% (108 femmes) vs CG : 38,4% (125 femmes) | Différence : 7,4% (p = 0,044) (N = 1)

Sévérité et fréquence de l’incontinence

À 3 mois postpartum : nombre d’épisodes par semaine EG et CombG vs CG (p < 0,001) :

- 0 : 6,7%, 34,9%, 62,1% (CG, IG, CombG)

- ≤1 : 6,7%, 47,6%, 33,3%

- 2–3 : 41,7%, 15,9%, 4,5%

- 3–7 : 41,7%, 1,6%, 0%

- 7 : 3,3%, 0%, 0% (N = 1)

À 6 semaines post-partum : CG : Grade I : 62,5% ; Grade II : 37,5% vs EG ; Grade I :100% (N = 1)

À 3 mois post-partum : femmes sévèrement touchées : EG : 10,1% vs CG : 17,0%  (N = 1)

À 12 semaines post-partum : fréquence plus basse pour EG vs CG  (p < 0,05) :

- ≤1 fois/semaine : EG : 100% vs CG : 22,2%

- 1 fois/semaine : EG : 0% vs CG : 77,8%  (N = 1)

Fuites urinaires à l'effort (urine pad test)

À 3 mois post-partum : taux de positivité : CG : 25,0% vs EG : 19,0% vs CombG : 7,6% (p = 0,029) (N = 1)

Carnet de mictions / questionnaire

À 3 mois post-partum : résultats contradictoires entre deux études (meilleurs résultats dans le groupe IG par rapport au groupe CG dans une étude ; aucune différence dans une autre étude).

  EG : Experimental Group ; CG : Control Group ; CombG : Combination 

 

 

Conclusion des auteurs

Les études examinées suggèrent que les interventions de kinésithérapie, notamment la rééducation des muscles du plancher pelvien, ont un impact positif sur la prévention du développement de l'incontinence urinaire post-partum, comparativement aux soins habituels ou à l'absence d'intervention. L'hétérogénéité et le nombre limité d'études rendent nécessaire la réalisation d'essais cliniques randomisés de haute qualité encore plus nombreux.

 

Financement de l’étude

Aucun financement n’est à déclarer pour cette étude.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Pas de conflit d'intérêts.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été conduite selon les critères PRISMA et enregistrée sur PROSPERO. Seuls des essais contrôlés randomisés (RCTs) ont été inclus, avec des critères d’inclusion clairs selon le modèle PICOS, ce qui renforce la validité interne. Deux lecteurs ont évalué les articles de manière indépendante pour effectuer leur sélection, et la même procédure a été appliquée pour l’extraction des données. Un troisième auteur intervenait en cas de désaccord. Un diagramme de flux PRISMA pour le processus de sélection des études détaillé est disponible. La qualité méthodologique de chaque article a été évaluée à l’aide de l’échelle PEDro et de l’outil Cochrane « Risk of Bias 2 » (ROB 2). Une étude a obtenu un score faible (0–5), tandis que huit essais présentaient une qualité moyenne à élevée, avec des scores supérieurs ou égaux à 6/10 sur l’échelle PEDro. Selon l’outil ROB 2, deux études présentaient un faible risque de biais, une étude un risque modéré, et six études un risque élevé. Une hétérogénéité importante est constatée : les protocoles de kinésithérapie, les durées, les fréquences, et les outils d’évaluation varient considérablement entre les études, rendant impossible toute méta-analyse. Les tailles d’effet avec intervalles de confiance dans l’analyse statistique auraient été pertinente pour une interprétation plus rigoureuse des résultats, mais les auteurs ont clairement mentionné qu’une méta-analyse n’avait pas été possible.  En raison de la nature des interventions, l’insu des thérapeutes et des participantes était souvent impossible, ce qui peut introduire un biais de performance ou de détection. Certaines études reposent uniquement sur des questionnaires auto-administrés ou des entretiens, ce qui peut limiter la précision des résultats.

 

Évaluation des résultats

Les résultats suggèrent que les interventions de kinésithérapie, en particulier les exercices du plancher pelvien, sont globalement efficaces pour prévenir la PPUI, surtout lorsqu’elles sont initiées tôt et accompagnées d’un suivi. Bien que certaines études sélectionnées aient inclus de grands échantillons, leur qualité méthodologique restait limitée et leur hétérogénéité importante, tant au niveau des modalités d’application que des mesures de résultats et des points d’évaluation. Cette hétérogénéité empêche de recommander un protocole standardisé (fréquence, durée, supervision, etc.).
La dose et la fréquence des interventions n’étaient pas toujours précisées, et la nature exacte de la thérapie physique (intervention kinésithérapeutique) manquait de clarté, ce qui peut générer des biais supplémentaires et compliquer la transposabilité au contexte belge d’autant plus que la prescription de séances de kinésithérapie en Belgique est encadrée. Notons l’absence de données sur les effets différenciés selon le nombre de grossesses ou le type d’accouchement et que certaines études excluaient les césariennes ou les grossesses multiples, ce qui limite encore un peu plus la généralisabilité des résultats.  Enfin, aucun résultat sur le long terme n’est disponible.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le KNGF (Association royale néerlandaise de kinésithérapie) recommande la rééducation du plancher pelvien (niveau de preuve 4) dans le traitement de l’incontinence urinaire d'effort (9).
En Belgique, Ebpracticenet (10), via Farmaka (11), propose également la rééducation pelvienne, mais l’incontinence urinaire en période périnatale n’est pas encore incluse dans les guides de pratique clinique nationaux.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique de 2025 met en évidence que le renforcement des muscles du plancher pelvien a un effet positif sur la prévention de l’incontinence urinaire post-partum. 
Bien qu’elle soit de bonne qualité méthodologique et s’inscrive dans la tendance visant à intégrer la kinésithérapie dans la prise en charge des incontinences urinaires d’effort en péripartum, les études incluses présentent des protocoles de rééducation et des méthodes d’analyse trop hétérogènes pour pouvoir tirer des conclusions pratiques et généralisables.

 

 


Références 

  1. Moossdorff-Steinhauser HF, Berghmans BC, Spaanderman ME, Bols EM. Prevalence, incidence and bothersomeness of urinary incontinence between 6 weeks and 1 year post-partum: a systematic review and meta-analysis. DOI: 10.1007/s00192-021-04877-w
  2. Coyne KS, Kvasz M, Ireland AM, et al. Urinary incontinence and its relationship to mental health and health-related quality of life in men and women in Sweden, the United Kingdom, and the United States. Eur Urol 2012;61:88-95  DOI: 10.1016/j.eururo.2011.07.049 
  3. Abrams P, Andersson KE, Apostolidis A, et al. 6th International Consultation on Incontinence. Recommendations of the International Scientific Committee: EVALUATION AND TREATMENT OF URINARY INCONTINENCE, PELVIC ORGAN PROLAPSE AND FAECAL INCONTINENCE. Neurourol Urodyn 2018;37:2271-2. DOI: 10.1002/nau.23551
  4. La rédaction Minerva. Prévention de l’incontinence : efficacité des exercices musculaires pelviens. Minerva Analyse 15/09/2013.
  5. Boyle R, Hay‐Smith EJC, Cody JD, Mørkved S. Pelvic floor muscle training for prevention and treatment of urinary and faecal incontinence in antenatal and postnatal women. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD007471.pub2
  6. Ballout H. Soulager l’incontinence urinaire féminine par le renforcement des muscles pelviens. Minerva Analyse 15/04/2021.
  7. Dumoulin C, Hay-Smith J. Pelvic floor muscle training versus no treatment, or inactive control treatments, for urinary incontinence in women. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD005654.pub2
  8. Cabrera-Martos I, Cortés-Alcaraz C, Jiménez-López P, et al. Physical therapist interventions to prevent postpartum urinary incontinence: a systematic review. Physical Ther 2025;105: pzaf017. DOI: 10.1093/ptj/pzaf017
  9. KNGF-richtlijn Stress (urine-)incontinentie. 2017.
  10. GPC kinésitherapeutique L'incontinence urinaire de stress. Ebpracticenet. Mis à jour par KNGF : 23/09/2023. 
  11. Farmaka. Incontinence d’effort. Formulaire de soins aux Personnes Agées. 7/03/2022.




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