Revue d'Evidence-Based Medicine



Asthme et/ou rhinite allergique : utilité du dépistage des allergènes ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 8 Page 94 - 95

Professions de santé


Analyse de
Smith H, Horney D, Goubet S, et al. Pragmatic randomized controlled trial of a structured allergy intervention for adults with asthma and rhinitis in general practice. Allergy 2015;70:203-11.


Question clinique
En médecine générale, la mise en évidence des allergènes déclencheurs suivie d’un conseil ciblé d’évitement améliore-t-elle le bien-être général des patients adultes atteints depuis un certain temps d’asthme ou de rhinite allergique (ou des 2) versus prise en charge habituelle ?


Conclusion
Cette étude pragmatique, dont la qualité méthodologique est bonne, montre qu’en médecine générale, chez les patients connus pour avoir de l’asthme et/ou une rhinite allergique depuis un certain temps, une enquête structurée recherchant l’exposition à des allergènes déclencheurs, complétée par des tests cutanés et par un conseil ciblé d’évitement des allergènes concernés, n’entraîne pas de modifications des symptômes, de la qualité de vie et de la fonction pulmonaire après 12 mois. Cependant, la population de l’étude présentait peu de symptômes en début d’étude, et la qualité de vie n’était pas vraiment altérée. De plus, les patients étaient déjà relativement bien au courant des allergènes auxquels ils étaient hypersensibles, et avaient peut-être déjà pris des mesures pour les éviter, ce qui réduit encore plus les possibilités d’amélioration clinique pertinente.


Asthme et/ou rhinite allergique : utilité du <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="dépistage" data-content="C’est l’action par laquelle on tente d’identifier, chez une personne ou dans une population, un problème de santé ou un facteur de risque. On utilise des tests ou d’autres méthodes qui peuvent permettre de distinguer entre les personnes qui ont ce problème ou qui ont un grand risque de l’avoir et les personnes qui n’ont pas le problème. Dans un «dépistage de masse», le dépistage vise l’entièreté d’une population. Un «dépistage sélectif» concerne uniquement un groupe (à haut risque) dans une population.">dépistage</a></strong> des allergènes ?

Contexte

Il est admis qu’éviter les allergènes chez les patients souffrant d’asthme ou de rhinite allergique réduit les symptômes et la prise de médicaments (1,2). C’est le plus souvent le médecin généraliste qui pose les diagnostics d’asthme et de rhinite allergique et qui instaure les traitements, sans un historique précis des allergènes déclencheurs au moyen de l’anamnèse ou la mise en évidence par les tests cutanés allergiques. Dès lors, la prise en charge est souvent empirique et les conseils d’évitement ne sont souvent pas donnés ou ne correspondent pas aux sensibilités du patient.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 278 patients de 18 à 50 ans (âge médian de 40 ans), 35% d’hommes, recrutés dans 12 cabinets de première ligne dans le Sud de l’Angleterre, avec un diagnostic d’asthme et/ou de rhinite allergique dans leur dossier médical informatisé. Un bronchodilatateur, des corticoïdes en inhalation ou un spray nasal de corticoïdes au cours de l’année écoulée, ou un antihistaminique devait avoir été prescrit au cours des 2 dernières années
  • critères d’exclusion : maladie au stade terminal, trouble psychiatrique grave, événement important survenu récemment dans la vie du patient, incapacité à donner son consentement éclairé, patient ne comprenant pas l’anglais.

 

Protocole de l’étude

  • RCT pragmatique menée en ouvert comportant 2 groupes 
    • groupe intervention (n = 149) : à partir d’une anamnèse structurée, les investigateurs ont cherché à savoir à quoi les patients pensaient être allergiques, depuis combien de temps et à quel point ils souffraient d’asthme ou de rhinite allergique, quels éléments renforçaient leurs symptômes (caractère saisonnier ? fonction du moment de la journée ? dans l’habitation ou à l’extérieur ?), s’ils étaient exposés à des animaux domestiques, à de la poussière ou à des facteurs professionnels, ou s’ils avaient d’autres affections atopiques ou des antécédents familiaux d’atopie ; ensuite, des tests cutanés ont été effectués avec des extraits standardisés d’acariens, un mélange de pollen de graminées et d’arbres, des poils de chats et de chiens ; enfin, les patients chez qui l’anamnèse et les tests cutanés étaient positifs ont reçu comme conseil d’éviter les allergènes en question (conseil complété par une brochure d’information sur les pollens des graminées et des arbres, les animaux domestiques et les acariens)
    • groupe témoin (n = 129) : prise en charge habituelle par traitement symptomatique empirique
  • suivi à 12 mois.

 

Mesure des résultats

Résultats

  • proportion de patients sortis de l’étude : 16% 
  • après 12 mois, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin quant au changement des valeurs du RQLQ, de l’AQLQ, du score symptomatique pour la rhinite allergique et l’asthme et de la fonction pulmonaire 
  • durant le suivi, il n’y a pas eu de différence statistiquement significative entre les 2 groupes quant à l’EQ-5D et quant au nombre de jours durant lesquels les activités quotidiennes étaient impossibles à effectuer.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en médecine générale, chez les patients qui sont connus pour avoir de l’asthme ou une rhinite allergique (ou les 2) depuis un certain temps, l’anamnèse structurée recherchant l’exposition à des allergènes, complétée par des tests cutanés puis par un conseil ciblé d’évitement des allergènes, n’entraîne pas de modifications des symptômes, de la qualité de vie et de la fonction pulmonaire après 12 mois. 

 

Financement de l’étude

ALK-Abello, qui a aussi fourni les allergènes pour les tests cutanés.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude d’intervention pragmatique a été bien conduite (3). La description du mode de recrutement est très précise. Etant donné que de nombreux patients savaient vraisemblablement à quels allergènes ils étaient allergiques (voir ci-dessous), un biais de sélection n’est pas exclu. La taille de l’échantillon était suffisante pour démontrer avec assez de puissance un effet cliniquement pertinent sur la qualité de vie. La randomisation a été effectuée correctement et en aveugle. Le groupe intervention et le groupe témoin ne différaient pas quant aux caractéristiques démographiques de base des patients. Cependant, comme la randomisation a été effectuée par patient et non pas par cabinet médical, une contamination entre le groupe intervention et le groupe témoin n’est pas exclue.

L’intervention est clairement décrite, et les infirmières qui devaient réaliser l’anamnèse et les tests cutanés ont reçu suffisamment d’instructions et de soutien. Un biais d'information est possible car cette étude en ouvert a surtout utilisé des questionnaires remplis par les patients eux-mêmes. L’évaluation des participants après 12 mois a été effectuée en aveugle. Un test du kappa de Cohen a confirmé que la reproductibilité entre 2 mesures a été efficace. L’analyse a été correctement effectuée avec ANCOVA (4). Mais les résultats ne sont pas complets : il manque des précisions concernant le degré d’exposition aux allergènes et les mesures d’évitement.

 

Interprétation des résultats

Il ressort des résultats de cette étude pragmatique (3), menée en médecine générale, que chercher à poser un diagnostic plus précis chez les patients connus pour avoir de l’asthme et/ou une rhinite allergique et leur donner un conseil ciblé d’éviter les allergènes concernés n’améliorent ni les symptômes ni la qualité de vie. Cependant, il s’agit ici spécifiquement de patients qui présentaient des symptômes depuis longtemps et qui savaient déjà à quels allergènes ils étaient allergiques. Ceci ressort du questionnaire (pré tests cutanés) chez les patients du groupe intervention. Les patients pensaient être allergiques à un plus grand nombre d’allergènes qu’ils ne l’étaient en réalité. Parmi les 149 patients, 116 ont indiqué un allergène de trop et seulement 7 étaient allergiques à un allergène insoupçonné. Leur connaissance préalable était donc très sensible (>95%), mais moins spécifique. En outre, on ne sait pas dans quelle mesure ces patients avaient déjà passé des tests cutanés auparavant (les critères d’exclusion ne mentionnaient que les tests cutanés effectués au cours des 2 dernières années). Il est donc possible qu’ils avaient déjà pris des mesures pour éviter certains allergènes et que le conseil actuel consistait surtout à ne plus éviter certains allergènes. Ce qui n’a pas permis d’améliorer les symptômes… Par contre, ce conseil peut peut-être être intéressant pour éviter d’inutiles mesures préventives (coûteuses), mais ce point n’a pas été examiné de manière plus approfondie. Les patients ont-ils suivi les conseils qui leur ont été donnés ? Cet élément n’a pas non plus été évalué. Nous ne pouvons donc pas conclure s’il est inutile de chercher à poser un diagnostic plus précis et de donner des conseils ciblés ou si le problème relève principalement du suivi des conseils. 

Parmi les 1287 patients approchés, seulement 440 ont répondu à l’invitation à participer. Il y a donc de fortes chances que la sélection ait inclus des patients qui étaient déjà fort soucieux de leur maladie et à qui des informations supplémentaires n’ont pas apporté grand-chose. En outre, il s’agissait de patients dont les symptômes étaient déjà relativement bien contrôlés et dont la qualité de vie n’était pas vraiment altérée. Le score RQLQ était ainsi en moyenne de 1,3 à 1,7 et le score AQLQ de 5,9 à 6,1. L’intervention a peut-être quand même eu un effet dans un sous-groupe de patients connus pour avoir de l’asthme et/ou une rhinite allergique avec des symptômes plus sévères.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude pragmatique, dont la qualité méthodologique est bonne, montre qu’en médecine générale, chez les patients connus pour avoir de l’asthme et/ou une rhinite allergique depuis un certain temps, une enquête structurée recherchant l’exposition à des allergènes déclencheurs, complétée par des tests cutanés et par un conseil ciblé d’évitement des allergènes concernés, n’entraîne pas de modifications des symptômes, de la qualité de vie et de la fonction pulmonaire après 12 mois. Cependant, la population de l’étude présentait peu de symptômes en début d’étude, et la qualité de vie n’était pas vraiment altérée. De plus, les patients étaient déjà relativement bien au courant des allergènes auxquels ils étaient hypersensibles, et avaient peut-être déjà pris des mesures pour les éviter, ce qui réduit encore plus les possibilités d’amélioration clinique pertinente.

 

Pour la pratique

Selon le guide de bonne pratique Duodecim, lorsque qu’un diagnostic d’asthme ou de rhinite allergique est posé de novo, il est utile de chercher à préciser et de déterminer si le patient est allergique à des allergènes particuliers, et certainement si cela peut influencer le succès du traitement (5-7). En Belgique, il s’agit le plus souvent – par ordre décroissant – d’une allergie aux acariens, au pollen de graminées, aux poils de chat, aux poils de chien, au pollen des arbres ou à la moisissure. Dans cette étude où il s’agit de patients, suivis en médecine générale, connus pour asthme et/ou rhinite allergique déjà bien contrôlés et ayant probablement connaissance des allergènes auxquels ils étaient hypersensibles, il ne semble pas nécessaire de chercher à préciser le diagnostic. Il existe peut-être un sous-groupe de patients chez qui les symptômes persistent et pour qui une mise au point diagnostique plus poussée pourrait tout de même être utile.

 

Références 

  1. Scadding GK, Durham SR, Mirakian R, et al. BSACI guidelines for the management of allergic and non-allergic rhinitis. Clin Exp Allergy 2008;38:19-42.
  2. SIGN. British guideline on the management of asthma. A nationale clinical guideline. British Thoracic Society, Scottish Intercollegiate Guidelines Network. October 2014.

  3. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.
  4. Poelman T. Analyse des variables continues au moyen d’une ANCOVA. MinervaF 2014;13(8):103.
  5. Rhinite allergique. Duodecim Medical Pubications. Dernier mis à jour: 17.1.2011.
  6. Asthme: symptômes et diagnostic. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 30.9.2011.
  7. Diagnostic et traitement de l’asthme infantile. Duodecim Medial Publications. Dernière mise à jour: 13.3.2010.

 

 

*  Questionnaire standardisé de qualité de vie spécifique de la rhino conjonctivite (Standardized Rhino-conjunctivitis Quality of Life Questionnaire, RQLQ)
Ce questionnaire, que le patient doit remplir lui-même, mesure l’impact de la rhino conjonctivite et se compose de 28 questions se rapportant à 7 domaines : activité, sommeil, symptômes autres que ceux de la rhinite, problèmes pratiques, symptômes nasaux, symptômes oculaires et fonctionnement émotionnel. Chaque question est notée de 0 = absence de symptômes à 6 = très nombreux symptômes. Le score global moyen et le score par domaine varie de 0 à 6.
**  Questionnaire standardisé de qualité de vie spécifique de l’asthme (Standardized Asthma Quality of Life Questionnaire, AQLQ)
Ce questionnaire, que le patient doit remplir lui-même, mesure l’impact fonctionnel de l’asthme et se compose de 32 questions se rapportant à 4 domaines : limitation des activités, symptômes, facultés émotionnelles et exposition à des stimuli environnementaux. Chaque question est notée de 1 = limitation complète à 7 = pas de limitation. Le score global est la moyenne de tous les scores, et varie de 1 à 7.
***  EQ-5D (EuroQol-5D)
Ce questionnaire, que le patient doit remplir lui-même, mesure l’impact fonctionnel de l’asthme et se compose de 32 questions se rapportant à 4 domaines : limitation des activités, symptômes, facultés émotionnelles et exposition à des stimuli environnementaux. Chaque question est notée de 1 = limitation complète à 7 = pas de limitation. Le score global est la moyenne de tous les scores, et varie de 1 à 7.



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