Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité des bêta2-mimétiques sur la toux en cas de bronchite aiguë ?
Contexte
En l’absence de test diagnostique aux caractéristiques opérationnelles suffisantes, le diagnostic de la bronchite aiguë repose sur une base clinique et une variété de définitions cliniques a été utilisée (1). Cependant, deux volets d’indications empiriques indirectes posent la question de l’efficacité éventuelle des bêta2-mimétiques sur la toux, symptôme cardinal de la bronchite aiguë. Premier volet, une obstruction réversible des voies aériennes, traduite par un VEMS < 80% au début de la bronchite aiguë est retrouvée chez 41% des patients étudiés (2). En dehors de la bronchite aiguë, la présence de toux est parfois un signe d’asthme, et peut s’améliorer sous bêta2-mimétiques (3). Second volet, on retrouve une obstruction bronchique avec hyperréactivité (bronchite aiguë asthmatiforme) chez des patients infectés par des virus ou des germes atypiques (4). Si ces indications empiriques sont transposables à la toux de la bronchite aiguë, les bêta2-mimétiques devraient être plus largement utilisés. Cependant la présence d’effets indésirables nécessite de bien définir la balance bénéfices/risques de ces molécules, d’autant que la dernière mise à jour sur le sujet datait de 2011 (5).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses
Sources consultées
- Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, Web of Science and LILACS (jusqu’en mai 2015)
- registres des études WHO ICTRP and clinicaltrials.gov (jusqu’en octobre 2014)
- comptes rendus de conférences, références dans articles trouvés, Science Citation Index
- demandes d’information à tous les producteurs US de bêta2-mimétiques actuellement utilisés
- pas de restriction quant à la langue de publication.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion : RCT chez des patients avec un diagnostic clinique de bronchite aiguë ou de toux aiguë ; répartis par randomisation soit au groupe avec bêta2-mimétiques soit au groupe sans bêta2-mimétiques
- critères d’exclusion : existence d’une pathologie pulmonaire chronique (BPCO, asthme, mucoviscidose) ou aiguë (sinusite, pneumonie, coqueluche)
- inclusion de 7 études cliniques randomisées (RCT), 6 comparant les patients sous bêta2-mimétiques avec un placebo et 1 comparant un bêta2-mimétique avec un antibiotique (érythromycine)
- pas de nouvelle RCT trouvée par rapport à la synthèse méthodique de 2011 mais inclusion de 2 RCT précédemment exclues
- la durée du traitement allait de 3 à 7 jours
- le bêta2-mimétique était administré per os dans 5 RCT, et par inhalation dans 2 RCT ; salbutamol oral dans 5 études (dont celle versus érythromycine), salbutamol inhalé dans 1 étude et fénotérol inhalé dans 1 étude ; salbutamol oral dans les 2 études avec les enfants
- 2 RCT ont comparé 3 groupes (bêta2-mimétiques + dextrométhorphane ; dextrométhorphane seul et placebo). Dans ces 2 RCT (une chez les enfants et une chez les adultes), l’analyse a été limitée aux bras bêta2-mimétiques + dextrométhorphane versus dextrométhorphane seul)
- la RCT avec érythromycine utilisait un plan factoriel à 4 bras : bêta2-mimétiques + érythromycine,bêta2-mimétiques + placebo, érythromycine + placebo, placebo + placebo ; les résultats publiés comparaient la combinaison des 2 bras avec bêta2-mimétiques versus les 2 bras sans bêta2-mimétiques car il n’y avait pas d’interaction démontrée entre le bêta2-mimétiques et l’érythromycine.
Population étudiée
- total de 552 patients : 2 RCT étudiaient les enfants âgés de 1 à 10 ans (n = 134, moyenne d’âge de 3,3 et 3,8 ans) et 5 se rapportaient aux adultes (n = 418).
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : score de la toux ; nombre de patients continuant à tousser à la fin de l’étude ; effets indésirables
- critères de jugement secondaires : caractéristiques spécifiques de la toux (nocturne, productive) ; limitations des activités et absence au travail ; état général
- analyse séparée enfants et adultes
- analyse soit par modèle d'effets fixes soit par modèle d'effets aléatoires selon le niveau d’hétérogénéité détecté
- analyse séparée chez les adultes, des RCT comparant les bêta2-mimétiques et un placebo et la RCT comparant un bêta2-mimétique et un antibiotique ; puis analyse de sensibilité en combinant ceux-ci.
Résultats
- critères de jugement primaires :
- enfants :
- pas de modification statistiquement significative du score moyen de la toux à 1, 3 et 7 jours entre le placebo et les bêta2-mimétiques (RR pour la toux à 7 jours de 0,89 avec IC à 95% de 0,47 à 1,68 ; qualité modérée de la preuve)
- pas de différence statistiquement significative observée pour les tremblements, mais l’intervalle de confiance à 95% du risque relatif est très large : RR de 6,76 avec IC à 95% de 0,86 à 53,18 (qualité modérée de la preuve) ; pas de différence statistiquement significative pour les autres effets indésirables
- adultes :
- pas de différence statistiquement significative des scores diurnes et nocturnes de la toux à 7 jours entre les 2 bras (qualité faible à modérée de la preuve)
- la présence de tremblements et nervosité est statistiquement plus élevée chez les adultes sous bêta2-mimétiques que sous placebo (RR de 7,94 avec IC à 95% de 1,17 à 53,94 ; n = 211 ; NNN = 3 ; avec IC à 95% de 1,6 à 3,7 ; qualité faible de la preuve).
Conclusion des auteurs
Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyses concluent que les résultats n’appuient pas l’utilisation de bêta2-mimétiques chez les enfants avec une toux aiguë et ne présentant aucune preuve d’une restriction des voies aériennes. L’intérêt d’une utilisation en routine de bêta2-mimétiques chez les adultes souffrant de toux aiguë est très limité. En effet, les bêta2-mimétiques peuvent réduire les symptômes tels que la toux chez les patients avec restriction des voies aériennes démontrée. Cependant ce bénéfice potentiel n’est pas clairement démontré par les preuves actuelles et doit, de plus, être mis en balance avec les effets indésirables potentiels de ces molécules.
Financement de l’étude
Center for Evidence-Based Practice, Upstate Medical University, Syracuse, NY, USA.
Conflits d’intérêts des auteurs
Les auteurs déclarent ne pas avoir des conflits d’intérêts.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette synthèse méthodique qui est une mise à jour de publications antérieures dont la dernière date de 2011 (5), commentée dans Minerva (6), suit les règles prescrites par la Cochrane Collaboration. La stratégie de la recherche complétée par l’interrogation des registres d’études, de compte-rendu de conférences, de contacts avec l’industrie pharmaceutique ainsi que l’absence de restriction sur la langue de publication, a permis de réduire la probabilité d’un biais de publication bien que les essais retenus aient été publiés avant que l’enregistrement soit devenu obligatoire. Trois auteurs ont, de manière indépendante, sélectionné les critères d'évaluation et extrait les données, sans avoir connaissance des résultats des études. Deux auteurs ont évalué, toujours de manière indépendante, les risques de biais de chaque essai. L’analyse montre que la qualité méthodologique des études incluses est faible à modérée ; en effet moins de 25% des études décrivent correctement la randomisation, dans < 50% nous pouvons être sûrs du respect de l’ignorance de l’allocation et dans environ 25% nous pouvons être confiant quant au maintien de l’insu au cours de l’étude. Le niveau des preuves est rapporté selon le système GRADE.
Interprétation des résultats
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses ne montre pas de bénéfice de l’utilisation de bêta2-mimétiques pour les patients présentant une toux aiguë en cas de bronchite aiguë non compliquée. Les bêta2-mimétiques peuvent au contraire avoir de fréquents effets indésirables. 5 RCT sur les 7 ont utilisé des bêta2-mimétiques per os, traitement aujourd’hui quasi disparu dans les affections respiratoires et plus sujet aux effets indésirables que la forme inhalée (7). Les auteurs ayant analysé séparément les enfants et les adultes, il faut bien retenir que les 2 RCT chez les enfants ont exclu ceux qui présentaient un wheezing ou une atteinte de la fonction pulmonaire et que tous avaient ≥ 2 ans. Les résultats discordants chez les adultes peuvent refléter les populations différentes recrutées avec dans certaines études plus de patients avec wheezing que dans d’autres. Une analyse de sous-groupes a montré que les patients avec wheezing (20 à 44% des participants), hyperréactivité bronchique ou diminution du VEMS obtenaient un score de symptômes plus bas en utilisant un bêta2-mimétique versus placebo mais que cette différence n’était pas présente chez les patients sans ces caractéristiques. La méta-analyse des données chez les adultes ne donne pas de résultats significatifs mais les intervalles de confiance à 95% sont larges et n’excluent pas la possibilité d’effets sur la toux grâce aux bêta2-mimétiques (possible manque de puissance). La durée courte des études (3 à 7 jours) ne donne aucune information sur d’éventuelles modifications induites par les bêta2-mimétiques sur les critères de jugement au-delà de cette fenêtre temporelle. Il n’y a pas d’information sur l’utilisation ou non de chambres d’inhalation dans les 2 études où le bêta2-mimétique était administré par inhalation et ceci a pu amener à un dépôt sous-optimal dans les voies aériennes. Signalons que pour le retour au travail, un critère de jugement également important, aucune amélioration n’est détectée après 7 jours. Enfin, soulignons que le nombre d’études incluses est faible.
Toutes ces remarques sont retrouvées dans la précédente analyse de Minerva sur le sujet (5,6). Cette mise à jour de la Cochrane Collaboration n’apporte pas d’éléments réellement neufs, mais elle conforte, voire nuance les précédentes conclusions.
Si une nouvelle étude devait être réalisée, il pourrait être intéressant de n’utiliser les bêta2-mimétiques que sous forme inhalée et de veiller à leur utilisation correcte. Enfin, chez les adultes, le NNH est de 3 et doit être mis en balance avec les éventuels bénéfices suggérés dans certains sous-groupes. Les conclusions actuelles sont donc marquées du sceau de l’incertitude et demandent des études supplémentaires avec identification de caractéristiques cliniques qui pourraient prédire une amélioration des symptômes et également préciser le rapport bénéfices/risques des bêta2-mimétiques dans une telle indication.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses, de bonne qualité méthodologique, de la Cochrane Collaboration conclut à l’absence de preuves de l’efficacité de l’administration de bêta2-mimétiques chez les enfants présentant de la toux dans le cadre d’une bronchite aiguë et ne souffrant pas de pathologie pulmonaire sous-jacente. Chez les adultes, l’intérêt d’une utilisation en routine de bêta2-mimétiques chez les adultes souffrant de toux aiguë n’est pas clairement démontré et serait très limité, ne concernant que les patients avec restriction des voies aériennes démontrée. De plus, ce bénéfice potentiel doit être mis en balance avec les effets indésirables (fréquents) de ces molécules.
Pour la pratique
Selon les recommandations de Duodecim (8) et de la SSMG (1) basées sur de précédentes revues de la Cochrane Collaboration, dans le cas d’une suspicion d’IVR, outre la toux, nombre de patients souffrent également d’une obstruction des voies respiratoires. Peu d’éléments permettent cependant de dire si l’utilisation en routine de bêta2-agonistes traite efficacement les problèmes de toux aiguë ou s’ils ont un effet favorable en cas de signes d’obstruction respiratoire. Les recommandations d’EBMPracticeNet (8) concluent que l’effet bénéfique des bêta2-mimétiques dans le traitement de la bronchite aiguë est discutable.
En 2016, la faiblesse actuelle des données probantes dans la littérature ne permet pas de faire des recommandations autres que l’évaluation au cas par cas, chez l’adulte, de l’intérêt de l’administration de bêta2-mimétiques en cas de toux dans le cadre d’une bronchite aiguë, pathologie bénigne à la durée limitée. Des signes d’hyperréactivité ou d’obstruction bronchique semblent être des facteurs qui entrainent une réponse bénéfique aux bêta2-mimétiques qu’il faut mettre en balance avec les effets indésirables. Par ailleurs, les résultats ne justifient pas l’utilisation de bêta2-mimétiques en cas de toux aiguë chez des enfants ne présentant aucune preuve de restriction des voies aériennes.
Références
- Coenen S, Van Royen P, Van Poeck K, et al. La toux aiguë. Recommandations de bonne pratique. Domus Medica/SSMG 2004.
- Williamson HA. Pulmonary function tests in acute bronchitis: evidence for reversible airway obstruction. J Fam Pract 1987;25:251-6.
- Ellul-Micallef R. Effect of terbutaline sulphate in chronic “allergic” cough. Br Med J (Clin Res Ed) 1983;287:940-3.
- Hahn DL, Dodge RW, Golubjatnikov R. Association of Chlamydia pneumoniae (strain TWAR) infection with wheezing, asthmatic bronchitis, and adult-onset asthma. JAMA 1991;266:225-30.
- Becker LA, Hom J, Villasis-Keever M, van der Wouden JC. Beta2-agonists for acute bronchitis. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 7.
- Chevalier P. Pas de bêta2-mimétique pour une bronchite aiguë. MinervaF 2012;11(1):2-3.
- Bêta2-mimétiques. Répertoire commenté des médicaments. CBIP 2016. (Accédé en avril 2016)
- Bronchite aiguë. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 28/05/2010, dernière revue: 07/06/2015.
Auteurs
Van Meerhaeghe A.
Service de Pneumologie et GERHPAC, Hôpital Vésale, CHU-Charleroi ; Laboratoire de Médecine Factuelle, ULB
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