Revue d'Evidence-Based Medicine
Un supplément de vitamine D permet-il de prévenir les infections aiguës des voies respiratoires ?
Minerva 2017 Volume 16 Numéro 6 Page 154 - 157
Professions de santé
Diététicien, Médecin généraliste, PharmacienContexte
Les études d’observation montrent un lien entre un faible taux sérique de 25-hydroxyvitamine D et la prédisposition aux infections aiguës des voies respiratoires (1,2). D’après la recherche fondamentale, la vitamine D joue un rôle dans plusieurs réactions immunitaires (3). Sur base de ces données, plusieurs études randomisées contrôlées ont cherché à savoir si des suppléments de vitamine D réduisaient le risque d’infections aiguës des voies respiratoires. Leurs résultats cumulés dans 5 méta-analyses différentes (4-8) ont par deux fois montré une réduction relative du risque statistiquement significative (4,5) du nombre d’infections des voies respiratoires.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses sur base des données individuelles de patients
Sources consultées
- Medline, Embase, Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), Web of Science, ClinicalTrials.gov, International Standard Randomized Controlled Trials Number register, jusqu’au 31 décembre 2015
- synthèses et listes de références des études publiées
- il a été demandé aux collaborateurs s’ils avaient connaissance d’autres études sur le sujet
- pas de restriction quant à la langue de publication.
Études sélectionnées
- inclusion des études randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo, de toute durée, évaluant de manière prospective l’effet de suppléments de vitamine D3 (cholécalciférol), administrés per os, sur l’incidence des infections aiguës des voies respiratoires comme critère de jugement prédéfini ; 25 études trouvées dont la durée variait de 7 semaines à un an et demi
- exclusion des études de suivi des études randomisées primaires.
Population étudiée
- 11321 patients des deux sexes, âgés de 0 à 95 ans, originaires de 14 pays de 4 continents
- études hétérogènes quant aux caractéristiques de base : enfants d’âge scolaire, enfants d’âge scolaire de maternelle, militaires, patients présentant une sensibilité accrue aux infections des voies respiratoires, enfants souffrant d’otite moyenne à répétition, étudiants de l’enseignement supérieur non universitaire, femmes enceintes, patients BPCO et asthmatiques (parmi ces derniers, tant des adultes que des enfants), patients gériatriques vivant de façon autonome et leur entourage, patients gériatriques en institution, nageurs adolescents atteints d’un déficit en vitamine D, adultes en bonne santé ; la concentration sérique moyenne de vitamine D variait de 18,9 à 88,9 nmol/l.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : incidence des infections aiguës des voies respiratoires
- critères de jugement secondaires : incidence des infections aiguës des voies respiratoires supérieures, infections des voies respiratoires inférieures, visites au service des urgences et/ou hospitalisation pour infection aiguë des voies respiratoires, administration d’antibiotiques comme traitement d’une infection aiguë des voies respiratoires, absence au travail ou à l’école en raison d’une infection aiguë des voies respiratoires, incidence et nature des effets indésirables graves, incidence des réactions potentiellement graves dues à l’administration de vitamine D (comme une hypercalcémie et des calculs rénaux), mortalité globale et mortalité liée aux infections aiguës des voies respiratoires
- analyses de sous-groupe en fonction de la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D (< 25 contre ≥ 25 nmol/l), de la dose (< 800 UI, 800-1999 UI, ≥ 2000 UI par jour) et de la posologie du supplément de vitamine D (tous les jours ou toutes les semaines, avec ou sans au moins une dose bolus d’au moins 30000 UI), de l’âge (≤ 1 an, 1 à 15,9 ans, 16 à 65 ans, > 65 ans), de l’IMC (< 25 versus ≥ 25), présence versus absence d’asthme, de bronchite chronique, de vaccination contre la grippe
- méta-analyses selon le modèle d’effets aléatoires avec correction pour tenir compte de l’âge, du sexe et de la durée de l’étude
- analyse de sensibilité avec exclusion des études dans lesquelles les infections aiguës des voies respiratoires étaient un critère de jugement secondaire et pour lesquelles le risque de biais n’était pas connu.
Résultats
- les données d’au moins 1 infection aiguë des voies respiratoires étaient connues pour 10933 patients
- avec un supplément en vitamine D, on a observé une diminution statistiquement significative du pourcentage de patients développant au moins 1 infection aiguë des voies respiratoires en moins (rapport de cotes (RC) 0,88 avec IC à 95% de 0,81 à 0,96 et nombre de sujets à traiter (NST) = 33 avec IC à 95% de 20 à 101 ; N = 25 études ; p < 0,001 pour l’hétérogénéité statistique) ; la diminution n’était statistiquement significative que si la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D était inférieure à 25 nmol/l (N = 14 études) et que la vitamine D n’était pas administrée en bolus mais bien quotidiennement (N = 12 études) ou toutes les semaines (N = 3 études)
- pas d’effet statistiquement significatif de la vitamine D sur le pourcentage de patients qui, au moins 1 fois en moins, développent une infection aiguë des voies respiratoires supérieures, une infection des voies respiratoires inférieures, passent une visite au service des urgences et/ou sont hospitalisés pour infection aiguë des voies respiratoires, utilisent des antibiotiques pour le traitement d’une infection aiguë des voies respiratoires, sont absents au travail ou à l’école en raison d’une infection aiguë des voies respiratoires, ainsi que sur l’incidence et la nature des effets indésirables graves
- pas d’effet statistiquement significatif de la vitamine D sur l’incidence des réactions potentiellement graves suite à l’administration de vitamine D, ni sur la mortalité toutes causes confondues, ni sur la mortalité liée aux infections aiguës des voies respiratoires.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les suppléments de vitamine D protègent de manière sûre contre les infections aiguës des voies respiratoires. Les patients qui en bénéficient le plus sont ceux qui présentent un déficit grave en vitamine D et ceux qui reçoivent une dose quotidienne ou hebdomadaire sans dose bolus.
Financement de l’étude
L’étude a été financée au moyen d’un crédit de recherche octroyé par le National Institute for Health Research.
Conflits d’intérêts des auteurs
Aucun des auteurs n’a le moindre conflit d’intérêts.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Le protocole de cette synthèse méthodique avec méta-analyses sur base des données individuelles de patients a été enregistré dans le registre prospectif international PROSPERO des synthèses méthodiques. La recherche dans la littérature et la sélection des articles ont été effectuées par 3 investigateurs. Deux investigateurs ont évalué la qualité méthodologique à l’aide de l’outil « risque de biais » de la Cochrane Collaboration (9). Le risque de biais était faible pour toutes les études sauf 2. Pour 2 études, le risque de biais était incertain en raison d’un grand nombre de sorties d’étude. Pour l’ensemble des études, les sorties d’études étaient cependant limitées (seulement 3,4%). Les études qui ont déterminé la concentration sérique en 25-hydroxyvitamine D ont utilisé un test validé. C’est important car, comme Minerva l’a déjà mentionné, les valeurs sériques varient fortement d’un test à l’autre (10,11).
Les données anonymisées des patients individuels de toutes les études ont été collectées de manière systématique. Trois auteurs ont contrôlé la fiabilité de ces données, et, en cas de suspicion de donnée incorrecte ou manquante, ils ont repris contact avec les investigateurs de l’étude incluse. Seules 3 études montraient des différences minimes entre les données des patients individuels et les données publiées. La méta-analyse des données collectées a été correctement effectuée (9,12). Une correction a été appliquée pour tenir compte de la randomisation en grappe de patients dans différentes études.
Les analyses en sous-groupes avaient été préalablement décrites dans le protocole. La taille des échantillons n’avait pas été calculée, et, pour certains sous-groupes, les investigateurs craignaient un manque de puissance.
Interprétation des résultats
Cette étude montre que, versus placebo, les suppléments de vitamine D réduisent d’environ 20% le risque relatif d’infection aiguë des voies respiratoires, et ce de manière statistiquement significative. Cette diminution est moins importante que dans les méta-analyses précédentes ayant un résultat statistiquement significatif (4,5). En chiffres absolus, cette diminution correspond à un NST de 33 (IC à 95% de 20 à 101). Le résultat est associé à une hétérogénéité statistique importante tout comme dans les méta-analyses précédentes (4-8). Grâce aux données des patients individuels, les investigateurs de cette synthèse méthodique peuvent rechercher de manière fiable quels sont les facteurs qui influencent le résultat (12). Il ressort de leur analyse en sous-groupes que la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D et la posologie sont deux variables indépendantes qui déterminent l’effet de la vitamine D. Après stratification en fonction de la posologie (avec ou sans bolus), il a été possible de constater qu’en cas d’administration quotidienne ou hebdomadaire, tant chez les personnes dont le taux sérique de 25-hydroxyvitamine D était inférieur à 25 nmol/l que chez celles chez qui il était supérieur ou égal à cette valeur, le risque diminuait (respectivement RC 0,30 avec IC à 95% de 0,17 à 0,53 et RC 0,75 avec IC à 95% de 0,60 à 0,95). Dans le groupe où la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D était faible, l’effet était toutefois plus important, et ce de manière statistiquement significative (p = 0,006). Le résultat n’était pas influencé par les autres variables explorées (posologie, âge, IMC, asthme, BPCO, vaccination contre la grippe).
Aucun avantage n’a été observé avec des doses administrées en bolus, même chez les patients dont la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D était inférieure à 25 nmol/l. Toutefois, la puissance était probablement trop faible pour certains critères de jugement secondaires et pour certaines analyses en sous-groupes.
La vitamine D n’a pas entrainé d’augmentation des effets indésirables graves. De par l’asymétrie du graphique en entonnoir (funnel plot), les auteurs signalent que des études plus petites avec une augmentation importante des effets indésirables graves ont peut-être été ignorées. La question est cependant de savoir quelle influence cela peut avoir sur le présent échantillon qui compte environ 11000 personnes.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses sur base de données individuelles de patients montre que les suppléments de vitamine D peuvent prévenir les infections aiguës des voies respiratoires. Les patients qui en bénéficient le plus sont ceux qui présentent un déficit grave en vitamine D et ceux qui reçoivent une dose quotidienne ou hebdomadaire sans dose bolus. Cette étude ne permet pas de s’exprimer sur l’intensité de l’effet dans d’autres sous-groupes.
Pour la pratique
Les guides de pratique clinique actuels sur les infections des voies respiratoires n’évoquent pas l’administration de vitamine D pour la prévention des infections des voies respiratoires (14). D’après les résultats de cette méta-analyse, il pourrait être utile d’administrer des suppléments de vitamine D tous les jours ou toutes les semaines aux personnes dont la concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D est inférieure à 25 nmol/l. Cette constatation relance la discussion concernant l’importance du dépistage de l’hypovitaminose D (10,11,15).
- Cannell JJ, Vieth R, Umhau JC, et al. Epidemic influenza and vitamin D. Epidemiol Infect 2006;134:1129-40. DOI: 10.1017/S0950268806007175
- Jolliffe DA, Griffiths CJ, Martineau AR. Vitamin D in the prevention of acute respiratory infection: systematic review of clinical studies. J Steroid Biochem Mol Biol 2013;136:321-9. DOI: 10.1016/j.jsbmb.2012.11.017
- Hewison M. Antibacterial effects of vitamin D. Nat Rev Endocrinol 2011;7:337-45. DOI: 10.1038/nrendo.2010.226
- Bergman P, Lindh AU, Bjorkhem-Bergman L, Lindh JD. Vitamin D and respiratory tract infections: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS One 2013;8:e65835. DOI: 10.1371/journal.pone.0065835
- Charan J, Goyal JP, Saxena D, Yadav P. Vitamin D for prevention of respiratory tract infections: A systematic review and meta-analysis. J Pharmacol Pharmacother 2012;3:300-3. DOI: 10.4103/0976-500X.103685
- Mao S, Huang S. Vitamin D supplementation and risk of respiratory tract infections: a meta-analysis of randomized controlled trials. Scand J Infect Dis 2013;45:696-702. DOI: 10.3109/00365548.2013.803293
- Xiao L, Xing C, Yang Z, et al. Vitamin D supplementation for the prevention of childhood acute respiratory infections: a systematic review of randomised controlled trials. Br J Nutr 2015;114:1026-34. DOI: 10.1017/S000711451500207X
- Vuichard Gysin D, Dao D, Gysin CM, et al. Effect of vitamin D3 supplementation on respiratory tract infections in healthy individuals: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS One 2016;11:e0162996. DOI: 10.1371/journal.pone.0162996
- Higgins JP, Altman DG, Gotzsche PC, et al; Cochrane Bias Methods Group; Cochrane Statistical Methods Group. The Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2011;343:d5928. DOI: 10.1136/bmj.d5928
- La Rédaction Minerva. Dosage de la vitamine D : résultats variables selon le test utilisé. Minerva bref 28/01/2013.
- Barake M, Daher RT, Salti I, et al. 25-hydroxyvitamin D assay variations and impact on clinical decision making. J Clin Endocrinol Metab 2012;97:835-43. DOI: 10.1210/jc.2011-2584
- Chevalier P. Méta-analyse sur données individuelles : avantages et limites. MinervaF 2010;9(9):112.
- Riley RD, Lambert PC, Abo-Zaid G. Meta-analysis of individual participant data: rationale, conduct, and reporting. BMJ 2010;340:c221. DOI: 10.1136/bmj.c221
- Art B, Coenen S, De Meyere M. Acute luchtweginfecties bij volwassenen. BAPCOC 2013. (Guide de bonne pratique national uniquement disponible en Néerlandais).
- Avonts M, Cloetens H, Leyns C, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Aanvraag van laboratoriumtests door huisartsen. Deel 1 & 2. Domus Medica 2011.
Ajoutez un commentaire
Commentaires