Revue d'Evidence-Based Medicine
Un programme intensif de contrôle du poids pour obtenir une rémission prolongée d’un diabète de type 2
Minerva 2019 Volume 18 Numéro 5 Page 57 - 61
Professions de santé
Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Contexte
La survenue d’un diabète de type 2 est liée à des facteurs génétiques héréditaires et à des facteurs environnementaux. L’obésité (surtout abdominale) et le manque d’exercices sont les principaux facteurs déclenchants (1). Un diabète de type 2 peut provoquer des complications importantes, notamment des complications macrovasculaires qui sont en grande partie responsables de la mortalité́ accrue chez des patients souffrant de diabète.
Pour les patients présentant un diabète de type 2 et en surpoids, une diminution du poids corporel d’au moins 5 à 10% est fortement recommandée (GRADE 1A) ; des données d’observation montrent une amélioration significative des facteurs de risque cardiovasculaire avec une telle diminution de poids, le bénéfice étant encore plus important avec une diminution plus forte (2). Des données d’observation ont également montré une rémission du diabète plus fréquente 2 ans et 15 ans après une chirurgie bariatrique (3). Une rémission du diabète grâce à un traitement visant à perdre du poids n’avait pas encore été montrée en première ligne de soins dans le cadre d’une RCT.
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : patients âgés de 20 à 65 ans, avec un diagnostic de diabète de type 2 établi dans les 6 précédentes années, avec un Indice de Masse Corporelle (IMC) de 27 à 45 kg/m2 ; pas de critères spécifiques pour les pratiques de première ligne
- critères de diagnostic du diabète : HbA1c la plus récente > 6,0% et si HbA1c < 6,5%, les patients devaient prendre un médicament antidiabétique
- critères d’exclusion : traitement par insuline, HbA1c ≥ 12%, perte de poids de plus de 5 kg dans les 6 derniers mois, GFR < 30 ml/min/1,73 m2, insuffisance cardiaque sévère ou instable, abus de substance, cancer, infarctus du myocarde dans les 6 mois précédents, difficultés d’apprentissage, traitement amaigrissant en cours, trouble de l’alimentation ou purges fréquentes, grossesse (ou souhait de), hospitalisation pour dépression ou pour un recours à des antipsychotiques
- inclusion de 306 sujets (sur les 1510 éligibles) dont les principales caractéristiques sont : âge moyen de 54,5 ans, 41% de femmes, IMC moyen de 34,7 kg/m2, HbA1c de 7,6%, 76% sous antidiabétique oral (un seul (48,5%) ou au moins 2 (27,5%)), diabète diagnostiqué en moyenne depuis 3 ans.
Protocole d’étude
- étude en protocole ouvert, avec randomisation par grappes, multicentrique (49 pratiques de première ligne en Ecosse et Nord Est de l’Angleterre)
- la pratique de première ligne est l’unité de randomisation, stratifiée en fonction de la population par pratique (> 5700 ou ≤ 5700)
- intervention : soit mise en place du Counterweight-Plus weight management programme visant à obtenir et maintenir une perte de poids d’au moins 15 kg chez le plus grand nombre de sujets possible, avec une certaine flexibilité individuelle, grâce à un régime initial de 825 à 853 kcal/j (pendant 3 mois avec prolongation possible jusqu’à 5 mois) puis réintroduction alimentaire progressive sur 2 à 8 semaines, avec visite mensuelle pour perte de poids chez un praticien (infirmier, diététicien) formé ; arrêt des médicaments antidiabétiques et antihypertenseurs (avec réintroduction si nécessaire selon les GPC) ; encouragement à poursuivre (mais à ne pas augmenter) les activités physiques (groupe intervention, n = 149), soit groupe contrôle sans intervention spécifique (n = 149) : dans les 2 groupes, soins pour les sujets diabétiques selon les GPC (SIGN ou NICE)
- récolte des données de résultats en insu
- analyse en intention de traiter ; pour les données non disponibles, elles sont considérées comme critère primaire non atteint.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : à 12 mois, réduction de poids d’au moins 15 kg et rémission du diabète (HbA1c < 6,5% après au moins 2 mois de suppression de tout médicament antidiabétique, à partir du début d’étude jusqu’à 12 mois)
- critères secondaires, à 12 mois : qualité de vie (EQ-5D), lipides sanguins, activité physique.
Résultats
- non disponibles à 12 mois pour 8% des sujets inclus
- 21% des sujets du groupe intervention n’ont pas commencé (4%) ou ont arrêté leur traitement durant les 12 premiers mois (17%)
- critères de jugement primaires :
- réduction de poids d’au moins 15 kg : 24% des participants dans le groupe intervention, 0% dans le groupe contrôle ; p < 0,0001
- rémission du diabète : respectivement de 46% (68 participants) et 4% (6 participants), soit un OR de 19,7 avec IC à 95% de 7,8 à 49,8 ; p < 0,0001
- critères secondaires :
- score EQ-5D, échelle analogique : amélioration de 7,2 (DS 21,3) dans le groupe intervention et détérioration de 2,9 (DS 15,5) points dans le groupe contrôle soit une différence moyenne ajustée de 6,4 points (avec IC à 95% de 2,5 à 10,3 ; p = 0,0012)
- triglycérides : taux 20% (avec IC à 95% de 11 à 28) plus bas dans le groupe intervention
- activité physique : pas de différence entre les deux groupes
- effets indésirables rapportés dans le groupe intervention : constipation, sensibilité accrue au froid, céphalées, troubles de l’équilibre.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que leurs résultats montrent que, à 12 mois, presque la moitié des participants parviennent à une rémission vers un état d’absence de diabète, sans médicament antidiabétique. La rémission d’un diabète de type 2 est un objectif réalisable en première ligne de soins.
Financement de l’étude
Strategic Research Initiative by Diabetes UK ; le programme Counterweight-Plus weight management a été fourni par l’institution privée Cambridge Weight Plan ; les sponsors ne sont intervenus à aucun des stades de la recherche et de sa publication.
Conflits d’intérêts des auteurs
3 auteurs, dont le premier, déclarent avoir reçu des financements de Counterweight (et de Cambridge Weight Plan) ; 2 autres auteurs y sont employés ; un auteur déclare avoir reçu des financements de différentes firmes pharmaceutiques, en dehors de cette recherche-ci ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette RCT repose sur un protocole et des analyses de bonne qualité méthodologique. La randomisation est faite de manière aléatoire, avec une stratification suivant la taille de la population de la pratique de première ligne. Les auteurs ont calculé la nécessité de recruter 280 patients pour assurer une puissance de 80% sur base d’un taux de rémission de 22% grâce à l’intervention versus 5% dans le groupe contrôle ; dans le groupe intervention le taux de rémission a été de 46% pour 4% dans le groupe contrôle, soit des chiffres plus performants que les estimations.
Les auteurs ont corrigé les résultats en fonction de la randomisation par grappes et avec des modèles de régression pour ajustement par pratique et par volume de patients de la pratique.
Quelques limites sont cependant à signaler. Les analyses ne comportent pas d’ajustement de la valeur p pour les comparaisons multiples; il y a, par contre, une analyse de sensibilité avec imputations multiples pour les données manquantes. Les patients sont décrits par les auteurs comme ayant des caractéristiques initiales « semblables » dans les deux groupes. Notons cependant des différences importantes pour la présence initiale de toute affection cardiovasculaire (9% dans le groupe intervention, 16% dans le groupe contrôle) et pour la présence d’une microalbuminurie (19% dans le groupe intervention, 7% dans le groupe contrôle). Une (micro)albuminurie signe une atteinte rénale et est un facteur prédictif de mortalité cardiovasculaire et d’évolution vers une insuffisance rénale (1).
Critères de diagnostic du diabète
Selon la RBP belge (1), un diagnostic de diabète sucré de type 2 peut être posé après deux résultats de glycémie à jeun ≥ 126 mg/dl, mesurés lors de jours différents (GRADE 1A). S’il n’est pas possible de déterminer la glycémie à jeun, une autre méthode (moins sensible) pour poser le diagnostic consiste à mesurer à deux reprises un taux d'HbA1c ≥ 6,5% (48 mmol/mol) (GRADE 2A).
Les critères de diagnostic du diabète adoptés dans cette étude correspondent, indirectement, à la définition retenue dans la RBP (si HbA1c < 6,5%, ce taux doit être mesuré sous prise d’un médicament antidiabétique), ce qui permet d’inclure des sujets avec un diagnostic (récent) de diabète mais déjà traités par antidiabétique oral.
Interprétation des données
Cette étude montre l’intérêt d’un programme en première ligne de soins, programme bénéficiant d’une infirmière ou d’une diététicienne formée, programme visant une perte de poids significative, en termes de réduction de diagnostic de diabète, chez des personnes obèses présentant un diabète de type 2 depuis maximum 6 ans. Dans leur analyse de leurs résultats d’étude, les auteurs soulignent que :
- pour l’ensemble des sujets inclus, aucun patient n’ayant pas maigri n’a présenté de rémission
- les 6 participants du groupe contrôle qui ont obtenu une rémission de leur diabète avaient maigri en cours d’étude
- le pourcentage de patients ayant obtenu une rémission est d’autant plus important que la perte de poids est plus importante (par exemple 7% en cas de perte de 0 à 5 kg, 57% en cas de perte de 10 à 15 kg, 86% en cas de perte d’au moins 15 kg).
A 12 mois, 74% des sujets du groupe intervention ne prennent plus de médicament antidiabétique, pour 18% dans le groupe contrôle. Un médicament antihypertenseur est, à ce terme, utilisé par 32% des patients du groupe intervention et 61% des sujets dans le groupe contrôle.
Ce bénéfice est acquis grâce à un programme qui permet une certaine souplesse dans la durée d’un régime strict et celle d’une réintroduction progressive d’une alimentation plus large, dans une population qui maintient son activité physique. Malgré la souplesse relative de ce programme, il faut souligner que dans cette population de volontaires, 25% des sujets ont arrêté ce programme en cours d’étude.
Cette étude confirme aussi l’intérêt d’une perte de poids sur la diminution des chiffres de pression artérielle et en termes de qualité de vie.
Les auteurs signalent qu’ils assureront un suivi à 4 ans de cette cohorte, ce qui nous apportera peut-être des éléments à propos de la finalité de ce type d’intervention, la prévention des complications, principalement cardiovasculaires, macrovasculaires, liées au diabète.
Contrôle, rémission du diabète et prévention des complications macrovasculaires
Nous avons publié, dans la revue Minerva (4), un commentaire concernant une étude contrôlée randomisée multicentrique américaine (5) incluant des personnes en surcharge pondérale ou obèses et présentant un diabète de type 2, avec un suivi d’une durée moyenne de 9,6 ans. La diminution de poids visée dans cette étude était d’au moins 7%. Malgré une amélioration de l’équilibre du diabète grâce, entre autres, à la perte de poids, l’étude ne montrait pas d’efficacité à long terme d’un changement intensif du mode de vie en termes de survenue d’événements cardiovasculaires.
Une analyse post-hoc de cette étude (6), avec toutes les incertitudes qu’engendre ce type d’analyse post-hoc, montre sur un suivi médian de 10,2 ans, que les sujets qui ont atteint une perte de leur poids d’au moins 10% durant la première année d’étude avaient un risque diminué (HR à 0,79 avec IC à 95% de 0,64 à 0,98 ; p = 0,034) de survenue du critère primaire composite (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal, hospitalisation pour angor). Cette diminution de poids d’au moins 10% est similaire à celle visée dans l’étude DiRECT.
Mise en perspective : ni prédiabète, ni chirurgie bariatrique
Les sujets inclus dans cette RCT DiRECT ont un diagnostic de diabète de type 2. Il ne s’agit donc pas d’une population présentant un « prédiabète », population dans laquelle une plus-value des interventions à long terme sur le mode de vie pour la prévention du diabète de type 2 a été montrée (7-10).
Comme alternative à un programme d’amaigrissement par régime, et plus fréquemment après échec de tels programmes chez un patient diabétique obèse, une chirurgie bariatrique peut être proposée. Si un avantage est montré à 15 ans pour ce type d’intervention versus absence d’intervention en termes de rémission du diabète, de complications micro et macrovasculaires (3), il s’agit de données d’observation qui doivent être confirmées dans des RCTs.
Conclusion de Minerva
Cette RCT DiRECT montre, sur 12 mois de suivi, l’intérêt d’un programme, en première ligne de soins, bénéficiant d’une infirmière ou d’une diététicienne formée, programme visant une perte de poids significative et maintenue, en termes de rémission d’un diabète de type 2, malgré l’arrêt des antidiabétiques oraux, chez des personnes obèses présentant initialement les critères diagnostiques requis de diabète de type 2, depuis 6 ans maximum.
Pour la pratique
La RBP belge concernant le diabète de type 2 (1) recommande fortement une diminution du poids corporel d’au moins 5 à 10% pour les patients présentant un diabète de type 2 et en surpoids (GRADE 1A). Pour modifier les habitudes alimentaires des patients diabétiques, la RBP conseille d'impliquer un(e) diététicien(ne).
Cette RCT DiRECT confirme l’intérêt d’un programme de diminution de poids, reposant sur une infirmière ou diététicienne formée, en première ligne de soins, chez des patients obèses présentant un diabète de type 2, en termes de rémission du diabète sur un suivi d’un an. Il reste à confirmer un bénéfice à plus long terme et, surtout, en termes de prévention des complications cardiovasculaires du diabète.
- Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG/Domus Medica 2015.
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