Revue d'Evidence-Based Medicine
Relation dose-réponse entre l’activité physique et le risque de dépression
Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 242 - 245
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PsychologueContexte
La dépression est la principale cause de morbidité liée à la santé mentale (1). Certaines études laissent penser que l’activité physique peut prévenir le risque de dépression (2). Une synthèse méthodique d’études randomisées contrôlées analysée dans Minerva a montré que l’entraînement physique (endurance et force) peut réduire la gravité de la dépression en 3 à 4 mois chez des personnes âgées présentant des symptômes de dépression, sous antidépresseurs ou non (3,4). Une autre synthèse méthodique d’études randomisées contrôlées, également analysée dans Minerva, n’a pas permis de tirer de conclusions quant aux effets de la pratique d’exercices physiques sur les symptômes dépressifs chez des patients atteints de maladie chronique (5,6). Deux guides relatifs au traitement de la dépression chez les adultes recommandent d’encourager la pratique d’activités physiques en groupe en cas de dépression légère à modérée et de pratiquer une activité physique au quotidien pour prévenir la rechute (7,8). Pour les adultes dans la population générale, l’OMS recommande 2,5 à 5 heures d’activité physique d’intensité modérée ou 1,25 à 2,5 heures d’activité physique d’intensité soutenue par semaine pour prévenir la dépression (entre autres) (9). On ne connaît toutefois pas encore la dose précise d’activité physique nécessaire pour avoir un effet sur la dépression (10).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- PubMed, SCOPUS, Web of Science, PsycINFO
- listes de référence de synthèses méthodiques et d’études incluses ou connues des auteurs
- recherche d’articles évalués par des pairs, publiés dans des revues universitaires avant le 12 novembre 2020, sans restriction linguistique.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : études de cohorte prospectives menées auprès d’adultes âgés d’au moins 18 ans, portant sur : 1) au moins trois volumes différents d’activité physique non professionnelle (pendant le temps libre uniquement ou combinée avec d’autres activités physiques non professionnelles, comme des déplacements et/ou des activités domestiques, ou encore combinée avec des formes spécifiques d’activité physique, comme la marche), mesurés en autogestion ou au moyen d’un dispositif ; 2) la dépression diagnostiquée par un médecin ou déterminée au moyen d’une échelle de dépression validée avec un seuil pour la dépression
- critères d’exclusion : études incluant moins de 3000 participants, avec suivi de moins de 3 ans, études menées auprès d’adultes en institution, études menées dans le cadre de la prévention secondaire ou tertiaire, études menées auprès de populations à haut risque (personnes souffrant de diabète, d’hypertension artérielle, etc.)
inclusion finale de 15 études menées aux États-Unis (N = 6), en Europe (N = 6), en Australie (N = 1), au Japon (N = 1) et avec des données issues d’Inde, du Ghana, du Mexique et de Russie (N = 1) ; avec suivi moyen compris entre 3 et 27 ans.
Population étudiée
- 191130 adultes, 64% de femmes, âge compris entre 18 et 93 ans.
Mesure des résultats
- méta-analyses de l’association dose-réponse
- entre le volume d’activité physique par semaine, exprimé en équivalent métabolique marginal hebdomadaire (mMET-h/sem) ; calculé en convertissant la fréquence et la durée de l’activité physique en nombre d’heures par semaine (pour les séances où aucune durée n’était indiquée, une durée estimée de 0,75 heure par séance a été prise en compte), puis en multipliant ce chiffre par 1,5 mMET en cas d’activité physique de faible intensité (travail domestique léger, entretien du jardin), par 3,5 mMET en cas d’activité physique d’intensité modérée à soutenue et par 7,0 mMET en cas d’activité physique d’intensité soutenue
- et la dépression : présence d’une dépression majeure déterminée par l’autorapport d’un diagnostic posé par un médecin, par des données enregistrées ou par des entretiens diagnostiques recourant aux critères DSM de l’International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems ; augmentation des symptômes dépressifs déterminée à l’aide de seuils validés d’une échelle de dépression (comme l’échelle du Center for Epidemiologic Studies Depression)
- fraction attribuable dans la population (FAP) pour 3 niveaux d’activité physique sur la base des recommandations de l’OMS : 8,8 mMET-h/sem [minimum recommandé, correspondant à environ 2,5 heures d’activité physique d’intensité modérée (marche rapide) par semaine], 17,5 mMET-h/sem (bénéfice supplémentaire pour la santé) et 4,4 mMET-h/sem (moitié du minimum recommandé)
- analyse de sensibilité (durée estimée de 0,50 heure par séance) et analyse de sous-groupe (en fonction de la méthode de diagnostic pour la dépression).
Résultats
- 78% de l’ensemble des participants ont signalé avoir réalisé un volume d’activité physique inférieur à 17,5 mMET-h/sem et 95%, un volume inférieur à 35 mMET-h/sem
- plus le volume d’activité physique par semaine était élevé, plus le risque de dépression était faible (voir tableau) ; l’association dose-réponse était comparable pour le diagnostic de dépression majeure et pour l’augmentation des symptômes dépressifs (voir tableau)
si tous les adultes avaient atteint le niveau d’activité recommandé (8,8 mMET-h/sem), on aurait pu éviter 11,5% des cas de dépression, 7,3% des cas de dépressions majeures et 14,4% des augmentations de symptômes dépressifs (voir tableau)
Tableau. Risque relatif (RR) et fraction attribuable dans la population (FAP) pour l’apparition de la dépression, le diagnostic de dépression majeure et l’augmentation des symptômes dépressifs en fonction du volume d’activité physique par semaine (mMET-h/sem).
|
RR [IC à 95%] |
FAP [IC à 95%] |
||||
|
4,4 |
8,8 |
17,5 |
4,4 |
8,8 |
17,5 |
Dépression |
0,82 [0,77 - 0,87] |
0,75 [0,68 - 0,82] |
0,72 [0,64 - 0,81] |
6,38 [4,25 - 8,63] |
11,53 [7,69 - 15,43] |
13,89 [8,44 - 19,25] |
Diagnostic de dépression majeure |
0,83 [0,75 - 0,92] |
0,75 [0,64 - 0,87] |
0,74 [0,61 - 0,88] |
2,97 [1,27 - 4,91] |
7,28 [3,36 - 11,44] |
8,04 [2,38 - 13,82] |
Augmentation des symptômes dépressifs |
0,80 [0,73 - 0,88] |
0,73 [0,64 - 0,84] |
0,70 [0,59 - 0,84] |
9,45 [5,19 - 13,86] |
14,44 [7,88 - 20,92] |
17,01 [8,39 - 25,24] |
Abréviations : mMET-h/sem : équivalent métabolique marginal hebdomadaire ; IC : intervalle de confiance ; RR : risque relatif ; FAP : fraction attribuable dans la population.
Conclusion des auteurs
Cette synthèse méthodique et méta-analyse d’associations entre activité physique et dépression laisse entrevoir que la pratique d’une activité physique, même à des niveaux inférieurs aux recommandations de santé publique, est significativement bénéfique pour la santé mentale. Les professionnels de la santé doivent donc encourager toute intensification de l’activité physique en vue d’améliorer la santé mentale.
Financement de l’étude
Etude financée par les moyens de recherche d’organisations sans but lucratif.
Conflits d’intérêts des auteurs
Pas de conflits d’intérêts pertinents.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
La sélection des études et l’extraction des données aux fins de cette synthèse méthodique ont été réalisées correctement par deux chercheurs indépendants, avec l’intervention d’un troisième chercheur en cas de désaccord. La sélection d’études présentant une taille d’échantillon d’au moins 3000 personnes augmente toutefois le risque de biais de sélection. En effet, 73 études ont été exclues sur la base de la taille de l’échantillon. Il aurait été plus correct d’un point de vue méthodologique de les inclure, puis de les exclure dans une analyse de sensibilité. La synthèse méthodique présente une limitation importante du fait que la qualité méthodologique des études incluses n’a pas été évaluée. La non-correction des facteurs de confusion, par exemple, peut avoir fortement influencé les résultats. Il existait une importante hétérogénéité clinique entre les études en termes de proportion de femmes, de méthode de diagnostic pour la dépression, de durée du suivi, d’exclusion de personnes dépressives ou de traitement des comorbidités au début de l’étude, ou encore d’harmonisation du volume d’activité physique. Une analyse de sensibilité n’a pas permis de démontrer que ces éléments avaient influencé l’association dose-réponse entre l’activité physique et la dépression. On ne sait toutefois pas clairement si ces informations ont été signalées dans toutes les études incluses. Il est donc possible qu’il y ait une variation des effets entre les personnes qui n’avaient jamais connu de dépression et celles qui en avaient déjà souffert.
Évaluation des résultats
Pour la méta-analyse, l’activité physique a été normalisée de façon à obtenir un résultat groupé. Une association dose-réponse entre le volume d’activité physique et la dépression a pu être démontrée. On ne voit toutefois pas clairement dans quel sens va la relation entre activité physique et dépression. Dans cette étude, on part du principe que l’activité physique a un effet sur la dépression. Pourtant, les personnes sensibles à la dépression s’adonnent sans doute moins à des activités physiques et il est donc possible que la relation aille dans l’autre sens et que le niveau d’activité physique soit plutôt la conséquence de l’état de santé mentale, et non l’inverse. Il conviendrait de mener une étude contrôlée pour formuler une réponse à cet égard. Par ailleurs, l’activité physique a été enregistrée en autogestion, ce qui peut avoir donné lieu à une surestimation due à un biais de déclaration ou à des réponses socialement souhaitables (11). Il serait dès lors peut-être utile d’envisager une mesure objective de l’activité dans une prochaine étude. L’âge des populations incluses était compris entre 18 et 93 ans. Les recommandations en matière d’exercice physique s’adressent à tous les adultes, mais les personnes âgées, plus fragiles, nécessitent qu’on accorde une attention accrue aux possibilités (signes de vieillissement, combinés ou non à des comorbidités) et à la sécurité (risque de chute). L’étude n’en a pas tenu compte (12). Enfin, l’étude ne permet pas de déduire les mécanismes qui jouent un rôle dans les bénéfices de l’activité physique pour la santé mentale. Cela peut être l’activité physique elle-même, mais le contact social qui y est associé et le fait de passer davantage de temps à l’extérieur sont autant de facteurs qui peuvent s’avérer importants à cet égard (13).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Ebpracticenet recommande d’encourager les personnes qui présentent un risque cardiovasculaire accru à faire au moins 150 minutes d’exercice physique d’intensité modérée par semaine (marche, vélo, sur plusieurs jours) et de ne pas rester en position assise plus de 8 heures par jour (14). Pour les adultes dans la population générale, l’OMS recommande 2,5 à 5 heures d’activité physique d’intensité modérée ou 1,25 à 2,5 heures d’activité physique d’intensité soutenue par semaine pour prévenir la dépression (entre autres) (9).
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique et cette méta-analyse, correctement menées d’un point de vue méthodologique, laissent entrevoir qu’une augmentation du volume d’activité physique jusqu’à atteindre le niveau d’activité recommandé de 8,8 mMET-h/sem atténue significativement la dépression et les symptômes dépressifs. Cette méta-analyse ne tient toutefois pas compte de la qualité méthodologique des études incluses, ne donne pas d’informations sur la causalité de la relation entre activité physique et dépression, ni sur les facteurs de confusion éventuels, comme le contact social.
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Url: https://tvgg.nl/artikelen/even-een-rondje-wezen-wandelen-want-dan-kom-ik-weer-mensen-tegen-kwalitatief-onderzoek-naar-de-participatie-van-ouderen-met-geheugenproblemen/ - Govaerts F, Delvaux N, Van Thienen K. Guide de pratique clinique. Évaluation du risque cardiovasculaire en première ligne. Domus Medica 2020.
Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction. |
Auteurs
Kos D.
ergotherapeute, KU Leuven en Nationaal MS Center Melsbroek
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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