Revue d'Evidence-Based Medicine
7 ou 14 jours d’antibiotiques en cas d’infection urinaire afébrile chez l’homme ?
Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 246 - 249
Professions de santé
Médecin généraliste, PharmacienContexte
Le raccourcissement de la durée du traitement antibiotique est important pour lutter contre la résistance aux antibiotiques et réduire les complications liées aux antibiotiques. Des données probantes de plus en plus nombreuses attestent que des cures d’antibiotiques plus courtes sont efficaces pour une variété d’infections, y compris les infections urinaires chez la femme (1). De précédentes études menées chez des hommes atteints d’infection urinaire accompagnée de fièvre ont montré la non-infériorité d’une durée de traitement antibiotique de 2 semaines par rapport à 4 semaines (2), ainsi que de 7 jours par rapport à 14 jours avec un suivi plus long (3). Concernant les infections urinaires afébriles, il n’existe que des études observationnelles qui n’ont pas pu montrer de plus-value d’une durée de traitement plus longue (4,5).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : hommes de 18 ans ou plus, présentant une infection urinaire afébrile pour laquelle le médecin a instauré un traitement empirique ambulatoire (un maximum de 24 heures d’observation à l’hôpital était autorisé) par ciprofloxacine ou sulfaméthoxazole/triméthoprime ; présence d’au moins un des symptômes suivants : dysurie, pollakiurie, urgenturie, hématurie, douleur rénale ou douleur au niveau du périnée ou du flanc ou au-dessus du pubis
- critères d’exclusion : traitement pour infection urinaire au cours des 14 derniers jours, symptômes que le médecin n’attribue pas à une infection urinaire, fièvre ≥ 38 °C, culture d’urine positive pour un germe résistant à un des antibiotiques de l’étude, adaptation du traitement instauré en fonction de la culture d’urine ou pour une autre raison
- le recrutement des patients avant le huitième jour de prise d’antibiotiques pour une infection urinaire s’appuyait sur la surveillance quotidienne des codes de diagnostic et des prescriptions de ciprofloxacine ou de sulfaméthoxazole/triméthoprime dans les dossiers médicaux électroniques de deux centres de soins de première ligne aux États-Unis
- finalement, inclusion de 272 patients, dont l’âge médian était de 69 ans (écart interquartile (IQR) de 62 à 73), 78% étaient des Blancs.
Protocole d’étude
Étude de non-infériorité randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle avec deux groupes (6) :
- groupe antibiotique pendant 14 jours (n = 136) : après les 7 premiers jours d’antibiotiques, a reçu de la ciprofloxacine ou du sulfaméthoxazole/triméthoprime deux fois par jour du 8e au 14e jour
- groupe antibiotique pendant 7 jours (n = 136) : après les 7 premiers jours d’antibiotiques, a reçu un placebo du 8e au 14e jour
- le suivi téléphonique a eu lieu le dernier jour de la prise du placebo ou des antibiotiques puis les jours 7, 14 et 28 après l’arrêt du placebo ou des antibiotiques.
Mesure des résultats
- critère de jugement principal : résolution des symptômes urinaires signalée par le patient le jour 14 après l’arrêt du traitement antibiotique
- critères de jugement secondaires : récidive des symptômes urinaires (après résolution) et survenue d’effets indésirables dans les 28 jours après l’arrêt du placebo ou des antibiotiques
- analyse en intention de traiter et analyse per protocole (≥ 26 des 28 doses ont été prises)
- le seuil de non-infériorité a été fixé à 10% de différence dans la résolution des symptômes pour la limite inférieure de l’intervalle de confiance unilatéral à 97,5% dans l’analyse selon le protocole.
Résultats
- proportion de sorties d’étude : 5 patients dans le groupe antibiotiques pendant 7 jours, et 13 patients dans le groupe antibiotiques pendant 14 jours
- principal critère de jugement :
- analyse per protocole : 93,1% dans le groupe antibiotiques pendant 7 jours contre 90,2% dans le groupe antibiotiques pendant 14 jours (différence de 2,9% avec IC unilatéral de -5,2% à l’infini ; donc rencontre le critère de non-infériorité)
- analyse en intention de traiter : 91,9% dans le groupe antibiotiques pendant 7 jours contre 90,4% dans le groupe antibiotiques pendant 14 jours (différence de 1,5% avec IC unilatéral à 97,5% de -5,8% à l’infini)
- critères de jugement secondaires : pas de différence statistiquement significative dans la récidive des symptômes urinaires ; nombre d’effets indésirables semblable dans les deux groupes (la signification n’est pas rapportée)
- pas d’influence du type d’antibiotique (ciprofloxacine ou sulfaméthoxazole/triméthoprime), ni de la bactériurie initiale, ni du centre d’étude sur le résultat du critère de jugement principal dans une analyse de sensibilité post hoc.
Conclusion des auteurs
Chez les hommes suspects d’infection urinaire sans fièvre traités par ciprofloxacine ou sulfaméthoxazole/triméthoprime, une durée de traitement de 7 jours est non inférieure à une durée de traitement de 14 jours en termes de résolution des symptômes urinaires 14 jours après la fin du traitement antibiotique. Ces résultats appuient l’utilisation d’une cure de 7 jours de ciprofloxacine ou de sulfaméthoxazole/triméthoprime comme alternative à une cure de 14 jours chez les hommes présentant une infection des voies urinaires sans fièvre.
Financement de l’étude
L’étude a été financée par le Veterans Affairs Merit Review Program. Un des auteurs principaux a même reçu un financement du Houston Veteran Affairs Health Services Research and Development Center for Innovations in Quality, Effectiveness and Safety. Hormis pour l’examen de la conception de l’étude et la mise en œuvre de l’étude, les organismes de financement n’ont joué aucun rôle dans la collecte des données, l’analyse des données ou la publication de l’étude.
Conflits d’intérêt des auteurs
Trois auteurs ont mentionné divers financements et sponsoring publics et particuliers.
Discussion
Discussion de la méthodologie
Il s’agit d’une étude randomisée, contrôlée par placebo et en double aveugle, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique. Pour la randomisation, les participants ont été stratifiés selon le centre, l’antibiotique initial prescrit et la présence d’une sonde urinaire. Les caractéristiques de base étaient comparables entre les deux groupes de l’étude. Un deuxième centre a été ajouté pendant l’étude parce que le recrutement était plus lent que prévu. L’étude a finalement été interrompue prématurément en raison de l’expiration du financement.
Pour démontrer la non-infériorité entre les deux durées de traitement, un seuil de 10% de résolution des symptômes a été utilisé. Ce seuil a été déterminé après consultation de quatre experts en maladies infectieuses et non par des recherches préalables (7,8). Il fallait 290 participants pour pouvoir détecter cette différence avec une puissance de 85% et un niveau de signification unilatéral ɑ = 0,025. On a supposé qu’une cure d’antibiotiques de 14 jours avait une efficacité de 90% dans la résolution des symptômes. Parmi les 1058 patients initialement recrutés, seulement 272 ont été finalement randomisés. L’exclusion était principalement liée à un refus de participer en raison du manque d’intérêt, à l’impossibilité de prise de contact et au manque de temps selon le patient (respectivement 418, 258 et 106 patients). Il est difficile d’estimer dans quelle mesure ce biais de sélection a influencé les résultats.
Discussion des résultats
Considérant que, pour l’inclusion dans cette étude, un seul des symptômes urinaires déclarés par le patient devait être présent et que des diagnostics supplémentaires n’étaient pas nécessaires, il est possible que des patients sans infection urinaire aient également été inclus. Les principaux symptômes pour lesquels le patient se présentait étaient la dysurie, la pollakiurie et l’urgenturie. Ces symptômes peuvent donc également indiquer, par exemple, une hypertrophie bénigne de la prostate ou une autre pathologie obstructive (qui a d’ailleurs été également signalée comme une comorbidité majeure). De plus, la culture d’urine initiale était positive (> 100 000 UFC) chez seulement environ la moitié des patients. Cependant, une analyse de sensibilité rétrospective a montré que l’absence de différence dans la résolution des symptômes était valable pour n’importe quel degré de bactériurie initiale.
L’âge médian des patients était d’environ 70 ans. Il s’agissait donc principalement de patients âgés, et les résultats ne peuvent pas être généralisés à tous les hommes.
Cependant, le principal problème pour l’extrapolation de cette étude au contexte belge est le choix des antibiotiques étudiés. La ciprofloxacine et le sulfaméthoxazole/triméthoprime ont été choisis parce que ces produits sont les plus fréquemment utilisés aux États-Unis pour le traitement des infections urinaires. Cela ne correspond pas au choix de la BAPCOC pour le traitement des infections urinaires non compliquées (sans passage dans les tissus) chez les hommes. La BAPCOC recommande comme premier choix la nitrofurantoïne pendant 7 jours, et les quinolones et le cotrimoxazole sont réservés aux infections compliquées (9). De plus, en cas de suspicion d’infection urinaire chez un homme, il est également recommandé de prélever un échantillon d’urine pour culture et antibiogramme avant de commencer les antibiotiques (GRADE 1C). Par conséquent, la conclusion de la présente étude selon laquelle, chez les hommes, une durée de traitement de 7 jours avec ciprofloxacine ou sulfaméthoxazole/triméthoprime n’est pas inférieure à une durée de traitement de 14 jours semble être pertinente dans notre contexte uniquement pour un petit groupe de patients de sexe masculin atteints d’infection urinaire basse non compliquée qui persiste après un traitement initial adéquat avec de la nitrofurantoïne.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Chez les hommes présentant une infection urinaire non compliquée, le risque d’évolution compliquée est accru. Chez ces patients, un échantillon d’urine est prélevé pour culture et antibiogramme avant de débuter l’antibiothérapie (GRADE 1C). Dans la mesure du possible, toutes les causes sous-jacentes doivent être corrigées. Le traitement de choix est la nitrofurantoïne orale 300 mg par jour en 3 prises pendant 7 jours. Cependant, le traitement doit être adapté en fonction de l’antibiogramme (9).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée, dont la qualité méthodologique est bonne, montre la non-infériorité d’un traitement de 7 jours par rapport à un traitement de 14 jours avec ciprofloxacine ou sulfaméthoxazole/triméthoprime chez des hommes âgés chez qui l’on suspecte une infection urinaire afébrile non compliquée. Le choix de l’antibiotique pose problème pour l’extrapolation au contexte belge.
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- Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
- Cystite aiguë. Guide belge BAPCOC 2021. URL: https://www.health.belgium.be/fr/guide-belge-de-traitement-anti-infectieux-en-pratique-ambulatoire-0
Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction. |
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