Revue d'Evidence-Based Medicine



Faut-il prescrire deux antidépresseurs dans la dépression de l’adulte ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 5 Page 104 - 107

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Henssler J, Alexander D, Schwarzer G, et al. Combining antidepressants vs antidepressant monotherapy for treatment of patients with acute depression: a systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2022;79:300-12. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2021.4313


Question clinique
En cas de dépression sévère de l’adulte, la combinaison de deux antidépresseurs instaurés en première ligne et en seconde ligne de traitement est-elle plus efficace, aussi sûre et aussi bien tolérée que la monothérapie dans le traitement des patients non-répondeurs ?


Conclusion
Cette revue systématique et méta-analyse de bonne qualité méthodologique met en évidence une efficacité supérieure de la combinaison de 2 anti-dépresseurs dans le traitement de la dépression sévère de l’adulte, que ce soit en première intention ou en traitement de seconde ligne chez les non-répondeurs. Les abandons de traitement, y compris du fait d’effet indésirables, ont été peu détaillés. Les raisons spécifiques de ces arrêts ne sont pas spécifiées et les interactions peuvent également ne pas avoir conduit à des arrêts, notamment sur la durée de l’étude.


Contexte

L’épisode dépressif majeur est un motif quotidien de consultation en médecine générale (1,2).  Plusieurs guides de pratique clinique évoquent la conduite à tenir en cas de prise en charge de seconde ligne pour les patients considérés comme non-répondeurs (3,4). Ces préconisations incluent

  • changer de monothérapie (prescrire un autre antidépresseur) ;
  • augmenter la dose de l'antidépresseur initial ; 
  • adjoindre un « booster » à l'antidépresseur initial (ajout de lithium ou d'un antipsychotique de seconde génération) ;
    combiner deux antidépresseurs. 

La combinaison de deux antidépresseurs est donc une seconde étape assez commune, particulièrement en soins primaires (5). Elle est basée sur l’idée de cumuler deux modes d’action différents afin d’améliorer l'efficacité clinique. Les auteurs de l’article analysé ici (6) ont déjà conduit une méta-analyse sur une thématique identique, publiée en 2016 (7). Une mise à jour était nécessaire du fait de la parution depuis 2016 de nouveaux essais cliniques, certains montrant des résultats en partie contradictoires à ce qu'ils avaient initialement retrouvés (8-11). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique et méta-analyse d’essais contrôlés randomisés.

 

Sources consultées

  • Medline, Embase, PsychInfo et Cochrane, depuis leur date de création jusqu'à janvier 2020. 

 

Etudes sélectionnées et données recueillies

  • essais contrôlés randomisés comparant une combinaison d'antidépresseurs avec une monothérapie antidépressive chez les patients adultes souffrant d'un épisode dépressif majeur 
  • critères d’inclusion :
    • intervention utilisant une combinaison de deux antidépresseurs quel que soit leur dosage avec un groupe contrôle de patients prenant une monothérapie antidépressive
    • patients âgés de 18 ans ou plus
    • état dépressif diagnostiqué d'après des critères standardisés (utilisation d’échelles telles que la Hamilton Depression Rating Scale (HDRS) ou la Montgomery-Asberg Depression Rating Scale (MADRS)
    • pas de restriction de langues 
    • les états comorbides qu'ils soient psychiatriques ou somatiques n'étaient pas des critères d'exclusion
  • critères d’exclusion :
    • études s’intéressant à la prise en charge médicamenteuse du syndrome dépressif intégré au trouble bipolaire
    • essais s'intéressant aux thérapies de maintenance
  • au total 39 essais contrôlés randomisés ont été inclus dont 7 nouvelles études par rapport à la synthèse méthodique de 2016. 

 

Population étudiée

  • patients âgés de 18 ans et plus, atteints d’un épisode dépressif majeur unipolaire, traités en première ligne (première intention de traitement) ou en seconde ligne (résistance à une monothérapie) ; dans cette situation (patients non-répondeurs initialement), la monothérapie pouvait avoir fait l’objet d’une augmentation de dose, ou d’un changement de molécule
  • au total, 6751 patients de plus de18 ans ont été inclus. 

 

Mesure des résultats

  • critère principal de jugement : efficacité mesurée en différence moyenne standardisée (DMS) entre les deux bras 
  • critères secondaires de jugement : 
    • réponse au traitement, définie par une baisse d’au moins de 50% du score évalué par l’échelle HDRS ou MADRS 
    • rémission, définie par un score en dessous d’un seuil prédéterminé, en pratique inférieur ou égal à 7 sur l’échelle HDRS 
    • modification dans les scores d'évaluation de la dépression par rapport à l'inclusion
    • nombre d’arrêt de traitement 
    • nombre d'arrêt dû à des effets indésirables
  • analyse en ITT si possible pour le critère de jugement primaire.

 

Résultats

  • les résultats montrent que la combinaison antidépressive était statistiquement associée à des résultats supérieurs par rapport à la monothérapie (DMS de 0,31 avec à IC à 95% de 0,19 à 0,44)
    • la combinaison d'un inhibiteur de la recapture (ISRS ou ISRNa) avec un antagoniste des récepteurs alpha-2 présynaptiques* était supérieure aux autres combinaisons d'antidépresseurs : DMS de 0,37 avec IC à 95% de 0,19 à 0,55 ; I2 = 77%
    • en revanche, les combinaisons avec le bupropion n'étaient pas supérieures à l'effet d'une monothérapie : DMS de 0,10 avec IC à 95% de -0,07 à 0,27
    • le nombre d'abandon de traitement et d'abandon liés aux effets indésirables ne différaient pas en fonction des traitements
  • la thérapie combinée était associée à des résultats supérieurs lorsque les analyses : 
    • étaient limitées aux études à faible risque de biais (DMS de 0,29 avec IC à 95% de 0,15 à 0,42)
    • étaient réalisées parmi les populations de non-répondeurs (DMS de 0,18 avec IC à 95% de 0,04 à 0,33) 
    • concernaient les études ou la combinaison de traitement était prescrite comme traitement de première intention (DMS de 0,52 avec IC à 95% de 0,24 à 0,79)
  • les résultats des analyses secondaires étaient en général cohérents avec les résultats observés sur les critères de jugement primaires.

 

* miansérine ou mirtazepine

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette méta-analyse d’essais contrôlés randomisés comparant des combinaisons d'antidépresseurs avec une monothérapie antidépressive montre que la combinaison d'antidépresseurs est associée à des résultats supérieurs, sans être grevée d’un surplus de patients abandonnant ces traitements. Les combinaisons utilisant un antagoniste des récepteurs alpha-2 présynaptiques pourraient être préférables et applicables en première ligne de traitement dans les cas de dépression sévères ou pour les patients non-répondeurs.

 

Financement de l’étude

Non mentionné.

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Le premier auteur signale des subventions reçues de la part du ministère de l’éducation et de la recherche allemand ; l’un des auteurs rapporte des honoraires perçus de la part du laboratoire Roche en tant que consultant statistique externe (travail effectué en dehors du cadre de cette étude).

 

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques

Cette revue a été menée par deux investigateurs indépendants, que ce soit pour la sélection des études à inclure, l'extraction des données et l'évaluation du risque de biais. Les données ont ensuite été analysées via un modèle à effets aléatoires. Les auteurs ont respecté les critères de qualité de la grille PRISMA relatifs à ce type de d’étude ainsi que les recommandations de la Cochrane collaboration : 2 examinateurs ont effectué la recherche documentaire, la sélection des études, l’extraction des données et l’évaluation des risques de biais de façon indépendante. Selon les auteurs, les risques de biais des RCTs ont été évalués selon l'outil de risque de biais Cochrane en tenant compte de la génération de séquences aléatoires, de la dissimulation d'attribution, du maintien de l’insu des participants, du personnel et des évaluateurs des résultats, de la présentation de données incomplètes des résultats, de rapports sélectifs, des sources de financement et d'autres sources potentielles de biais. Une évaluation globale du risque de biais (faible ou inconnu/élevé) a été ajoutée. 15 études (38%) ont été jugées avoir peu de risques de biais. Notons cependant que le détail de cette analyse n’est pas disponible.
L’analyse incluait un nombre satisfaisant d’essais cliniques (39 au total ; 6751 patients). Par rapport à leur étude initiale (32 études), 7 nouveaux essais contrôlés randomisés ont donc été intégrés. 23 de ces essais ont été menés en double-aveugle, 5 en simple-aveugle et 11 en protocole ouvert. 21 se sont intéressés à des patients non-répondeurs (traitements de seconde ligne), dont un incluait des patients qui avaient été exposés précédemment à une combinaison d’antidépresseurs. Parmi ces 21 études, certaines s’intéressaient à des patients atteints de dépression chronique résistante et difficile à traiter. 18 portaient sur des études de première ligne en première intention de traitement. Le risque de biais de publication a été bien évalué, par deux méthodes différentes : d’une part, via le test d’Egger, qui s’est avéré positif (p = 0,007, df = 36) et d’autre part, par une procédure « trim-and-fill », qui permet d’estimer les publications potentiellement manquantes du fait du biais de publication dans le graphe à entonnoir et d’ajuster ainsi l’effet global. Malgré l’intégration au maximum du biais de publication, les résultats restaient positifs et statistiquement significatifs, notamment pour les combinaisons ISRS/IRSNa/ADTC + antagonistes des récepteurs présynaptiques α2. L’hétérogénéité inter études a été évaluée par le test de l’I². L’hétérogénéité était marquée pour les résultats du critère principal de jugement, mais moindre pour les résultats des objectifs secondaires et les analyses de sensibilité restreintes sur les études à faible risque de biais (18 au total) et les résultats restaient robustes.

 

Evaluation des résultats

Cette nouvelle étude de synthèse a retrouvé les mêmes résultats que l’étude publiée en 2016 (6), à savoir qu’une combinaison d’antidépresseurs est plus efficace et de tolérance comparable dans le traitement d’un épisode dépressif majeur, d’autant plus en première intention de traitement. Les objectifs secondaires étaient de déterminer si les combinaisons incluant la mirtazapine ou le bupropion se montraient particulièrement efficaces ; et d’évaluer la tolérabilité de ces combinaisons d’antidépresseurs. La méta-analyse portait sur des patients tout venant, non sélectionnés sur la gravité de la dépression initiale. Les comorbidités psychiatriques et somatiques n’étaient pas des critères d’exclusion, ce qui limite les difficultés de transférabilité. Les résultats présentés ici sont robustes, du fait de l’effort fait par leurs auteurs pour prendre en compte le biais de publication. Leur analyse de sensibilité, portant notamment sur 18 essais de haute qualité méthodologique, à faible risque de biais, conforte les résultats globaux. En revanche, on peut regretter qu’aucune donnée relative aux caractéristiques des patients ne soient présentées en dehors du fait qu’ils devaient avoir plus de 18 ans. Par exemple, aucune donnée n’est accessible sur les comorbidités des patients inclus : cela aurait pu permettre d’analyser si leur profil correspond à celui des patients rencontrés en médecine générale. De la même façon, des analyses en sous-groupe sur les abandons liés aux effets indésirables auraient pu permettre de mieux caractériser quels types de patients sont les plus à même de bénéficier ou non d’une combinaison d’antidépresseurs. D’un point de vue bénéfice/risque et des difficultés d’accès aux consœurs et confrères spécialisés, l’ajout d’un antagoniste des récepteurs alpha2 présynaptiques en seconde ligne pourra être intéressante dans le cas de dépression n’ayant pas (ou insuffisamment) répondu à la monothérapie. 
En pratique, il s'agit de la mirtazapine, la miansérine et la trazodone. La combinaison avec le bupropion, qui n’a pas fait preuve d’une efficacité supérieure pour le moment, et qui nécessite de prescrire hors AMM, ne semble pas à recommander.
Bien que les résultats soient encourageants, il semble difficile d’aller à l’encontre des guides de recommandations en soins primaires qui privilégient la monothérapie par ISRS, ISRNa, ou éventuellement ADTC en cas de forme sévère, cela en raison notamment du risque d’interaction médicamenteuse chez les patients comorbides.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les guides de pratiques cliniques privilégient la monothérapie pour le traitement de la dépression par le médecin généraliste. Ainsi, en Belgique, le guide de pratique clinique de Domus Medica traduit par la Société Scientifique de Médecine Générale (12) recommande en première ligne d’opter soit pour un ISRS (de manière privilégiée en cas de sujet âgé), soit ADTC, en fonction des effets indésirables, des comorbidités, du risque suicidaire et des interactions médicamenteuses potentielles. 
En France, la Haute Autorité de Santé (13) recommande d’opter en première intention pour un ISRS, un ISRNa ou un antagoniste des récepteurs alpha2 présynaptiques en monothérapie. Les ADTC ne sont recommandés qu’en seconde intention du fait de leurs effets indésirables cardiovasculaires potentiels.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique et méta-analyse de bonne qualité méthodologique met en évidence une efficacité supérieure de la combinaison de 2 anti-dépresseurs dans le traitement de la dépression sévère de l’adulte, que ce soit en première intention ou en traitement de seconde ligne chez les non-répondeurs. Les abandons de traitement, y compris du fait d’effet indésirables, ont été peu détaillés. Les raisons spécifiques de ces arrêts ne sont pas spécifiées et les interactions peuvent également ne pas avoir conduit à des arrêts, notamment sur la durée de l’étude.

 

 


Références 

  1. Dumesnil H, Cortaredona S, Cavillon M, et al. Prise en charge de la dépression en médecine générale de ville: résultats issus d'une enquête menée auprès d'un panel national de médecins généralistes français. L'information psychiatrique 2014;90:341-52. DOI: 10.1684/ipe.2014.1204
  2. Constant E. Stratégie du médecin généraliste face au patient déprimé. Louvain Medical Juillet 2019.
  3. Gelenberg AJ, Freeman MP, Markowitz JC, et al. Practice guideline for the treatment of patients with major depressive disorder: third edition. Published October 2010. Accessed January 11, 2022. URL : https://psychiatryonline.org/pb/assets/raw/sitewide/practice_guidelines/guidelines/mdd.pdf
  4. Depression treatments for adults. American Psychological Association. Published August 2019. Accessed October 13, 2020. URL: https://www.apa.org/depression-guideline/adults
  5. Köhler S, Unger T, Hoffmann S, et al. Comparing augmentation with non-antidepressants over sticking to antidepressants after treatment failure in depression: a naturalistic study. Pharmacopsychiatry 2013;46:69-76. DOI: 10.1055/s-0032-1323677
  6. Henssler J, Alexander D, Schwarzer G, et al. Combining antidepressants vs antidepressant monotherapy for treatment of patients with acute depression: a systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2022;79:300-12. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2021.4313
  7. Henssler J, Bschor T, Baethge C. Combining antidepressants in acute treatment of depression: a meta-analysis of 38 studies including 4511 patients. Can J Psychiatry 2016;61:29-43. DOI: 10.1177/0706743715620411
  8. Kato T, Furukawa TA, Mantani A, et al; SUN☺D Investigators. Optimising first- and second-line treatment strategies for untreated major depressive disorder, the SUN☺D study: a pragmatic, multi-centre, assessor-blinded randomised controlled trial. BMC Med 2018;16:103. DOI: 10.1186/s12916-018-1096-5
  9. Navarro V, Boulahfa I, Obach A, et al. Switching to imipramine versus add-on mirtazapine in venlafaxine-resistant major depression: a 10-week randomized open study. J Clin Psychopharmacol 2019;39:63-6. DOI: 10.1097/JCP.0000000000000988
  10. Kessler DS, MacNeill SJ, Tallon D, et al. Mirtazapine added to SSRIs or SNRIs for treatment resistant depression in primary care: phase III randomised placebo controlled trial (MIR). BMJ 2018;363:k4218. DOI: 10.1136/bmj.k4218
  11. Xiao L, Zhu X, Gillespie A, et al. Effectiveness of mirtazapine as add-on to paroxetine v. paroxetine or mirtazapine monotherapy in patients with major depressive disorder with early non-response to paroxetine: a two-phase, multicentre, randomized, double-blind clinical trial. Psychol Med 2021;51: 1166-74. DOI: 10.1017/S0033291719004069
  12. Declercq T, Callens J, Cloetens H, et al. Recommandation de Bonne Pratique de Domus Medica, traduite en français par la Société Scientifique de Médecine Générale. La dépression chez l'adulte. 2016. Mis à jour par le producteur : 25/02/2017.
  13. HAS. Recommandations de bonne pratique. Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours. 2017.


Auteurs

Diehl J.
médecin de santé publique et médecine sociale
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires