Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de la télérevalidation chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 4 Page 74 - 77

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Gao Y, Wang N, Zang L, Li N. Effectiveness of home-based cardiac telerehabilitation in patients with heart failure: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. J Clin Nurs 2023;32:7661-76. DOI: 10.1111/jocn.16726


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la télérevalidation sur la fonction cardiaque et sur les capacités fonctionnelles chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, par comparaison avec la prise en charge standard, la revalidation cardiaque supervisée classique ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études contrôlées randomisées montre que la télérevalidation chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, par comparaison avec la prise en charge standard, est favorable pour la VO2 max, la fréquence cardiaque au repos, le test de marche de 6 minutes, la qualité de vie et le risque de réhospitalisation. Il ne semble y avoir aucune valeur ajoutée de la télérevalidation par rapport à la revalidation cardiaque supervisée classique, mais cette conclusion repose sur un nombre limité d’études. Dans l’ensemble, la synthèse méthodique et les études incluses sont de bonne qualité méthodologique. Toutefois, un biais de publication ne peut être exclu. En raison d’une importante hétérogénéité clinique entre les études, en termes de population étudiée, d’interventions et de critères de jugement, la méta-analyse ne permet pas de tirer de conclusions concrètes.


Contexte

Minerva a déjà traité à plusieurs reprises de l’efficacité de la revalidation cardiaque chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque (1-6). Une méta-analyse (2004) et une étude randomisée contrôlée (RCT) (2009) ont montré qu’un programme d’entraînement supervisé améliorait la survie des patients atteints d’insuffisance cardiaque (1-4). Une synthèse méthodique Cochrane plus récente (2019) a conclu que la revalidation cardiaque, qu’elle ait lieu à domicile ou dans un centre spécialisé, entraînait une amélioration clinique de la qualité de vie liée à la santé et une diminution du risque d’hospitalisation (5,6). Cependant, les programmes standards de revalidation supervisée souffrent d’un faible taux de participation et d’un taux d’abandons élevé (7,8). La recherche sur l’utilité d’alternatives telles que la télérevalidation s’est considérablement développée depuis la pandémie de covid-19. Par exemple, l’étude EU-CaRE (2021), une RCT, a montré que la télérevalidation était une alternative efficace et rentable pour améliorer la capacité cardiorespiratoire des patients cardiaques âgés ne souhaitant pas participer à un programme de revalidation régulier (9). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse (10). 

 

Sources consultées

  • Cochrane Library, PubMed, Web of Science, EMBASE, CINAHL, CBM, CNKI et la base de données Wanfang ; jusqu’au 15 août 2022
  • références, revues et méta-analyses pertinentes
  • uniquement des études en anglais et en chinois.

 

Études sélectionnées 

  • critères d’inclusion :
    • RCT
    • patients de plus de 18 ans chez qui un diagnostic médical d’insuffisance cardiaque a été posé
    • intervention : toute application de santé Web ou mobile pour la surveillance, l’entraînement, la consultation et la communication à distance, en combinaison ou non avec d’autres moyens de communication tels que le téléphone, les textos ou les courriers électroniques
    • contrôle : revalidation cardiaque supervisée ou prise en charge standard, à domicile ou à la clinique
  • critères d’exclusion : 
    • revues, rapports de cas, études descriptives, absence de groupe témoin, pas de texte intégral disponible, données incomplètes ou impossibles à extraire
    • patients présentant une hypertension non contrôlée, une insuffisance cardiaque instable, des arythmies sévères, une cardiomyopathie hypertrophique obstructive et une sténose valvulaire modérée à plus sévère, des antécédents de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire, des syncopes, une pneumopathie sévère, une maladie mentale ou des troubles osseux/articulaires/musculaires invalidants
    • suivi uniquement par appels téléphoniques, textos ou courriers électroniques
  • finalement, sélection de 16 RCTs ; l’intervention était comparée à la prise en charge standard dans 12 études et à la revalidation supervisée dans 4 études ; les interventions consistaient en une télésurveillance de l’ECG, de la fréquence cardiaque et d’autres paramètres (éventuellement via un stimulateur cardiaque, un accéléromètre, une montre de sport ou la pratique de jeux vidéo actifs), un coaching via DVD, des appels téléphoniques ou des appels vidéo ; l’entraînement durait de 8 semaines à 12 mois, à une fréquence allant de un jour toutes les deux semaines à cinq fois par semaine, 15 à 60 minutes par jour.

 

Population étudiée

  • inclusion de 4557 participants (30 à 1437 par étude) ; 53% à 90,4% étant de sexe masculin, la gravité de l’insuffisance cardiaque était de 1 à 4 selon la classification de la NYHA
  • le recrutement a eu lieu dans 7 pays (Australie, Belgique, Chine, Suède, Japon, Pologne et États-Unis).

 

Mesure des résultats

  • principaux critères de jugement : fonction cardiaque mesurée par la fraction d’éjection du ventricule gauche, la fréquence cardiaque au repos et la consommation d’oxygène maximale (VO2 pic)
  • critères de jugement secondaires : capacité fonctionnelle mesurée au moyen du test de marche de 6 minutes, qualité de vie mesurée au moyen de questionnaires (MLHFQ, SF-36, EQ-5D et KCCQ), nombre de réhospitalisations
  • méta-analyse à effets fixes et méta-analyse à effets aléatoires en cas d’hétérogénéité statistique importante (I² > 50%)
  • résultats exprimés en différences moyennes (standardisées). 

 

Résultats

  • avec la télérevalidation, comparée à la prise en charge standard, on a observé une amélioration statistiquement significative de la VO2 max, de la fréquence cardiaque au repos, du test de marche de 6 minutes, de la qualité de vie et une diminution du nombre de réhospitalisations, sans différence statistiquement significative quant à la fraction d’éjection du ventricule gauche (voir tableau)
  • il n’y avait aucune différence statistiquement significative entre la télérevalidation et la revalidation supervisée classique quant aux critères de jugement primaires ou secondaires 

 


Tableau. Différence moyenne (DM) ou différence moyenne standardisée (DMS) avec IC à 95% et valeur p et nombre d’études incluses (N) et de patients inclus (n) entre la télérevalidation et la prise en charge standard pour les critères de jugement primaires et secondaires.

 

Critères de jugement primaires

Télérevalidation comparée à la prise en charge standard

Fraction d’éjection du ventricule gauche

DM de 2,26 avec IC à 95% de -0,44 à 4,95, p = 0,10 ; I² = 59% ; N = 4, n = 156

VOmax

DM de 1,58 avec IC à 95% de 0,93 à 2,23, p < 0,001 ; I² = 9% ; N = 7, n = 720

Pouls au repos

DM de -2,76 avec IC à 95% de -4,25 à -1,26, p < 0,001 ; I² = 0% ; N = 3, n = 150

 

Critères de jugement secondaires

Télérevalidation comparée à la prise en charge standard

Test de marche de 6 minutes

DM de 20,99 avec IC à 95% de 9,78 à 32,19, p < 0,001 ; I² = 54% ; N = 6, n = 921

Qualité de vie

DMS de -0,31 avec IC à 95% de -0,48 à -0,13, p < 0,001 ; I² = 66% ; N = 10, n = 1 572

Nombre de réhospitalisations

DM de -0,08 avec IC à 95% de -0,14 à -0,03, p = 0,002 ; N = 3, n = 369

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la télérevalidation à domicile est bénéfique aux patients atteints d’insuffisance cardiaque en améliorant leur fonction cardiaque, leur capacité fonctionnelle et leur qualité de vie et en réduisant le risque de réhospitalisation. À l’avenir, la télérevalidation pourrait donc être envisagée comme une alternative à la revalidation cardiaque classique chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque pour améliorer leur qualité de vie.

 

Financement de l’étude

Subvention de National Key Research and Development Project Fund.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt des auteurs.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été réalisée selon les consignes de la Cochrane. La sélection des études, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité (risque de biais) des études incluses ont été réalisées par deux chercheurs indépendants, avec l’intervention d’un troisième en cas de désaccord. Le risque de biais a été évalué à l’aide du manuel Cochrane pour les synthèses méthodiques portant sur des interventions (Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions), version 5.1.0. Les auteurs ont conclu que, pour 3 études, le niveau de preuve était de grade A (faible risque de biais) et que, pour 13 études, le niveau de preuve était de grade B (risque de biais modéré). Le risque de biais n’était élevé (grade C) pour aucune étude. Seules des études randomisées contrôlées ont été incluses. Pour 13 études cependant, un biais de sélection ne peut être exclu en raison de l’incertitude concernant la préservation du secret d’attribution. La mise en aveugle est difficile pour ce type d’intervention. Par conséquent, il y avait un risque de biais concernant principalement la mise en aveugle des patients et du personnel (= biais de performance ; 13 études avec un risque de biais indéterminé, et 1 étude avec un risque de biais élevé) et la mise en aveugle des évaluateurs (= biais de détection ; 10 études avec un risque de biais indéterminé). De plus, 3 études présentaient un risque élevé de biais dû au fait que le compte-rendu des critères de jugement était incomplet (biais d’attrition). Le protocole annonçait une évaluation par funnel plots du risque de biais de publication. L’article ne présente pourtant aucun résultat à ce sujet. Par ailleurs, l’hétérogénéité statistique a été évaluée au moyen du test I². Il existait une hétérogénéité statistique modérée à forte pour la fraction d’éjection du ventricule gauche (I² = 59%), pour le test de marche de 6 minutes (I² = 54%) et pour la qualité de vie (I² = 66%), par comparaison avec la prise en charge standard. Après exclusion d’une étude chaque fois, l’hétérogénéité statistique a diminué pour les résultats du test de marche de 6 minutes (I² = 14%) et de la qualité de vie (I² = 49%), par comparaison avec la prise en charge standard, tout en conservant une signification statistique. 

 

Évaluation des résultats 

L’efficacité de la télérevalidation a été comparée principalement à la prise en charge standard. Pour la plupart des critères de jugement, les résultats étaient alors meilleurs avec la télérevalidation, et ce de manière statistiquement significative. L’absence d’amélioration statistiquement significative de la fraction d’éjection du ventricule gauche pourrait s’expliquer par la brièveté du suivi dans la plupart des études incluses. L’augmentation statistiquement significative de la VO2 max et la diminution de la fréquence cardiaque au repos se sont traduites par une augmentation de la distance de marche sur 6 minutes. Si l’on prend en compte une différence d’environ 25 mètres entre les résultats des patients avec et sans insuffisance cardiaque (11), on peut considérer l’augmentation moyenne de 21 mètres (26 mètres dans l’analyse de sensibilité) avec la télérevalidation comme cliniquement pertinente. Seul un nombre limité d’études (N = 4) ont comparé la télérevalidation et des programmes de revalidation classiques. Aucune différence statistiquement significative n’a été trouvée dans les critères de jugement primaires et secondaires. Sur cette base, les auteurs concluent que la télérevalidation est au moins aussi efficace et sûre que la revalidation cardiaque classique.
En raison de l’importante hétérogénéité clinique des modalités d’entraînement en termes de durée (8 semaines à 12 mois maximum), de fréquence, de type d’entraînement et de méthode de suivi, nous ne pouvons pas savoir quelles sont les formes de télérevalidation les plus efficaces. Les patients venaient principalement de pays à revenu élevé ou intermédiaire. La prudence est donc de mise lors de la généralisation des résultats à d’autres pays surtout s’il s’agit de pays à revenus intermédiaires ou faibles. Il convient également de noter que la population majoritairement masculine dans les études incluses rend difficile l’extrapolation des résultats aux femmes. 
Comme pour les programmes de revalidation cardiaque classique, le maintien d’une activité physique constitue également un défi en télérevalidation. La présente étude n’a malheureusement pas examiné ce point. Pour certaines formes de télérevalidation, les personnes doivent avoir une maîtrise suffisante de la technologie à utiliser. Il faut donc effectuer des recherches supplémentaires sur la faisabilité de la télérevalidation chez les personnes âgées, qui constituent une partie importante du groupe de patients atteints d’insuffisance cardiaque. Dans ce contexte, la possibilité d’une approche combinant revalidation classique et télérevalidation semble également être une piste de recherche intéressante. Des recherches plus approfondies sur la sécurité et la rentabilité sont certainement nécessaires. En outre, il faut développer la sécurité des données ainsi que la législation. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Un guide de bonne pratique de Domus Medica (12) recommande une approche à la fois médicamenteuse et non médicamenteuse pour l’insuffisance cardiaque. Comme approche non médicamenteuse, il est recommandé d’inciter les patients à faire régulièrement de l’exercice (au moins 2-3 fois par semaine pendant 12 semaines). Le guide de bonne pratique de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (13) recommande également une approche dans différents domaines, entre autres l’exercice régulier, en tenant compte des capacités et des souhaits du patient. Il y est également recommandé d’orienter le patient vers un centre de revalidation cardiaque multidisciplinaire ou de l’adresser à un kinésithérapeute ou un thérapeute en gymnastique médicale spécialisé. Aucun de ces deux guides ne comporte de recommandation concernant spécifiquement la télérevalidation. Dans un avis étayé pour la pratique, JBI recommande de proposer aux patients cardiaques une revalidation cardiaque à distance, en particulier si l’accès à la revalidation au centre pose problème. La télérevalidation pour les patients cardiaques doit inclure à la fois la télésurveillance et le télécoaching pour améliorer les résultats en matière de santé (14).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études contrôlées randomisées montre que la télérevalidation chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, par comparaison avec la prise en charge standard, est favorable pour la VO2 max, la fréquence cardiaque au repos, le test de marche de 6 minutes, la qualité de vie et le risque de réhospitalisation. Il ne semble y avoir aucune valeur ajoutée de la télérevalidation par rapport à la revalidation cardiaque supervisée classique, mais cette conclusion repose sur un nombre limité d’études. Dans l’ensemble, la synthèse méthodique et les études incluses sont de bonne qualité méthodologique. Toutefois, un biais de publication ne peut être exclu. En raison d’une importante hétérogénéité clinique entre les études, en termes de population étudiée, d’interventions et de critères de jugement, la méta-analyse ne permet pas de tirer de conclusions concrètes. 

 

 


Références 

  1. Fagard R. L'activité physique peut-elle améliorer la survie en cas d'insuffisance cardiaque? MinervaF 2005;4(6):93-4.
  2. Piepoli MF, Davos C, Francis DP, Coats AJ; ExTraMATCH Collaborative. Exercise training meta-analysis of trials in patients with chronic heart failure (ExTraMATCH). BMJ 2004;328:189-200. DOI: 10.1136/bmj.37938.645220.EE
  3. Van Royen P. Insuffisance cardiaque : exercices physiques bénéfiques et sans danger ? Minerva 2010;9(3):34-5.
  4. O’Connor CM, Whellan DJ, Lee KL, et al; HF-ACTION Investigators. Efficacy and safety of exercise training in patients with chronic heart failure: HF-ACTION randomized controlled trial. JAMA 2009;301:1439-50. DOI: 10.1001/jama.2009.454
  5. Sculier J-P, La réadaptation cardiaque fondée sur l'exercice est bénéfique pour le patient en insuffisance cardiaque stable. Minerva Analyse 01/11/2019
  6. Long L, Mordi IR, Bridges C, et al. Exercise-based cardiac rehabilitation for adults with heart failure. Cochrane Database Syst Rev 2019, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD003331.pub5
  7. Rawstorn JC, Gant N, Direito A, et al. Telehealth exercise-based cardiac rehabilitation: a systematic review and meta-analysis. Heart 2016;102:1183-92. DOI: 10.1136/heartjnl-2015-308966
  8. Martijn S, Maarten F, Danielle Z, et al. Psychosocial predictors for cardiac rehabilitation participation for patients with coronary artery disease. Int J Cardiol 2023;376:18-21. DOI: 10.1016/j.ijcard.2023.01.065
  9. Scherrenberg M, Zeymer U, Schneider S, et al. EU-CaRE study: Could exercise-based cardiac telerehabilitation also be cost-effective in elderly? Int J Cardiol 2021;340:1-6. DOI: 10.1016/j.ijcard.2021.08.024
  10. Gao Y, Wang N, Zang L, Li N. Effectiveness of home-based cardiac telerehabilitation in patients with heart failure: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. J Clin Nurs 2023;32:7661-76. DOI: 10.1111/jocn.16726
  11. Pepera GK, Sandercock GR, Sloan R, et al. Influence of step length on 6-minute walk test performance in patients with chronic heart failure. Physiotherapy 2012;98:325-9. DOI: 10.1016/j.physio.2011.08.005
  12. Van Royen P, Boulanger S, Chevalier P, et al. L'insuffisance cardiaque. SSMG/Domus Medica 2011. Mis à jour: 2/01/2012.
  13. De Boer RA, Dieleman-Bij de Vaate AJ, Isfordink LM, et. NHG-Standaard: Hartfalen. (M51.) Published: 2021. Laatste aanpassing: mei 2021.
  14. Lizarondo L. Cardiopathies: télérevalidation. JBI evidence summary 2020. Screené par Ebpracticenet 20/06/2023.



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