Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévenir le déclin cognitif chez les personnes âgées atteintes d’un trouble auditif ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 4 Page 78 - 81

Professions de santé

Audiologiste, Infirmier, Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généraliste

Analyse de
Lin FR, Pike JR, Albert MS, et al; ACHIEVE Collaboration Research Group. Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): a multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2023;402:786-97. DOI: 10.1016/S0140-6736(23)01406-X


Question clinique
Quel est l’effet d’une aide auditive associée à une technologie d’assistance et des conseils, par comparaison avec une éducation à la santé, sur le degré de déclin cognitif chez les personnes âgées entre 70 et 84 ans ?


Conclusion
Cette RCT multicentrique menée en ouvert montre que, par comparaison avec une éducation à la santé, une aide auditive associée à une technologie d’assistance ne montre pas d’efficacité supplémentaire après trois ans sur les fonctions cognitives des personnes âgées présentant une perte auditive. L’intervention s’est avérée utile dans un sous-groupe présentant davantage de facteurs de risque de déclin cognitif. Il serait utile d’étudier plus en détail ces résultats sur un échantillon plus large avec des critères de jugement pertinents.


Contexte

On estime à 200000 personnes le nombre de personnes atteintes de démence en Belgique, et, du fait du vieillissement de la population, leur nombre va augmenter considérablement (1). Les efforts pour résoudre ce problème de santé mondial portent sur l’identification des facteurs de risque potentiellement modifiables. De récentes recherches ont montré que la perte auditive est un important facteur de risque de démence (2-5). La perte auditive touche 65% des personnes de plus de 60 ans (6). Pour ralentir le déclin cognitif, il peut être judicieux de combiner aides auditives et technologies d’assistance (comme le streaming depuis un smartphone ou un téléviseur vers les aides auditives ou la liaison à des microphones externes pour aides auditives). Des études observationnelles ont déjà permis d’en constater des effets positifs (7,8). 

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • recrutement dans quatre centres aux États-Unis : d’une part, des participants de l’étude ARIC (Atherosclerosis Risk in Communities)* (9), d’autre part des volontaires sains 
  • critères d’inclusion : 70-84 ans, surdité bilatérale apparue à l’âge adulte, sans troubles cognitifs (test de Folstein (MMSE) ≥ 23 pour les personnes titulaires tout au plus d’un diplôme de l’enseignement secondaire et ≥ 25 ans pour les personnes titulaires d’au moins un diplôme de l’enseignement supérieur) ; score de reconnaissance des mots d’au moins 60% avec l’oreille ayant la meilleure audition dans un environnement calme ; vivant à la maison ; parlant couramment l’anglais
  • critères d’exclusion : limitation autodéclarée d’au moins deux activités de la vie quotidienne, acuité visuelle réduite, utilisation d’appareils auditifs au cours de la dernière année, perte auditive de transmission persistante, contre-indication médicale ou refus de porter un appareil auditif régulièrement
  • finalement, inclusion de 977 participants (238 de l’étude ARIC et 739 de novo) âgés en moyenne de 76,8 ans (ET : 4,0 ans), dont 54% de femmes, 88% de Blancs ; 
    • les participants provenant de l’étude ARIC étaient en moyenne plus âgés, le pourcentage de femmes y était plus important, de même que le pourcentage de Noirs, leur niveau de formation était moins élevé, leurs scores pour les fonctions cognitives étaient moins bons, ils avaient un revenu inférieur, les pourcentages de diabétiques et d’hypertendus étaient plus élevés, de même que le pourcentage de personnes vivant seules. 

 

(*) étude observationnelle recherchant les facteurs de risque de maladies cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux et les associations entre la santé cardiovasculaire et les fonctions cognitives chez des adultes âgés de 45 à 64 ans.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée (RCT) multicentrique, menée en ouvert, à deux groupes parallèles (10):

  • groupe intervention (n = 490 ; 120 provenant de l’étude ARIC et 370 de novo) : les participants ont reçu une aide auditive bilatérale avec technologie d’assistance (comme des appareils pour un streaming depuis un smartphone et la télévision et des microphones externes pour pouvoir entendre les interlocuteurs directement) et, après la randomisation, quatre séances d’une heure, toutes les semaines à toutes les trois semaines, avec un audiologue agréé donnant des instructions sur l’utilisation de ces appareils ainsi que des conseils sur l’auto-prise en charge et les stratégies de communication ; des séances de consolidation ont ensuite eu lieu tous les six mois
  • groupe témoin (n = 487 ; 118 provenant de l’étude ARIC et 369 de novo) : après la randomisation, les participants ont suivi individuellement un programme d’information sur la santé auprès d’un conseiller en matière de santé agréé, à raison de quatre séances d’une heure ayant lieu toutes les semaines à toutes les trois semaines ; l’éducation portait sur les maladies chroniques et la prévention de l’invalidité, en association avec des activités, la fixation d’objectifs et des exerces d’étirement des bras ; des séances de consolidation ont ensuite aussi eu lieu tous les six mois
  • suivi tous les six mois pendant trois ans. 

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : 
    • variation à trois ans des compétences cognitives, mesurée chaque année à l’aide d’une batterie de tests neurocognitifs (tâches de mémoire, tâches linguistiques et fonctions exécutives) et à chaque 6 mois du test de Folstein (Mini-Mental State Examination, MMSE) 
  • critères de jugement secondaires : 
    • variation à trois ans dans des domaines cognitifs spécifiques (mémoire, langage, fonctions exécutives) 
    • délai jusqu’au déclin cognitif (démence établie, trouble cognitif léger établi ou baisse de 3 points au test de Folstein, par
    • comparaison avec la situation à l’entrée dans l’étude)
    • variation dans les fonctions communicatives (questionnaire validé)
  • analyse en intention de traiter
  • analyse de sensibilité avec ventilation entre le recrutement dans l’étude ARIC et le recrutement de novo.

 

Résultats

  • pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à la variation des compétences cognitives après trois ans
  • pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin quant aux critères de jugement secondaires
  • l’analyse de sensibilité montre une différence statistiquement significative entre les participants issus de l’étude ARIC et les participants recrutés de novo (p = 0,010) quant à l’effet sur le principal critère de jugement : dans la population issue de l’étude ARIC, on a observé une réduction de 48% du déclin cognitif dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin (différence de 0,191 avec IC à 95% de 0,022 à 0,360 ; p = 0,027), tandis que ce n’était pas le cas dans la population avec les participants recrutés de novo ; pour les compétences linguistiques également, il y avait une différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin dans la population provenant de l’étude ARIC (différence de 0,229 avec IC à 95% de 0,050 à 0,408 ; p = 0,012) et pas dans la population des participants recrutés de novo.

 

Conclusion des auteurs

Dans l’analyse primaire portant sur l’ensemble de la population étudiée, les auteurs concluent que l’intervention auditive n’a pas entraîné de réduction du déclin cognitif après trois ans. Cependant, une analyse de sensibilité prédéfinie a montré que l’effet différait entre les deux populations étudiées. On pense donc qu’une intervention auditive pourrait réduire, après trois ans, les modifications cognitives chez les personnes âgées présentant un risque accru de déclin cognitif, mais pas dans une population présentant un risque plus faible de déclin cognitif. 

 

Financement de l’étude

National Institutes of Health des États-Unis.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt avec le sujet

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette étude a recruté des participants d’une étude en cours ainsi que des nouveaux participants.  Les différences entre les deux échantillons sont clairement décrites, ce qui a son importance pour l’interprétation des résultats de l’analyse de sensibilité. Les chercheurs ont clairement décrit les critères d’inclusion et les critères d’exclusion. Les participants ont été correctement randomisés, avec stratification selon la gravité de la perte auditive, la source de recrutement (ARIC ou de novo) et le centre de recrutement. La taille de l’échantillon a été calculée a priori. Il fallait randomiser 850 participants pour atteindre une puissance de 90%. Avec une randomisation de 977 participants et un suivi de 877 participants après trois ans, l’étude avait donc une puissance suffisante pour montrer une différence dans les fonctions cognitives après trois ans. La mise en aveugle des participants n’était évidemment pas possible. Et l’évaluation ne pouvait pas non plus être effectuée en aveugle car les appareils auditifs étaient visibles. Mais les chercheurs ont pris un certain nombre de mesures pour limiter autant que possible les biais de performance et de détection : les participants n’étaient pas au courant de l’hypothèse de recherche, les participants ont changé de groupe de recherche après trois ans (s’ils le souhaitaient, les participants du groupe témoin pouvaient également recevoir une aide auditive après trois ans), la formation des évaluateurs était harmonisée, et les évaluateurs n’avaient pas accès aux précédentes évaluations des participants. Comme principal critère de jugement, les chercheurs ont choisi une batterie de tests neurocognitifs portant uniquement sur le langage, la mémoire et les tâches exécutives. L’influence de l’attention et du traitement de l’information n’a donc pas été examinée. En outre, certains tests ne comportaient que des stimuli auditifs, ce qui était désavantageux pour le groupe témoin. Mais cela n’aura probablement que peu influencé les résultats. L’analyse de sensibilité a permis d’observer dans la population ARIC un effet statistiquement significatif sur les tests linguistiques qui ne consistaient jamais uniquement en stimuli auditifs. Le test de Folstein (MMSE) a également été utilisé pour évaluer les fonctions cognitives. Ce test n’est peut-être pas le meilleur pour les personnes âgées qui ne présentent pas de problèmes cognitifs.

 

Évaluation des résultats

Pour l’ensemble de la population de l’étude, aucune différence statistiquement significative n’a pu être montrée quant au critère de jugement primaire et aux critères de jugement secondaires. Cela pourrait indiquer que l’intervention dans le groupe témoin était également efficace pour lutter contre le déclin cognitif chez les personnes atteintes d’une perte de l’audition. Une autre explication pourrait être qu’un suivi de trois ans serait trop court pour montrer un effet chez les personnes chez qui le risque de déclin cognitif est moins élevé. Chez les participants recrutés dans l’étude ARIC, on a constaté une réduction de 48% du changement cognitif avec l’intervention par rapport au groupe témoin. Cette réduction est même plus importante que la différence jugée cliniquement pertinente pour le calcul de la taille de l’échantillon de l’analyse primaire, à savoir une différence de 35% des fonctions cognitives globales sur trois ans entre le groupe intervention et le groupe témoin. Les participants provenant de l’étude ARIC présentaient davantage de facteurs de risque de déclin cognitif (2-4) : ils étaient en moyenne plus âgés, leur niveau de formation était moins élevé, leurs scores pour les fonctions cognitives étaient moins bons, les pourcentages de diabétiques et d’hypertendus étaient plus élevés, de même que le pourcentage de personnes vivant seules. 
L’intervention utilisée a été décrite de manière très complète dans une publication précédente (11) ; elle est reproductible dans la pratique. L’utilisation d’un support technologique requiert des personnes âgées certaines compétences technologiques. Les instructions au début et pendant les séances de consolidation pourraient éliminer ce problème. Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour savoir si un suivi et des conseils aussi fréquents dans l’utilisation des aides auditives et des technologies supplémentaires sont également réalisables dans notre contexte de soins de santé actuel.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les guides de pratique de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) indiquent qu’il n’existe pas suffisamment de preuves permettant de soutenir l’utilisation d’appareils auditifs pour réduire le risque de déclin cognitif ou de démence (3). Un guide de pratique de l’Organisation néerlandaise pour la recherche et le développement en matière de santé (ZonMw) sur la démence ne contient pas de recommandation pour la prévention du déclin cognitif et de la démence. Il n’est pas recommandé de recourir à des interventions à plusieurs composantes dans le seul but de prévenir le déclin cognitif ou la démence (12). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT multicentrique menée en ouvert montre que, par comparaison avec une éducation à la santé, une aide auditive associée à une technologie d’assistance ne montre pas d’efficacité supplémentaire après trois ans sur les fonctions cognitives des personnes âgées présentant une perte auditive. L’intervention s’est avérée utile dans un sous-groupe présentant davantage de facteurs de risque de déclin cognitif. Il serait utile d’étudier plus en détail ces résultats sur un échantillon plus large avec des critères de jugement pertinents.  

 

 


Références 

  1. Wat is dementie: prevalentie. Expertisecentrum Dementie Vlaanderen, 2023. Available at https://www.dementie.be/home/wat-is-dementie/prevalentie/ (site web consulté le 22/11/2023).
  2. Livingston G, Huntley J, Sommerlad A, et al. Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. Lancet 2020;396:413-46. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)30367-6
  3. World Health Organization. Risk reduction of cognitive decline and dementia. WHO guidelines. WHO, 2019. Available at: https://www.who.int/publications/i/item/9789241550543
  4. Mukadam N, Sommerlad A, Huntley J, Livingston G. Population attributable fractions for risk factors for dementia in low-income and middle-income countries: an analysis using cross-sectional survey data. Lancet Glob Health 2019;7:e596-603. DOI: 10.1016/S2214-109X(19)30074-9
  5. Thomson RS, Auduong P, Miller AT, Gurgel RK. Hearing loss as a risk factor for dementia: a systematic review. Laryngoscope Investig Otolaryngol 2017;2:69-79. DOI:  10.1002/lio2.65
  6. Haile LM, Kamenov K, Briant PS, et al; GBD 2019 Hearing Loss Collaborators. Hearing loss prevalence and years lived with disability, 1990-2019: findings from the Global Burden of Disease Study 2019. Lancet 2021;397:996-1009. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)00516-X
  7. Yeo BS, Song HJ, Toh EM, et al. Association of hearing aids and cochlear implants with cognitive decline and dementia: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2023;80:134-41. DOI: 10.1001/jamaneurol.2022.4427
  8. Jiang F, Mishra SR, Shrestha N, et al. Association between hearing aid use and all-cause and cause-specific dementia: an analysis of the UK Biobank cohort. Lancet Public Health 2023;8:e329-e338. DOI: 10.1016/S2468-2667(23)00048-8
  9. Wright JD, Folsom AR, Coresh J, et al. The ARIC (Atherosclerosis Risk In Communities) study: JACC focus seminar 3/8. J Am Coll Cardiol 2021;77:2939-59. DOI: 10.1016/j.jacc.2021.04.035
  10. Lin FR, Pike JR, Albert MS, et al; ACHIEVE Collaboration Research Group. Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): a multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2023;402:786-97. DOI: 10.1016/S0140-6736(23)01406-X
  11. Sanchez VA, Arnold ML, Reed NS, et al. The hearing intervention for the Aging and Cognitive Health Evaluation in Elders randomized control trial: manualization and feasibility study. Ear Hear 2020;41:1333-48. DOI: 10.1097/AUD.0000000000000858
  12. Dementie. Preventie cognitieve achteruitgang en dementie. Federatie Medisch Specialisten. Richtlijnendatabank, 1/10/2023.

 




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