Revue d'Evidence-Based Medicine



Consommation de différents types de boissons et mortalité chez des patients adultes diabétiques de type 2 : résultats d’une cohorte prospective



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 5 Page 92 - 95

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste

Analyse de
Ma L, Hu Y, Alperet DJ, et al. Beverage consumption and mortality among adults with type 2 diabetes: prospective cohort study. BMJ 2023;381:e073406. DOI: 10.1136/bmj-2022-073406


Question clinique
Pour un patient adulte, diabétique de type 2, le choix de boissons « saines » pourrait-il modifier le risque de mortalité (cardiovasculaire) ?


Conclusion
Cette étude observationnelle d’excellente qualité méthodologique montre, dans un groupe de soignants nord-américains présentant un diabète de type 2 à l’inclusion ou incidents pendant la période d’observation, une association faible entre la consommation de boissons avec ou sans apport énergétique et la mortalité globale ou la morbimortalité cardiovasculaire. En absence d’une relation causale argumentée, la consommation de boissons avec ou sans apport calorique doit être considérée comme un possible marqueur de pronostic de mortalité globale ou de morbimortalité cardiovasculaire chez les patients adultes diabétiques de type 2.


Contexte

La morbidité et la mortalité (surtout cardiovasculaire) liées au diabète de type 2 sont et restent un problème majeur de santé publique, qui concerne directement les praticiens de première ligne, cela malgré d’incontestables progrès (1,2). Un mode alimentaire sain des patients est capital, mais les boissons consommées sont aussi jugées importantes (3).
Minerva a déjà traité de ce sujet concernant directement ou indirectement les boissons. En 2005, une première analyse d’une étude d’observation conclut qu’il existe une relation inverse entre la consommation (élevée) de café et la survenue d’un diabète de type 2, cette consommation semble cependant augmenter le risque CV (4,5). En 2018, l’analyse d’une synthèse méthodique montre que la prise d’édulcorants artificiels n’est pas une stratégie efficace pour influencer le BMI, ou réduire l’incidence du diabète de type 2 (6,7).

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • deux études de cohortes prospectives ; professionnels de santé ; femmes (121700, âge 30-55 en 1976) et hommes (51529, âge 40-75 en 1986), aux USA ; suivis à partir de 1980 pour les femmes,1986 pour les hommes ; sont inclus les diabétiques de type 2 à ces deux dates, ou les diabétiques de type 2 incidents pendant la période d’observation ; étude stoppée en 2018
  • exclusions : diabète type 1, maladie cardiovasculaire (MCV) ou cancer au début du suivi ou avant le diagnostic incident de diabète type 2 ; renseignements diététiques insuffisants ou incohérents 
  • au total, 11399 femmes et 4087 hommes avec un diabète de type 2 sont inclus au temps 0 ; 9252 femmes et 3519 hommes avec un diabète incident sont inclus en cours de suivi.  

 

Protocole d’étude

  • recueil des données (8) : au temps 0, ensuite tous les 2 à 4 ans 
    • les informations concernant les boissons journalières usuelles sont classées en 8 catégories (boissons sucrées - BS ; boissons avec édulcorants - BE ; jus de fruits - JF ; café - C ; thé - T ; eau - E ; lait écrémé - LEC ; lait entier - LE ) 
    • les données sont recueillies via un questionnaire alimentaire détaillé, dont la consommation des boissons a été validée par comparaison avec la tenue de journaliers dans un échantillon d’hommes et de femmes
    • une série de covariables d’intérêt (poids, activité physique, tabagisme, traitements…) sont recueillies à la même fréquence et seront utilisées pour ajustement
  • comparaisons : sont comparées les incidences d’intérêt entre les patients gros consommateurs et les patients non-consommateurs.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement primaires : mortalité de toutes causes 
  • critères de jugement secondaires : incidence d’événement CV, mortalité CV
  • pour les diabétiques de type 2 à l’inclusion, les résultats sont présentés en HR avec intervalles de confiance ; les ratios sont des ratios de taux incidents (nombre d’événements par patients-années), comparant la consommation la plus élevée à la non-consommation, ajustés sur les variables d’intérêt citées plus haut ; les résultats des femmes et des hommes sont poolés comme dans une MA dans un modèle à effet variable
  • pour les diabétiques incidents en cours de suivi, les résultats sont présentés en signification statistique de la tendance de l’évolution des HR observés avec une ration de moins, consommation inchangée ou une ration de plus, après le diagnostic de diabète.

 

Résultats 

  • les résultats principaux sont présentés en 2 tableaux :

 


Tableau 1. Patients diabétiques de type 2 à l’inclusion, HR (avec IC à 95%).

 

Mortalité globale

Incid CV

Mortalité CV

Consommation

BS

1,20 (1,04 à 1,37)

1,25 (1,03 à 1,51)

1,29 (1,02 à 1,63)

> 1 rat/j

BE

NS

NS

NS

> 2 rat/j

JF

NS

NS

NS

> 1 rat/j

C

0,74 (0,63 à 0,86)

0,82 (0,69 à 0,98)

NS

> 4 rat/j

T

0,79 (0,71 à 0,84)

NS

NS

> 2 rat/j

E

0,77 (0,70 à 0,85)

NS

0,77 (0,65 à 0,91)

> 5 rat/j

LEC

0,88 (0,80 à 0,96)

NS

0,84 (0,72 à 0,99)

> 2 rat/j

LE

NS

NS

NS

> 1 rat/j

  NS : non significatif.

 

 

Tableau 2. Patients diabétiques de type 2 incidents, p de tendance.

 

 

Mortalité globale

Incid CV

Mortalité CV

BS

0,04

NS

0,04

BE

NS

NS

NS

JF

NS

NS

NS

C

< 0,001

0,002

< 0,001

T

< 0,001

NS

< 0,001

E

< 0,001

NS

NS

LEC

< 0,001

NS

0,01

LE

NS

NS

NS

  NS : non significatif.

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les différentes associations sont observées entre la consommation de certaines boissons, la mortalité globale et la morbimortalité cardiovasculaire chez les patients adultes diabétiques de type 2 : boire plus de boissons sucrées est associé avec une augmentation de la mortalité de toutes causes et de la morbimortalité CV, tandis que la consommation de café, thé, eau ou lait écrémé est associée à une diminution de la mortalité de toutes causes. Ces observations plaident pour un rôle potentiel du choix des boissons dans la gestion du risque CV et de la mort prématurée chez les adultes diabétiques de type 2. 

 

Financement de l’étude

NIH (USA).

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Tous les auteurs ont déclaré les potentiels conflits d’intérêt, l’un des auteurs déclare des liens avec l’industrie de la nutrition.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Ce travail regroupe les résultats observés dans deux cohortes prospectives, suivies aux USA. Il est de grande qualité méthodologique. Le recueil des données est parfaitement détaillé. En particulier, l’incidence de cancer en cours de suivi est pris en compte, les données manquantes sont remplacées par les données valides les plus proches. 
L’analyse statistique est parfaite ; les auteurs utilisant un modèle de Cox, ils ont testé l’hypothèse du hasard proportionnel, sans le mettre en défaut.
Les auteurs ont testé 11 biais possibles en analyses de sensibilité ; en particulier, ont été testés le BMI à 2 moments d’observation, différentes mesures du statut socio-économique, différentes mesures de consommation de boissons, l’évolution du tabagisme, la présence ou non de symptômes du diabète, l’HbA1c. Les résultats sont restés robustes. Les patients inclus, des soignants, ne sont pas informés des protocoles des études.

 

Évaluation des résultats

Les auteurs suggèrent dans leur conclusion que le choix des boissons pourrait influer le risque de mortalité globale ou de morbimortalité cardiovasculaire chez les patients adultes diabétiques de type 2, inférant donc une relation causale possible. Inférer une relation causale sur base d’associations épidémiologiques, même au départ d’études de qualité, est toujours un pari risqué. Si le tableau général des observations est cohérent, on notera en premier lieu que les HR significatifs sont faibles, avec des IC larges, affleurant souvent 1.
Les études épidémiologiques citées, déjà publiées, même allant dans le même sens, ne sont pas pertinentes pour une argumentation causale.
Les études d’intervention citées sont des études à court terme qui portent sur des effecteurs substituts, donc de faible niveau de preuve. Si plusieurs hypothèses biologiques viennent en appui des associations observées, elles restent des hypothèses. Ainsi si café (9,10) et thé (11) ont des composés possiblement métaboliquement (et positivement) actifs, comment expliquer le parallélisme entre eau pure, café et thé dans les résultats observés ici ? Les résultats observés pour le café dans d’autres études sont considérés causalement douteux (12), y compris par des études avec randomisation mendélienne (13). En l’absence d’une relation causale bien argumentée, les associations observées peuvent être considérées comme des marqueurs de pronostic. Les patients ici inclus étant tous des soignants, une généralisation à la population générale est risquée.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les recommandations nord-américaines sont régulièrement mises à jour. Dans sa version 2024 (14), la recommandation est de boire de l’eau plutôt que toute autre boisson avec apport calorique ou avec un édulcorant artificiel (recommandation de grade B). La stratégie générale de prévention cardiovasculaire qui est bien validée repose sur une approche multi-factorielle intensive (15-18). Ni NICE ni la HAS n’offrent une recommandation particulière concernant les boissons. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude observationnelle d’excellente qualité méthodologique montre, dans un groupe de soignants nord-américains présentant un diabète de type 2 à l’inclusion ou incidents pendant la période d’observation, une association faible entre la consommation de boissons avec ou sans apport énergétique et la mortalité globale ou la morbimortalité cardiovasculaire. En absence d’une relation causale argumentée, la consommation de boissons avec ou sans apport calorique doit être considérée comme un possible marqueur de pronostic de mortalité globale ou de morbimortalité cardiovasculaire chez les patients adultes diabétiques de type 2.  

 

 


Références 

  1. Gregg EW, Cheng YJ, Saydah S, et al. Trends in death rates among U.S. adults with and without diabetes between 1997 and 2006: findings from the National Health Interview Survey. Diabetes Care 2012;35:1252-7. DOI: 10.2337/dc11-1162
  2. Htay T, Soe K, Lopez-Perez A, et al. Mortality and cardiovascular disease in type 1 and type 2 diabetes. Curr Cardiol Rep 2019;21:45. DOI: 10.1007/s11886-019-1133-9
  3. Ertuglu LA, Demiray A, Afsar B, et al. The use of Healthy Eating Index 2015 and Healthy Beverage Index for predicting and modifying cardiovascular and renal outcomes. Curr Nutr Rep 2022;11:526-35. DOI: 10.1007/s13668-022-00415-2
  4. Laekeman G. Le café protège-t’il du diabète ? MinervaF 2005;4(7):102-4
  5. Tuomilehto J, Hu G, Bidel S, et al. Coffee consumption and risk of type 2 diabetes mellitus among middle-aged Finnish men and women. JAMA 2004;291:1213-9. DOI: 10.1001/jama.291.10.1213
  6. Laekeman G. Les édulcorants artificiels ont-ils des effets cardiaques et métaboliques négatifs à long terme ? MinervaF 2018;17(4):48-51.
  7. Azad MB, Abou-Setta AM, Chauhan BF, et al. Nonnutritive sweeteners and cardiometabolic health: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials and prospective cohort studies. CMAJ 2017;189:E929-E939. DOI: 10.1503/cmaj.161390 
  8. Ma L, Hu Y, Alperet DJ, et al. Beverage consumption and mortality among adults with type 2 diabetes: prospective cohort study. BMJ 2023;381:e073406. DOI: 10.1136/bmj-2022-073406
  9. Roshan H, Nikpayam O, Sedaghat M, Sohrab G. Effects of green coffee extract supplementation on anthropometric indices, glycaemic control, blood pressure, lipid profile, insulin resistance and appetite in patients with the metabolic syndrome: a randomised clinical trial. Br J Nutr 2018;119:250-8. DOI: 10.1017/S0007114517003439
  10. van Dam RM, Hu FB, Willett WC. Coffee, Caffeine, and Health. N Engl J Med 2020;383:369-78. DOI: 10.1056/NEJMra1816604
  11. Sirichaiwetchakoon K, Churproong S, Kupittayanant S, Eumkeb G. The effect of Pluchea indica (L.) Less. tea on blood glucose and lipid profile in people with prediabetes: a randomized clinical trial. J Altern Complement Med 2021;27:669-77. DOI: 10.1089/acm.2020.0246
  12. James JE. Are coffee's alleged health protective effects real or artifact? The enduring disjunction between relevant experimental and observational evidence. J Psychopharmacol 2018;32:850-4. DOI: 10.1177/0269881118771780
  13. Nordestgaard AT. Causal relationship from coffee consumption to diseases and mortality: a review of observational and Mendelian randomization studies including cardiometabolic diseases, cancer, gallstones and other diseases. Eur J Nutr 2022;61:573-87. DOI: 10.1007/s00394-021-02650-9
  14. American Diabetes Association Professional Practice Committee. 5. Facilitating positive health behaviors and well-being to improve health outcomes: standards of care in diabetes-2024. Diabetes Care 2024;47(Suppl 1):S77-S110. DOI: 10.2337/dc24-S005. (Published correction in Diabetes Care 2024;47:761-2. DOI: 10.2337/dc24-er04.) 
  15. Gaede P, Lund-Andersen H, Parving HH, Pedersen O. Effect of a multifactorial   intervention on mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:580-91. DOI: 10.1056/NEJMoa0706245
  16. Gæde P, Oellgaard J, Carstensen B, et al. Years of life gained by multifactorial intervention in patients with type 2 diabetes mellitus and microalbuminuria: 21 years follow-up on the Steno-2 randomised trial. Diabetologia 2016;59:2298-2307. DOI: 10.1007/s00125-016-4065-6
  17. Khunti K, Kosiborod M, Ray KK. Legacy benefits of blood glucose, blood pressure and lipid control in individuals with diabetes and cardiovascular disease: Time to overcome multifactorial therapeutic inertia? Diabetes Obes Metab 2018;20:1337-41. DOI: 10.1111/dom.13243
  18. American Diabetes Association Professional Practice Committee. 10. Cardiovascular disease and risk management: standards of care in diabetes-2024. Diabetes Care 2024;47(Suppl 1):S179-S218. DOI: 10.2337/dc24-S010

 




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