Revue d'Evidence-Based Medicine



Utiliser des outils d’aide à la décision pour les patients en pratique clinique ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 7 Page 167 - 171

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Stacey D, Lewis KB, Smith M, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2024, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD001431.pub6


Question clinique
Chez les patients adultes devant prendre une décision à propos d’un dépistage ou d’un traitement, par rapport aux soins usuels, l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour les patients améliorent-ils la congruence du choix posé avec les valeurs du patient ainsi que ses connaissances, sa perception des risques, son sentiment d'être informé, la clarification de ses valeurs, sa participation à la prise de décision ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyses de très bonne qualité montre que, chez les patients devant prendre une décision à propos d’un dépistage ou d’un traitement, par rapport aux soins usuels, l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour les patients améliorent la congruence entre les choix posés et les valeurs des patients ainsi que leurs connaissances, la perception des risques et la participation à la prise de décision.


Contexte

Informer les patients est une obligation légale* . Plus fondamentalement, favoriser le partage des décisions avec ces derniers est un engagement éthique et un levier pour la qualité des soins (1). Pour mettre en œuvre cette prise de décision partagée, il est nécessaire de s’appuyer sur des modèles de relation thérapeutique appropriée (2) et, à l’occasion, de s’aider d’outils. Minerva n’a jamais analysé d’article traitant de l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour les patients. Selon la collaboration IPDAS** , ces outils, a minima, doivent rendre explicite la décision à prendre, fournir des informations basées sur les meilleurs faits probants disponibles (les objectifs, l’efficacité attendue et les effets indésirables possibles) et aider les patients à déterminer ce qui est le plus important pour eux. La revue systématique ici analysée (3), une mise à jours d’une revue publiée d’abord en 2003 et remise à jour en 2017 (4), étudie de manière exhaustive l’impact de ces outils.

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique et méta-analyses.

 

Sources consultées

  • CENTRAL, MEDLINE, Embase, PsycINFO, EBSCO et la littérature grise, de 2015 (date de la dernière mise à jour) jusqu’à mars 2022
  • sans restriction de langue.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : 
    • essais cliniques randomisés comparant les outils d’aide à la décision pour le patient avec les soins usuels : informations générales, résumés de recommandation clinique, outils d’évaluation des risques ou placebo (par exemple, informations sur un autre sujet) ou pas d'intervention
    • intervention : les aides à la décision pour les patients répondent à la définition d'interventions complexes compte tenu des caractéristiques de leur contenu et de la manière dont le contenu est présenté ; selon la collaboration internationale sur les normes d'aide à la décision pour les patients (IPDAS) (5), les aides à la décision pour les patients comprennent au minimum les éléments suivants :
      • elles énoncent explicitement la décision qui doit être envisagée pour la population cible
      • elles fournissent des informations équilibrées et fondées sur des données probantes sur un problème de santé, les options, les avantages et les inconvénients associés
      • elles aident les patients à clarifier, implicitement ou explicitement, la valeur qu'ils accordent aux avantages et aux inconvénients de chaque option (effets physiques, émotionnels et sociaux)
      • comparaison : soins habituels définis comme des informations générales, une évaluation des risques, des résumés de guides de pratique clinique pour les patients, une intervention placebo (par exemple, des informations sur un autre sujet) ou l'absence d'intervention
  • critères d’exclusion :
    • études dont les interventions portaient sur : 
      • les décisions concernant les changements de mode de vie, les soins sociaux, l’entrée dans un essai clinique ou les directives anticipées générales (par exemple, ne pas réanimer) 
      • les programmes d’éducation non axés sur une décision spécifique
      • les interventions conçues pour promouvoir l’adhésion ou obtenir un consentement éclairé concernant une option recommandée
    • études pour lesquelles les aides à la décision pertinentes pour le patient n’étaient pas décrites de manière adéquate dans l’article ou n’étaient pas disponibles auprès des auteurs (impossibilité de déterminer les caractéristiques des aides et de déterminer si les aides répondaient ou non aux critères minimaux pour être qualifiées d’aides à la décision pour le patient)
      études comparant différents formats ou méthodes de diffusion d'outils d'aide à la décision pour les patients ou comparant deux types différents d'outils d'aide à la décision pour les patients (par exemple, plus simples ou plus compliqués)
  • au total, cette mise à jour a ajouté 104 nouvelles études pour un total de 209 ; les aides à la décision pour les patients portaient sur 71 décisions différentes ; les plus fréquentes concernaient les traitements cardiovasculaires (n = 22), le dépistage du cancer (n = 34), les traitements du cancer (n = 36), les traitements de santé mentale (n = 10) et la chirurgie de remplacement des articulations (n = 9) ; 89 outils (43%) étaient sous format papier, 70 (33%) sous format informatique et 33 (16%) contenaient des audio ou des vidéos.

 

Population étudiée

  • inclusion des adultes âgés de 18 ans ou plus qui prenaient des décisions de santé concernant des options de dépistage ou de traitement pour eux-mêmes, un enfant ou en tant que mandataire d'un proche
  • exclusion des études dans lesquelles les adultes faisaient des choix hypothétiques
  • au total, 107698 patients, ont présenté des résultats provenant de 19 pays : États-Unis (n = 106), Canada (n = 23), Royaume-Uni (n = 21), Australie (n = 17), Pays-Bas (n = 10), Allemagne (n = 8), Chine (n = 7), Espagne (n = 6), Danemark (n = 2), Finlande (n = 2), France (n = 2), Japon (n = 2), Grèce (n = 1), Italie (n = 1), Malaisie (n = 1), Nouvelle-Zélande (n = 1), Suède (n = 1), Suisse (n = 1), Turquie (n = 1), et quatre études qui ont été menées dans deux pays.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement primaires:
    • en lien avec le choix posé : congruence du choix posé avec les valeurs du patient mesurée par la proportion de participants qui prenaient une décision conforme à ce qui était le plus important pour eux, évaluée peu après l'exposition à l'aide à la décision, au moyen par exemple de l’outil MMIC pour « Multi-Dimensional Measure of Informed Choice » (n = 13)
    • en lien avec le processus de partage de la décision : 
      • connaissances, standardisées sur une échelle de 0 (aucune connaissance) à 100 (connaissance parfaite) et évaluées peu après l'exposition à l’outil d’aide à la décision 
      • perception exacte des risques (proportion de participants évaluant les probabilités de survenue d’un critère d’évaluation conformément aux données de la sciences) 
      • participation à la prise de décision (proportion de participants qui ont indiqué un rôle passif dans la prise de décision, évaluée peu après la consultation avec le clinicien) 
      • événements indésirables (regret de la décision sur une échelle de 0 (aucun regret) à 100 (grand regret) évalué des semaines ou des mois après la prise de décision
  • critères de jugement secondaires : choix finalement posé, confiance dans le fait de prendre des décisions, l'adhésion à l'option choisie, critères d’évaluation clinique et impact sur le système de santé (par exemple, durée de la consultation).

 

Résultats

  • les différences étaient statistiquement significatives pour tous les critères primaires « d’efficacité » et non significatives pour le critère de « sécurité » (les regrets décisionnels) (voir tableau) ; la qualité de preuves était de modérée à élevée ; la grande majorité des études n’étaient pas à risque élevé de biais mais le niveau de preuve pour le critère congruence du choix avec les valeurs du patient a été downgradé pour risque de biais de publication

 

 

Tableau. Résultats pour les critères d’évaluation primaires.

 

Critères d’évaluation

Bénéfice comparé soins usuels versus intervention

Risque relatif

(IC 95%) et

nombres d’études

 

Qualité de la preuve

Congruence du choix posé avec les valeurs du patient

29,5% versus 48,1%

1,75 (1,44 à 2,13)

(21 études)

modérée

Connaissances

58,6% versus 70,3%

/

(107 études)

élevée

Perception exacte des risques

28,1% versus 53,2%

1,94 (1,61 à 2,34)

 

(21 études)

élevée

Non-participation à la prise de décision

25,7 versus 18,8%

0,72 (0,59 à 0,88)

(21 études)

élevée

Regrets de la décision

15,6% vs 14,47%

Différence non significative

/

(2 études)

élevée

 

 

 

  • pour les critères de jugement secondaires : 
    • concernant l’effet sur le choix des options par les patients, les outils d’aide à la décision diminuent le nombre de patients qui choisissent de subir une intervention chirurgicale majeure non urgente (un plus grand nombre de patients optant pour des options conservatrices), augmente le dépistage du cancer colorectal et diminue le dépistage du cancer de la prostate, d'autres décisions n'ont pas été influencées ou influencées de manière variable 
    • la confiance dans le fait de prendre des décisions étaient augmentées  
    • sur les 25 études étudiant l’effet sur l'adhésion à l'option choisie, 20 ne montraient aucun effet significatif et 5 un effet positif 
    • aucune étude n'a mesuré d’impact sur des critères cliniques 
    • les consultations n'ont pas été plus longues lorsque des aides à la décision du patient ont été utilisées pour préparer la consultation et ne duraient que 1,5 minute de plus lorsqu'elles étaient utilisées pendant la consultation.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que par rapport aux soins usuels, les outils d’aide à la décision pour le patient ont probablement aidé plus d'adultes à faire des choix éclairés et conformes à leurs valeurs. Ils leurs ont permis d'accroître considérablement leurs connaissances, d'améliorer leur perception des risques et de jouer un rôle actif dans la prise de décision. L’étude actualisée a également montré que les outils d’aide à la décision pour le patient permettaient aux patients de se sentir mieux informés et plus au clair sur leurs valeurs personnelles. Il n'y avait de différence en termes de regret de la décision. D'autres études sont nécessaires pour évaluer leur impact sur l'observance, sur les coûts et sur l'utilisation des ressources.

 

Financement de l’étude

Bourse du « Canadian Institute for Health Research ».

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Plusieurs chercheurs ont mis au point des outils d’aide à la décision pour le patient mais aucun n'a pris de décision sur l'éligibilité, n'a extrait de données, n'a effectué d'évaluation du risque de biais ou n'a évalué le degré de certitude GRADE de leurs propres études dans cette mise à jour.

 

 

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie

Cette revue systématique avec méta-analyses, très complète (520 pages), suit rigoureusement la méthode Cochrane. Elle a été menée avec le soutien d’un groupe éditorial dédié à la communication au sein de cette institution. Tout au plus pouvons-nous constater le grand nombre de critères d’évaluations retenus et la très grande hétérogénéité, tant des populations (première ligne, deuxième ligne, etc…) que des interventions (papier ou internet, plus ou moins complexe, etc.…) retenues. Les auteurs anticipent clairement ce risque et considèrent explicitement accorder plus d’importance à la variabilité dans la direction des effets plutôt que dans la taille des effets pour l’interprétation de l'hétérogénéité.

 

Évaluation des résultats

Cette mise à jour renforce les conclusions des anciennes synthèses méthodiques sur le sujet. La recherche dans ce domaine est assez active puisque 104 essais cliniques supplémentaires ont pu être inclus depuis 2017. Les résultats sont instructifs non seulement sur les effets observés, qui semblent parfois cliniquement très pertinents mais aussi sur les résultats observés dans les soins usuels, où moins d’un tiers des patients choisissent une option en accord avec leurs valeurs, un quart des patients déclarent ne pas avoir participé à la décision et moins d’un tiers des patients seulement ont une perception exacte des risques, ce qui est en accord avec la littérature sur le sujet. Globalement les patients ont tendance à surévaluer les bénéfices et à sous évaluer les risques liés aux interventions médicales (6). 
La question des possibilités pratique de mise en œuvre de ces outils mérite d’être posée. La grande majorité de ceux-ci ne sont pas disponibles sur le terrain en Belgique. En Belgique, pour soutenir le partage des décisions avec les patients, les résumés simplifiés de recommandation d’Infosanté.be***  sont disponible via l’Evidence-linker de nos dossiers de santé informatisés, mais ils ne constituent pas à proprement parler des outils d’aide à la décision, notamment parce qu’ils ne se centrent pas explicitement sur les choix à poser. Le récent accès à « BMJ Best Practice »****   également via l’Evidence permettra l’accès depuis nos dossiers de santé informatisés à toute une série de calculateurs de risque favorisant aussi certaine étapes de la prise de décision partagée. Le KCE a développé des outils d’aide à la décision, par exemple dans le domaine de la prescription des statines, sous forme de « diagramme de 1000 personnes »*****, ciblant bien la décision en jeu et aidant, au moins implicitement, le patient à clarifier ses valeurs. La question de la nécessité d’adapter les outils d’aide à la décision aux patients les plus en difficulté avec la littératie en santé reste posée (7) mais ne doit pas être un frein à leur utilisation prudente. Dans cette synthèse méthodique, les outils sont envisagés comme des aides à la consultation d’un professionnel de la santé, soit en amont, soit pendant la consultation. C’est probablement un champ d’étude opportun en ce qui concerne le partage des tâches entre professions de soins. Lorsque l’outil était utilisé pendant la consultation, cette dernière était plus longue, mais c’est peut-être dû à une nécessaire courbe d’apprentissage. Il serait aussi intéressant, surtout avec l’émergence de l’intelligence artificielle, puisque beaucoup de ces outils sont en libre accès, d’étudier leurs impact en dehors de toute relation thérapeutique avec un professionnel. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

A notre connaissance, il n’existe pas de recommandation belge spécifique sur l’utilisation des outils d’aide à la décision pour les patients. Concernant l’incorporation du concept de décision médicale partagée dans les recommandations clinique en général, même s’il est raisonnable d’admettre que la place réelle accordée au partage de la décision puisse varier en fonction de l’enjeu et de l’incertitude entourant le sujet abordé (8), plus de la moitié des guides de pratique cliniques en lien avec le dépistage du cancer colon par exemple n’y font pas du tout référence (9).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyses de très bonne qualité montre que, chez les patients devant prendre une décision à propos d’un dépistage ou d’un traitement, par rapport aux soins usuels, l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour les patients améliorent la congruence entre les choix posés et les valeurs des patients ainsi que leurs connaissances, la perception des risques et la participation à la prise de décision.

 

 

 

* Cf. Loi du 22 aout 2002 relative aux droits du patient.

** Pour « International Patient Decision Aid Standards », voir http://ipdas.ohri.ca/

*** Voir https://www.infosante.be/

**** Voir https://ebpnet.be/fr/nouvelles/vous-avez-acces-bmj-best-practice

***** Voir https://www.statines.kce.be/fr/tool.html

 


Références 

  1. Mulley AG, Trimble C, Elwyn G. Stop the silent misdiagnosis: patients’ preferences matter. BMJ 2012;345:e6572.  DOI: 10.1136/bmj.e6572
  2. Elwyn G, Durand MA, Song J, et al. A three-talk model for shared decision making: multistage consultation process. BMJ 2017;359:j4891. DOI: 10.1136/bmj.j4891
  3. Stacey D, Lewis KB, Smith M, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2024, Issue 1. DOI:  10.1002/14651858.CD001431.pub6 
  4. Stacey D, Légaré F, Lewis K, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD001431.pub5
  5. International Patient Decision Aid Standards Collaboration. IPDAS Voting Document - 2nd Round. 2005. URL: ipdas.ohri.ca/IPDAS_Second_Round.pdf (accessed 29/10/2013).
  6. Hoffmann TC, Del Mar C. Patients’ expectations of the benefits and harms of treatments, screening, and tests: a systematic review. JAMA Intern Med 2015;175:274‑86. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.6016
  7. Richter R, Jansen J, Bongaerts I, et al. Communication of benefits and harms in shared decision making with patients with limited health literacy: a systematic review of risk communication strategies. Patient Educ Couns 2023;116:107944. DOI: 10.1016/j.pec.2023.107944
  8. Berger ZD, Brito JP, Ospina NS, et al. Patient centred diagnosis: sharing diagnostic decisions with patients in clinical practice. BMJ 2017;359:j4218. DOI: 10.1136/bmj.j4218
  9. Maes-Carballo M, García-García M, Gómez-Fandiño Y, et al. Systematic review of shared decision-making in guidelines about colorectal cancer screening. Eur J Cancer Care (Engl) 2022;31:e13738. DOI: 10.1111/ecc.13738

 




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