Revue d'Evidence-Based Medicine
Effet à long terme d’une modification de l’apport glucidique sur le poids : étude prospective de 28 ans
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 7 Page 172 - 175
Professions de santé
Diététicien, Médecin généralisteContexte
Malgré des décennies de recherche, le rôle exact des glucides alimentaires dans la prise de poids demeure débattu. Ces glucides constituent une part majeure de l'apport énergétique d’un grand nombre de régimes alimentaires. Des analyses dans Minerva ont étudié l'effet de régimes spécifiques dans un but de prévention sur la mortalité (1,2), la morbidité (3,4) et la prise de poids (5-8) dans une population saine et non diabétique. L’étude analysée dans cet article se base plus spécifiquement sur les glucides sur base d’une large cohorte de soignants (9). Pour rappel, l’indice glycémique est une mesure permettant de classer les aliments selon leur capacité à élever la glycémie, la charge glycémique tient compte de l’indice glycémique mais également de la quantité de glucides présentes dans une portion d’aliment.
Résumé
Population étudiée
- 136432 participants des États-Unis âgés de moins de 65 ans :
- 46722 femmes de la Nurse Health Study I (NHS I)
- 67186 femmes de la Nurse Health Study II (NHS II)
- 22524 hommes de la Health Professionals Follow-up Study (HPFS)
- critères d’exclusion : diabète, cancer, maladie cardiovasculaire, maladie respiratoire, maladie neurodégénérative, pathologies gastriques, maladie rénale chronique, lupus érythémateux disséminé, données manquantes concernant le régime alimentaire, le poids ; ont également été exclus les participants qui rapportaient des données aberrantes (< 600 ou > 3500 kcal/jour pour les femmes et < 800 ou > 4200 kcal/jour pour les hommes)
- âge moyen au moment du recrutement : 50,2 ans
- indice de masse corporelle moyen : 25,7 kg/m².
Protocole d’étude
- étude de cohorte prospective avec un suivi entre 24 et 28 ans
- évaluation du régime alimentaire tous les 2 à 4 ans à l’aide d’un questionnaire nutritionnel auto-administré semi-quantitatif validé et reproductible reprenant > 130 items puis estimation de l’apport en glucides (en g/jour) ainsi que des différentes sources de glucides
- des informations sur l’historique médical, l’activité physique, le statut tabagique, la durée du sommeil, les heures passées devant la télévision et d’autres variables ont également été récoltées.
Mesure des résultats
- mesure d’un changement d’apport en glucides et du poids sur chaque intervalle de suivi
- analyse statistique par modèles de régression linéaire généralisée multivariée avec une matrice de corrélation non structurée et une variance robuste avec le changement de poids comme variable dépendante
- modèle multivariable ajusté pour l’âge, le BMI au début de chaque période de 4 ans, la durée de sommeil, les changements en termes d’activité physique ou de temps passé devant la télévision, les changements en termes de tabagisme, de consommation d’alcool, de l’apport total de lipides et de protéines et le rapport entre acides gras polyinsaturés et saturés.
Résultats
- pendant toute la durée de l’étude, la prise de poids moyenne était de 1,5 kg sur une période de 4 ans pour un gain moyen de 8,8 kg sur la période de 24 ans
- au début de la période d’investigation, la quantité quotidienne moyenne de glucides était de 226,40 g/jour
- le tableau-ci-dessous représente la modification de la prise de poids par rapport à la cohorte générale, qui a pris du poids au cours de l’étude ; il montre si une modification de la consommation a entraîné une prise de poids supérieure à celle de la cohorte.
Tableau. Impact d’une augmentation de la consommation de glucides sur les variations de la prise de poids.
Type de glucide |
Augmentation de la consommation |
Modification de la prise de poids (kg / 4 ans) |
Indice glycémique |
+ 10 unités / jour |
+ 1,2 kg |
Charge glycémique |
+ 100 unités / jour |
+ 0,7 kg (0,6 à 0,7) |
Équivalent glucose |
+ 100 g / jour |
+1,5 kg (1,4 à 1,5) |
Équivalent fructose |
+ 100 g / jour |
- 0,2 kg (-0,4 à -0,1) |
Amidon |
+ 100 g / jour |
+ 1,5 kg (1,4 à 1,5) |
Sucres ajoutés |
+ 100 g / jour |
+ 0,9 kg (0,8 à 1,0) |
Sucre naturel |
+ 100 g / jour |
- 0,1 kg (0,2 à 0,0) |
Grains raffinés |
+ 100 g / jour |
+ 0,8 kg (0,7 à 0,9) |
Grains entiers |
+ 100 g / jour |
- 0,4 kg (0,5 à 0,3) |
Légumes amylacés |
+ 100 g / jour |
+ 2,6 kg (2,4 à 2,8) |
Légumes non amylacés |
+ 100 g / jour |
- 3,0 kg (-3,3 à -2,7) |
Fruits |
+ 100 g / jour |
- 1,6 kg (-1,7 à -1,5) |
Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent qu’une augmentation de l'indice glycémique alimentaire, de la charge glycémique, et des quantités d'amidons, de sucres ajoutés, de grains raffinés, et de légumes amylacés sont associées à un gain de poids plus important à partir de 50 ans. En revanche, une augmentation des quantités de fibres, de grains entiers, de fruits et de légumes non amylacés est associée à une prise de poids moins importante. Ces conclusions soutiennent l'importance potentielle de la qualité et de la source des glucides pour le contrôle du poids à long terme.
Financement de l’étude
National Institutes of Health. Friends of FACES/Kids Connect; les financeurs n'ont joué aucun rôle dans la conception, la conduite, l'analyse ou la rédaction de l'étude.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun conflit d’intérêt déclaré.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette étude de cohorte prospective inclut un large échantillon de 136432 participants, avec un suivi régulier sur une période de 24 à 28 ans. Ce suivi prolongé sur une large cohorte permet une analyse statistique robuste, illustrée notamment par des intervalles de confiance très étroits lors de la mesure des résultats. L’alimentation a été évaluée à l’aide d’un questionnaire dont la reproductibilité a été validée dans d’autres cohortes et toutes les formules permettant d’en dériver l’apport total en glucide sont très bien décrites. Toutefois, l’auto-déclaration des données, notamment du poids, doit être considérée avec prudence en raison du risque de surestimation ou de sous-estimation. Les auteurs se réfèrent à une étude de 1983 qui montre un coefficient de corrélation de Spearman de 0,96 pour l’auto-déclaration du poids (10).
Évaluation des résultats
Les résultats indiquent clairement que tant la quantité que la qualité des glucides dans l’alimentation sont des facteurs déterminants pour le poids des individus. Sur l’ensemble de la période de suivi, les participants ont pris en moyenne 8,8 kg. La prise de poids était plus marquée chez les participantes des cohortes NHS I et II par rapport aux hommes de la cohorte HPFS. Il aurait été pertinent d'examiner si le statut ménopausique influençait la prise de poids. De plus, l’effet d’un changement de régime alimentaire sur le poids semblait plus prononcé chez les participants de moins de 50 ans. Cet effet a également été observé chez ceux qui, selon la médiane, pratiquaient le moins d’activité physique et ne consommaient pas d’alcool.
Cette étude a examiné non seulement la quantité de glucides, mais aussi leur qualité, en tenant compte de leur nature, ainsi que de la charge glycémique et de l’indice glycémique. Les résultats montrent que les légumes amylacés, comme les pommes de terre, sont associés à une prise de poids plus importante. L’analyse des substitutions alimentaires révèle que remplacer les pommes de terre frites par d’autres aliments est lié à une perte de poids significative à long terme. Cependant, certains résultats sont surprenants. Par exemple, une augmentation de l’apport en sucres naturels (fruits, jus de fruits, produits laitiers) est associée à une prise de poids moins importante comparée à ceux qui n’ont pas modifié leur consommation de sucres naturels. La distinction entre sucres naturels et sucres ajoutés semble sans fondement d’un point de vue métabolique, ce qui pourrait refléter un argumentum ad naturam : une tendance à attribuer des effets positifs aux sucres naturels simplement en raison de leur origine. De plus, bien que d’autres études suggèrent que le fructose pourrait favoriser la prise de poids, l’adiposité viscérale et l’insulinorésistance (11,12), les auteurs n'ont pas fourni d’explications supplémentaires sur ce point. Il reste difficile de comprendre pourquoi une augmentation des sucres simples pourrait être associée à une perte de poids. Des facteurs comme la densité calorique, l’apport en fibres, ou d’autres variables pourraient peut-être mieux expliquer cette observation, mais ces hypothèses nécessitent des investigations supplémentaires.
Il est important de noter que 83,5% des participants étaient des femmes et tous étaient des professionnels de santé, ce qui peut limiter la représentativité de l’échantillon et la généralisation des résultats à la population générale (biais de sélection). À noter également que les résultats suggèrent que les associations sont plus fortes chez les femmes. Un autre point intéressant est la corrélation observée entre une consommation élevée de glucides et une consommation énergétique totale plus importante chez les participants. Cela pourrait influencer les résultats, car une augmentation générale des apports énergétiques peut être associée à une prise de poids, indépendamment du fait qu'elle soit causée par les glucides ou par d'autres sources d'énergie (13).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Conseil Supérieur de la Santé a émis des recommandations alimentaires dans un rapport publié en 2019, qui sont cohérentes avec les résultats de l’étude présentée ici (14). Un apport de 125 g de produits céréaliers est conseillé pour les adultes, avec une préférence pour les céréales complètes par rapport aux produits raffinés. De même, il est préconisé de consommer 250 g de fruits frais, correspondant à la catégorie des “sucres naturels” de l’étude. Toutefois, les auteurs du rapport excluent les jus de fruits de cette catégorie en raison de leur faible teneur en fibres et de leur teneur élevée en sucre. À l'exception de la distinction entre légumes amylacés et non amylacés, il n’y a pas de recommandations spécifiques concernant les légumes riches en amidon.
Conclusion de Minerva
Cette étude, méthodologiquement rigoureuse et menée sur une large cohorte de soignants, montre une association statistiquement significative entre la consommation de glucides et une prise de poids durable et maintenue dans le temps à partir de la cinquantaine. Cette prise de poids reste cependant variable selon la source et la quantité de glucides. Toutefois, la généralisation de ces résultats nécessite une exploration plus approfondie, et il serait bénéfique de conduire des études supplémentaires pour valider ces conclusions sur des populations diversifiées.
- Michiels B. Relation entre des régimes alimentaires sains et la mortalité, globale et spécifique à une cause. MinervaF 2023;22(4):67-70.
- Shan Z, Wang F, Li Y, et al. Healthy eating patterns and risk of total and cause-specific mortality. JAMA Intern Med 2023;183:142-53. DOI: 10.1001/jamainternmed.2022.6117
- Mullie P, De Cort P. Un régime pauvre en graisses est-il plus efficace sur la perte de poids à long terme ? MinervaF 2016;15(4):94-7.
- Tobias DK, Chen M, Manson JE, et al. Effect of low-fat diet interventions versus other diet interventions on long-term weight change in adults: a systematic review and meta-analysis. Lancet Diabetes Endocrinol 2015;3:968-79. DOI: 10.1016/S2213-8587(15)00367-8
- Matthys C. Le régime méditerranéen « vert » apporte-t-il un avantage cardiométabolique supplémentaire ? Minerva Analyse 27/07/2021.
- Tsaban G, Yaskolka Meir A, Rinott E, et al. The effect of green Mediterranean diet on cardiometabolic risk; a randomised controlled trial. Heart 2020:heartjnl-2020-317802. DOI: 10.1136/heartjnl-2020-317802
- Mullie P. Les régimes alimentaires à faible indice glycémique sont sans influence sur les facteurs de risque cardiovasculaire. Minerva Analyse 15/05/2018.
- Clar C, Al-Khudairy L, Loveman E, et al. Low glycaemic index diets for the prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD004467.pub3
- Wan Y, Tobias DK, Dennis KK, et al. (2023). Association between changes in carbohydrate intake and long term weight changes: prospective cohort study. BMJ 2023;382:e073939. DOI: 10.1136/bmj-2022-073939
- Willett W, Stampfer MJ, Bain C, et al. Cigarette smoking, relative weight, and menopause. Am J Epidemiol 1983;117:651-8. DOI: 10.1093/oxfordjournals.aje.a113598
- Herman MA, Birnbaum MJ. Molecular aspects of fructose metabolism and metabolic disease. Cell Metab 2021;33:2329-54. DOI: 10.1016/j.cmet.2021.09.010
- Jung S, Bae H, Song WS, Jang C. Dietary fructose and fructose-induced pathologies. Annu Rev Nutr 2022;42:45-66. DOI: 10.1146/annurev-nutr-062220-025831
- Howell S, Kones R. "Calories in, calories out" and macronutrient intake: the hope, hype, and science of calories. Am J Physiol Endocrinol Metab 2017;313:E608-E612. DOI: 10.1152/ajpendo.00156.2017
- Conseil Supérieur de la Santé. Recommandations alimentaires pour la population belge adulte - 2019. CSS, 2019. Avis n° 9284.
Auteurs
Saubry MI.
médecin généraliste, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
R63
T07
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