Revue d'Evidence-Based Medicine
Amoxiclavulanate pour une OMA chez les enfants de 6 à 23 mois ou de 6 à 35 mois ?
Contexte
L’otite moyenne aiguë (OMA) est (aux E.-U. certainement) la motivation la plus fréquente de prescription d’un antibiotique chez un enfant. Une amélioration spontanée de l’OMA dans les 3 jours est observée dans 78% des cas. Environ 16 enfants (de tout âge) doivent être traités par un antibiotique pour supprimer plus rapidement la douleur chez l’un d’entre eux avec des effets indésirables des antibiotiques chez 1 enfant sur 24 (1) ou 9 (IC à 95% de 6 à 20) pour une guérison clinique au J14 avec effets indésirables chez 4 à 10% des enfants (2). Les guides de pratique recommandent d’attendre 48 à 72 heures d’évolution avant une éventuelle prise d’antibiotique, sauf dans certaines situations bien précisées (3). Certains experts estiment que les études précédemment effectuées, études qui ne montraient pas de bénéfice clinique fort pertinent d’une antibiothérapie dans cette affection, présentaient des faiblesses méthodologiques trop importantes pour tirer une conclusion solide (4) quant aux circonstances dans lesquelles la prise immédiate d’un antibiotique devrait être préférée.
Résumé de l'étude 1
Hoberman A, Paradise JL, Rockette HE, et al. Treatment of acute otitis media in children under 2 years of age. N Engl J Med 2011;364:105-15. |
Population étudiée
- 291 enfants ayant été vaccinés (au moins 2 doses) avec le vaccin antipneumococcique conjugué, présentant une otite moyenne confirmée recrutés dans un hôpital pédiatrique et un centre pédiatrique privé en Pennsylvanie (E.-U.)
- critères d’OMA : survenue dans les précédentes 48 heures de symptômes d’un score d’au moins 3 selon les parents sur l’échelle « échelle de Likert à 3 points est utilisée pour 6 des 7 symptômes (otalgie - frottement de l’oreille, irritabilité, pleurs, moindre activité de jeux, diminution de l’appétit, perturbation du sommeil). La fièvre est également évaluée. Le score total varie de 0 à 14, 14 pour les symptômes les plus sévères.">Acute Otitis Media Severity of Symptoms – AOM-SOS» (score de 0 à 14, 14 = symptômes les plus sévères), présence d’une effusion dans l’oreille moyenne, bombement du tympan modéré ou sévère, ou léger avec otalgie ou érythème marqué ; l’examen est réalisé par un otoscopiste expérimenté
- exclusion : autre affection aiguë (p.e. pneumonie), affection chronique (p.e. mucoviscidose), allergie à l’amoxicilline, autre antibiotique reçu dans les 96 heures, otalgie de plus de 48 heures, perforation tympanique
- stratification selon le caractère récurrent ou non des OMA et suivant l’existence ou non d’un contact pendant plus de 10 heures/semaine avec au moins 3 autres enfants.
Protocole d’étude
- étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, en groupes parallèles
- intervention : amoxicilline 90 mg/kg/j et clavulanate 6,45 mg/kg/j administrés en 2 prises par jour (n = 144) versus placebo (n = 147) durant 10 jours
- administration de paracétamol à la demande pour diminuer les symptômes
- en cas d’échec du traitement, administration d’amoxicilline (90 mg/kg/j) + céfixime (8 mg/kg/j)
- symptômes recueillis quotidiennement par téléphone jusqu’à la première visite puis lors des visites (J4 ou 5, J10 à 12, J21 à 25) mais aussi dans un journalier tenu par les parents
- suivi sur 21 à 25 jours.
Mesure des résultats
- critères primaires :
- délai de disparition des symptômes (mesure soit basée sur l’obtention d’un score AOM-SOS de 0 ou de 1, soit sur le délai pour avoir 2 scores AOM-SOS successifs de 0 ou 1) et
- poids des symptômes (score AOM-SOS moyen sur 7 jours de suivi) (= critère secondaire dans le protocole initial)
- critères secondaires : efficacité clinique générale, recours au paracétamol, effets indésirables, colonisation nasopharyngée, recours à des soins de santé
- échec thérapeutique à 4-5 jours ou avant : absence d’amélioration notable des symptômes, ou aggravation des signes otoscopiques, ou les 2
- échec thérapeutique au J10 à 12 : pas de disparition complète ou quasi complète des symptômes et signes otoscopiques, sans prise en compte d’une persistance ou disparition d’une effusion dans l’oreille moyenne
- intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.
Résultats
- 96% des enfants terminent l’étude et 85% des enfants ont reçu au moins 80% des doses
- critères primaires
- délai de disparition initiale des symptômes sur 1 mesure, amoxiclavulanate versus placebo : au J2, 35% vs 28%, au J4 61% vs 54%, au J7 80% vs 74%, différence non significative au total
- délai de disparition initiale des symptômes sur 2 mesures successives au J2 20% vs 14%, au J4 41% vs 36%, au J7 67% vs 53%, p=0,04 pour la différence au total
- score AOM-SOS moyen : sur les 7 premiers jours, inférieur sous amoxiclavulanate à chaque mesure (p=0,02) : au J10 ou J12 : différence de 0,87 avec IC à 95% de 0,29 à 1,45, p=0,003 ;pondération statistique peut être attribuée aux résultats des études incluses. En attribuant ce facteur de pondération, il est possible d’attribuer dans l’analyse plus de poids aux études réalisées auprès de populations numériquement plus importantes ou de meilleure qualité méthodologique. La Différence Moyenne Pondérée est le résultat d’une méta-analyse incluant des études dont les résultats sont exprimés en variables continues (rapportées avec moyenne et écart type) pondérées et mises en commun."> différence moyenne pondérée de 0,63 (IC à 95% de 0,15 à 1,10 ; p=0,01) ; si stratification selon la sévérité initiale : score AOM-SOS ≤ 8, différence non significative ; score initial > 8, différence significative (p=0,02)
- critères secondaires avec résultats significatifs : échecs thérapeutiques : significativement moins fréquents sous amoxiclavulanate au J4-5 max (4% vs 23%, p<0,001) et au J10-12 max (16% vs 51%, p<0,001).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que chez des enfants âgés de 6 à 23 mois et présentant une otite moyenne aiguë, un traitement de 10 jours par amoxiclavulanate tend à réduire le délai de disparition des symptômes et réduit le poids symptomatique global ainsi que la fréquence de signes persistants d’infection aiguë à l’examen otoscopique.
Financement
National Institute of Allergy and Infectious Diseases
Conflits d’intérêt
Deux auteurs déclarent avoir reçu des financements de la firme GSK (et Merck pour 1 des 2).
Résumé de l'étude 2
Tähtinen PA, Laine MK, Huovinen P, et al. A placebo-controlled trial of antimicrobial treatment for acute otitis media. N Engl J Med 2011;364:116-26. |
Population étudiée
- 319 enfants âgés de 6 à 35 mois (moyenne de 16) présentant une OMA sur la présence de 3 critères
- critères d’OMA :
- examen otoscopique pneumatique montrant au moins 2 signes parmi : tympan bombant, de mobilité diminuée ou absente, de couleur anormale ou opaque (non cicatriciel), niveau hydro-aérique
- au moins un signe d’inflammation aiguë (tympan bombant ou jaunâtre présentant un érythème soit en plaques soit en stries, soit une vascularisation marquée en totalité)
- avec des symptômes aigus (fièvre, otalgie ou symptômes respiratoires)
- critères d’exclusion (mentionnés sur le site web) : e.a. antibiothérapie en cours ou nécessaire, perforation tympanique ou drain transtympanique, traitement par corticostéroïde systémique ou nasal, par antihistaminique, par oseltamivir, infection par virus EBV dans les 7 jours précédents, Syndrome de Down ou autre facteur favorisant d’OMA, vomissements importants, observance parentale douteuse.
Protocole d’étude
- étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, en groupes parallèles
- intervention : amoxicilline 40 mg/kg/j et clavulanate 5,7 mg/kg/j administrés en 2 prises par jour (n = 162) versus placebo (n = 160) durant 7 jours
- prélèvement nasopharyngé initial
- médicaments autorisés : analgésiques et antipyrétiques, gouttes otiques analgésiques et nasales décongestionnantes
- visites de contrôle au J2 et au J8 : contrôle du journalier et de l’observance et examen (si possible par le même médecin)
- suivi sur 8 jours.
Mesure des résultats
- critère primaire : délai d’échec thérapeutique
- échec thérapeutique reposant sur un des critères (indépendants) suivants (les 2 premiers sur avis des parents) : pas d’amélioration générale au jour 3 (sauf si les parents estiment que la situation générale de leur enfant s’est améliorée), aggravation de l’état de l’enfant à un moment quelconque, pas d’amélioration des signes otoscopiques au J8, perforation du tympan, infection sévère (e.a. mastoïdite, pneumonie), nécessité d’une antibiothérapie systémique, motif d’arrêt d’étude (effet indésirable, non observance du traitement évalué)
- critères secondaires (évalués par le médecin) : délai d’initiation nécessaire d’un autre traitement, survenue d’une otite moyenne controlatérale
- symptômes, médicaments donnés, absentéisme de la crèche ou des parents, effets indésirables notés dans un journalier par les parents
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- critère primaire : échec de traitement au J8 de 18,6% sous amoxiclavulanate et de 44,9% sous placebo, p<0,001, différence déjà observée au J3 ; réduction du risque d’échec thérapeutique de 62% : HR 0,38 (IC à 95% de 0,25 à 0,59, p<0,001)
- critères secondaires : diminution significative d’un autre traitement nécessaire (p<0,001) et d’otite controlatérale (p=0,007) sous amoxiclavulanate ; pas de différence pour le recours à des analgésiques et antipyrétiques
- effets indésirables : 52,8% sous amoxiclavulanate, 36,1% sous placebo : différence de 16,7% (IC à 95% de 5,8 à 27,6, p=0,003) ; pas de cas de mastoïdite ; dans le groupe placebo, 1 cas de bactériémie pneumococcique et 1 cas de pneumonie ; significativement plus de diarrhée (21,2% en plus, IC à 95% de 10,6 à 31,9) ; exanthème et dermatite des langes plus fréquents sous amoxiclavulanate.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que chez des enfants présentant une otite moyenne aiguë, un traitement antibiotique est bénéfique versus placebo, mais avec plus d’effets indésirables. Des études ultérieures devront identifier les patients pouvant tirer le plus grand bénéfice de ce traitement afin de minimiser les antibiothérapies inutiles et le développement d’une résistance bactérienne.
Financement
European Society for Paediatric Infectious Diseases et plusieurs fondations privées ou publiques.
Conflits d’intérêt (sur le site web)
Plusieurs auteurs déclarent avoir reçu des financements de différentes fondations ou universités ; un auteur déclare avoir reçu des rémunérations pour consultance pour 2 firmes non concernées par la présente recherche.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Pour l’étude d’Hoberman et coll.
Cette publication présente une description d’une méthodologie initiale correcte qui se veut plus rigoureuse que celle des précédentes études portant à critique (4). Sur le site du New England Journal, un internaute signale des discordances entre le protocole original de cette étude d’Hoberman et coll. (publié sur Clinicaltrials.gov), et la publication. Une discordance importante se situe au niveau des critères de jugement : le poids de la maladie est un critère secondaire dans le protocole initial et est devenu un critère primaire dans la publication. Il faut y ajouter que pour les 2 mesures du critère primaire, la première (la plus classique dans les études, celle d’une évaluation ponctuelle et non sur 2 jours successifs) ne montre pas de différence significative mais la seconde bien. Nous avons, par ailleurs, relevé 73 modifications signalées sur Clinicaltrials.gov pour le protocole initial. La puissance d’étude est basée sur le critère primaire original, aucune adaptation n’est signalée suite à la modification des critères.
Le choix d’un seuil d’au moins 3 points sur le score AOM-SOS pour inclure les enfants n’est pas justifié par les auteurs ni la pertinence clinique de redescendre à un score de 1 (ou 0).
Le diagnostic d’OMA est effectué par un otoscopiste expérimenté, ce qui rend l’extrapolabilité des résultats de cette étude difficile, d’autant plus quand les difficultés d’un examen otoscopique chez les (très) jeunes enfants sont prises en considération. Soulignons, au passage, l’absence de modification dans les critères otoscopiques de référence pour l’OMA : une méta-analyse récente (2) reprend une analyse de sensibilité/spécificité effectuée en 1989 (et reprise dans la RBP belge (3)).
Les auteurs avaient tablé sur une puissance de 80% pour détecter une fréquence moindre de 66% de disparition des symptômes sous placebo. Les résultats donnés ne montrent pas une telle différence.
Pour l’étude de Tähtinen et coll.
La méthodologie de cette RCT est en général correcte et bien décrite. Le mode de sélection de la population est cependant particulier : sur suggestion d’une infirmière ou d’un médecin, ce sont souvent les parents eux-mêmes qui prennent contact par téléphone avec le centre (hospitalier) de soins primaires pour connaître les conditions d’étude dans laquelle tous les frais sont pris en charge. Ce mode d’inclusion présente un risque de biais de sélection.
La puissance était estimée à 90% pour une réduction de 15% pour le critère primaire, avec une hypothèse de 25% d’échec thérapeutique sous placebo (qui a été en fait plus importante).
La population reprise dans cette étude effectuée en Finlande présente des caractéristiques différentes de celle reprise dans l’étude étatsunienne : 1,9 à 2,5% d’enfants vaccinés contre le pneumocoque dans cette étude-ci, contre 100% dans l’autre étude. Cette différence entraîne très probablement une différence aussi dans les souches de pneumocoques (environ 60% des enfants avec un pneumocoque nasopharyngé) entraînant l’infection, sans aucune résistance initiale à l’amoxiclavulanate.
Interprétation des résultats
Pour l’étude d’Hoberman et coll.
Les enfants inclus dans cette RCT effectuée aux E.-U. sont tous vaccinés contre le pneumocoque. Les souches pathogènes responsables de l’OMA peuvent donc être différentes des souches observées dans une population (majoritairement) non vaccinée, avec une virulence peut-être également différente. L’évolution de la vaccination antipneumococcique des nouveaux-nés en Belgique rapproche probablement les petits enfants belges du contexte de cette étude étatsunienne. Une méta-analyse récente (2) montre que dans les quelques études qui ont évalué l’évolution des germes rencontrés dans l’OMA pré- et post-vaccination antipneumococcique, la fréquence des pneumocoques diminue et celle de l’Haemophilus influenzae progresse.
La dose d’amoxicilline utilisée dans cette étude étatsunienne est forte (90 mg/kg/j) avec risque très probablement plus élevé d’effets indésirables.
Les différences pour les scores de symptômes sont modestes, comme le reconnaissent les auteurs ; la pertinence clinique de cette différence est donc mise en question. En outre, aucun échec thérapeutique ne repose uniquement sur les symptômes, ce qui est la base d’un échec thérapeutique en pratique de première ligne de soins où un contrôle otoscopique n’est pas systématiquement réalisé. Une stratification initiale selon la sévérité des symptômes montre qu’une différence est surtout observée chez les enfants présentant les symptômes initialement les plus sévères, ce qui ramène à la question persistante de la sélection des enfants pouvant le plus bénéficier d’un traitement antibiotique en cas d’OMA (voir discussion de l’étude de Tähtinen ci-dessous).
La recherche d’une colonisation du pharynx par un pneumocoque résistant post traitement ne montre pas de différence entre les deux groupes (manque de puissance de l’étude pour ce critère) ; la question reste donc ouverte.
Pour l’étude de Tähtinen et coll.
Le NST est, selon les auteurs, de 3,8 (IC à 95% de 2,7 à 6,2) pour le critère de jugement primaire mais ce critère inclut de multiples motifs d’échec dont des critères uniquement otoscopiques au J8, ce qui ne correspond ni à la réalité du terrain ni ne repose sur une base scientifique validée (moins bon avenir proche ou lointain pour ces enfants). L’analyse des résultats pour les différents critères montre une absence de différence significative pour la situation générale au J3 mais par contre une différence significative pour la situation générale de l’enfant sur l’ensemble de l’observation (limitée à 8 jours), critère qui est responsable de la majorité des échecs thérapeutiques attribués (27/30 et 48/71 échecs).
L’absence de différence pour le recours à des analgésiques et antipyrétiques semble contradictoire par rapport à la différence au niveau de la situation générale de l’enfant : des plaintes plus importantes (fièvre, pleurs) ne devraient-elles pas entraîner une administration plus importante d’antipyrétiques/analgésiques ?
L’administration d’amoxiclavulanate permet de diminuer plus rapidement la fièvre (dès 6 heures après la première dose), d’améliorer plus vite l’appétit et le niveau d’activités, de diminuer l’irritabilité (dès le deuxième jour). Les auteurs reconnaissent que ces observations n’étaient pas prévues. Elles demandent donc confirmation, la puissance d’étude étant insuffisante pour les différents éléments du critère primaire. Il n’y a par contre pas d’effet sur l’otalgie. Un pneumocoque d’abord de résistance intermédiaire puis de résistance totale à la pénicilline est observé au frottis nasopharyngé d’un enfant dans le groupe amoxiclavulanate, mais ici aussi, aucune conclusion solide n’est possible.
La dose d’amoxicilline de 40 mg/kg/j est adaptée dans le contexte d’étude mais ne peut être recommandée dans des régions où il faut également couvrir les pneumocoques de résistance intermédiaire à la pénicilline.
Mise en perspective des résultats
Rappelons qu’une précédente RCT (5), incluant uniquement des enfants âgés de 6 à 24 mois, montrait un bénéfice de l’amoxicilline en termes d’amélioration symptomatique (otalgie, fièvre ≥ 38°, pleurs, irritabilité) avec un NST de 7-8 au J4. Dans cette étude, 1 cas de méningite est survenu sous amoxicilline, sans cas de mastoïdite observé. Dans cette étude d’Hoberman, c’est dans le groupe placebo qu’un cas de mastoïdite est survenu. Dans l’étude de Tähtinen, survenue dans le groupe placebo d’un cas de bactériémie pneumococcique et d’un cas de pneumonie. La rareté de toutes ces complications ne permet toujours pas de conclusion solide quant à l’intérêt d’une antibiothérapie pour leur prévention. Rappelons aussi au praticien que la prescription d’amoxiclavulanate ne dispense pas d’une surveillance attentive ultérieure : les complications d’une OMA surviennent également sous antibiothérapie (amoxiclavulanate y compris) et pourraient même être moins symptomatiques sous antibiotique, retardant ainsi la prise en charge adéquate (6).
Versus autres études évaluant une antibiothérapie pour le traitement d’une OMA, le bénéfice plus important observé dans cette étude d’Hoberman est lié à un taux d’échec thérapeutique plus important dans le groupe placebo, en fonction des critères choisis pour définir cet échec thérapeutique. Ce sont des critères otoscopiques qui font la différence versus critères symptomatiques puisque selon les auteurs aucun échec thérapeutique ne repose uniquement sur les symptômes. Une différence reposant uniquement sur des critères otoscopiques pose question : l’avenir des enfants devenus asymptomatiques mais ayant encore des signes otoscopiques suggérant la persistance d’une infection n’est pas connu ; sont-ils plus à risque d’une maladie ultérieure ? Rien ne le prouve.
Le choix de l’antibiotique, l’amoxiclavulanate, n’est guère motivé par les auteurs. Comme détaillé dans la RBP belge (3) et dans le guide de la BAPCOC (7), le germe à viser a priori est le pneumocoque parce que potentiellement le plus dangereux. L’amoxiclavulanate n’apporte aucun avantage par rapport à l’amoxicilline pour éradiquer un pneumocoque devenu résistant (résistance intrinsèque à la pénicilline). Un bénéfice théorique est possible en cas d’Hémophilus influenzae producteur de bêta-lactamases, mais l’H. influenzae est loin d’être le germe le plus fréquent (sa fréquence relative augmente cependant chez les enfants vaccinés contre le pneumocoque (cfr étude d’Hoberman) et sa résistance à l’amoxicilline est probablement peu fréquente en dehors d’antibiothérapies répétées et/ou prolongées (BPCO par exemple). Dans l’étude d’Hoberman, notons aussi que l’amoxiclavulanate ne modifie pas le portage nasopharyngé d’H Influenzae producteur de bêta-lactamases (12% au départ, 12% après 21-25 jours). La différence de NST, calculée par nos soins, entre cette étude d’Hoberman pour l’amélioration symptomatique au J4 et celui donné par Damoiseaux avec l’amoxicilline dans une population de même âge, avec toutes les précautions à rappeler pour des comparaisons indirectes, n’incite guère à préférer l’amoxiclavulanate : NST de 14 sous amoxiclavulanate, NST de 7-8 sous amoxicilline, les deux versus placebo.
Les résultats de l’étude de Tähtinen sont nettement plus en faveur d’une antibiothérapie que ceux des précédentes études et leurs synthèses pour l’ensemble des enfants (1,2). Comme le mentionnent les auteurs, l’ampleur plus importante de la différence est liée à des critères d’inclusion (diagnostic) plus stricts, à l’absence d’exclusion d’enfants avec des symptômes ou des signes otoscopiques plus sévères. Cette différence est liée aussi au taux d’échecs thérapeutiques beaucoup plus élevé dans le groupe placebo dans cette étude-ci, très probablement en lien avec les caractéristiques d’inclusion rappelées ci-dessus. Si la différence est plus importante, pour les critères de cette étude, la situation générale des enfants dans le groupe placebo est non améliorée ou aggravée dans 29,7% des cas au jour 8. La question demeure : comment distinguer les enfants pouvant le plus bénéficier d’un antibiotique (efficacité versus effets indésirables dont la résistance microbienne à un niveau individuel et/ou collectif) ? Rovers (8) avait déjà interrogé la littérature pour cette question dans une méta-analyse sur données individuelles. Cette méta-analyse montrait qu’un traitement antibiotique en cas d’otite moyenne aiguë (OMA) apporte plus de bénéfice en termes de soulagement de la douleur et de chute de la fièvre chez des enfants soit âgés de moins de deux ans et qui présentent une OMA bilatérale soit chez ceux présentant une otorrhée (9). Il faut traiter moins d’enfants présentant ces caractéristiques pour en soulager un (NST 3 à 4).
Conclusion de Minerva
L’étude d’Hoberman effectuée aux E.-U. chez des enfants âgés de 6 à 23 mois, montre un bénéfice significatif versus placebo d’un traitement par amoxiclavulanate d’une otite moyenne aiguë diagnostiquée par des otoscopistes expérimentés en termes d’évolution de l’image otoscopique mais non en termes d’évolution des symptômes.
L’étude de Tähtinen effectuée en Finlande chez des enfants âgés de 6 à 35 mois, montre un bénéfice significatif versus placebo d’un traitement par amoxiclavulanate d’une otite moyenne aiguë, diagnostiquée sur des critères rigoureux, en termes de moins d’échecs thérapeutiques sur des critères symptomatiques et otoscopiques.
Pour la pratique
La RBP belge (3) et le guide de la BAPCOC (7) mentionnent qu’une antibiothérapie n’est en général pas immédiatement indiquée en cas d’OMA sauf dans certains cas
- dont les enfants de moins de 6 mois (pcq moindres défenses immunitaires, germes agressifs plus fréquents)
- et pour les enfants âgés de 6 mois à 2 ans si l’état général est fort altéré.
Pour ces enfants âgés de 6 mois à 2 ans, une antibiothérapie est indiquée en cas d’évolution non favorable après 48 heures si le diagnostic est confirmé.
Pour les enfants âgés de plus de 2 ans une antibiothérapie est indiquée en cas d’état général fort altéré, d’absence d’amélioration après 72 heures, ou en cas de récidive dans les 12 mois.
L’antibiotique de premier choix proposé est l’amoxicilline à la dose de 75-100 mg/kg/j en 3 à 4 prises pendant 5 à 7 jours.
Les 2 RCTs analysées ci-dessus, effectuées avec de l’amoxiclavulanate (90 mg ou 40 mg d’amoxicilline/kg/j en 2x, administré pendant 10 ou 7 jours), ne remettent pas ces recommandations en cause.
Références
- Sanders S, Glasziou PP, Del Mar CB, Rovers MM. Antibiotics for acute otitis media in children. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1. Review content assessed as up-to-date: 8 November 2008.
- Coker TR, Chan LS, Newberry SJ, et al. Diagnosis, microbial epidemiology, and antibiotic treatment of acute otitis media in children. A systematic review. JAMA 2010;304:2161-9.
- Chevalier P, Janssens S, Van Lierde S. L’otite moyenne aiguë : recommandations pour le bon usage des antibiotiques. BAPCOC, WVVH, SSMG 2001
- Pichichero ME, Casey JR. Diagnostic inaccuracy and subject exclusions render placebo and observational studies of acute otitis media inconclusive. Pediatr Infect Dis J 2008;27:958-62.
- Damoiseaux RA, Van Balen FA, Hoes AW, et al. Primary care based randomised, double blind trial of amoxicillin versus placebo for acute otitis media in children aged under 2 years. BMJ 2000;320:50-4.
- Dhooge IJ, Albers FW, Van Cauwenberge PB. Intratemporal and intracranial complications of acute suppurative otitis media in children: renewed interest. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 1999;49(sup1):109-14.
- Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire. Edition 2008. BAPCOC.
- Rovers MM, Glasziou P, Appelman CL, et al. Antibiotics for acute otitis media: a meta-analysis with individual patient data. Lancet 2006;368:1429-35.
- Chevalier P. Antibiotiques pour traiter une OMA : plus efficace pour certains enfants ? Minerva F 2007;6(3):47-8.
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