Revue d'Evidence-Based Medicine



La racine de gingembre comme adjuvant contre les nausées et les vomissements provoqués par une chimiothérapie ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 10 Page 240 - 243

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Crichton M, Marshall S, Isenring E, et al. Effect of a standardized ginger root powder regimen on chemotherapy-induced nausea and vomiting: a multicenter, double-blind, placebo-controlled randomized trial. J Acad Nutr Diet 2024;124:313-330.e6. DOI: 10.1016/j.jand.2023.09.003


Question clinique
Quel est l’effet de l’ajout d’une préparation standardisée de racine de gingembre sur la qualité de vie liée aux nausées et aux vomissements chez les patients sous chimiothérapie par comparaison avec un placebo ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que, par comparaison avec un placebo, une préparation standardisée de poudre de racine de gingembre en complément des antiémétiques utilisés chez les patients sous chimiothérapie améliore, de manière statistiquement significative, la qualité de vie liée aux nausées (et vomissements) provoqués par la chimiothérapie. Ces résultats cadrent avec ceux qui concernent l’incidence des nausées et des vomissements. Des recherches plus approfondies sur la pertinence clinique de l’effet du gingembre à différentes doses et schémas d’administration sont nécessaires.


Contexte

Minerva a déjà traité de l’efficacité thérapeutique de la racine de gingembre. Une synthèse méthodique avec méta-analyse a montré que le gingembre par rapport au placebo est efficace pour lutter contre la douleur chez les patients souffrant de migraine. Cependant, la pertinence clinique de cette différence n’était pas claire, les préparations à base de gingembre n’étaient pas suffisamment définies et ces études ne faisaient pas état de l’effet sur les nausées et vomissements (1,2). Nous savons toutefois, grâce à des recherches expérimentales, que le gingembre présente des propriétés antiémétiques par le biais de différentes voies biochimiques (3). D’où l’intérêt du gingembre comme traitement complémentaire des nausées et vomissements chez les personnes sous chimiothérapie. Ainsi, une méta-analyse de 18 études a montré que des préparations à base de gingembre utilisées immédiatement avant ou après le début de la chimiothérapie réduisaient le risque de vomissements aigus de 60% par rapport au placebo. Mais les nausées et les vomissements ne semblaient pas diminuer après la chimiothérapie (4). La méta-analyse a toutefois également souligné un certain nombre de faiblesses méthodologiques des études incluses : le manque de clarté de la description des préparations à base de gingembre et le manque de clarté concernant la dose utilisée et la posologie. Une récente étude contrôlée randomisée a tenu compte de ces lacunes (5).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • des patients adultes ont été recrutés dans les services d’oncologie de deux hôpitaux métropolitains du Queensland (Australie) ; leurs fonctions physiques et cognitives étaient normales, et ils allaient recevoir pour la première fois une chimiothérapie modérément à fortement émétisante 
  • critères d’exclusion : traitement concomitant par radiothérapie, grossesse, allaitement, intention de commencer soi-même un traitement contre les nausées comme des préparations à base de gingembre, antécédents d’effets indésirables du gingembre, problèmes de déglutition, nausées et vomissements dus à d’autres causes, > 14 consommations d’alcool par semaine, thrombopénie, calculs biliaires ou maladie du foie (y compris le cancer du foie), utilisation de warfarine, d’anticoagulants, de médicaments hypoglycémiants, d’insuline, de cyclosporine, de tacrolimus, d’AINS 
  • finalement, inclusion de 103 patients ayant en moyenne 59 ans (écart-type 8 ans) ; 68% étant de sexe féminin, présentant un cancer du sein (43%) ; un cancer du poumon (18%), un lymphome (17%), un cancer digestif (5%), urogénital (5%), gynécologique (5%) ou autre (7%), qui était métastatique dans 26% des cas et pour lequel des antiémétiques avaient déjà été prescrits avant la chimiothérapie envisagée (diverses associations d’antagonistes 5HT3, stéroïdes, antagonistes des récepteurs dopaminergiques D2, antagonistes du récepteur de la NK1).

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en double aveugle, contrôlée, à deux groupes parallèles :

  • le groupe actif (n = 52) a pris, quatre fois par jour, une gélule contenant une préparation standardisée de gingembre (300 mg de poudre de racine de gingembre dont 21 mg de substances bioactives (5% de gingérols et 2% de shogaols))
  • le groupe témoin (n = 51) a pris, quatre fois par jour, une gélule contenant un placebo (150 à 200 mg de cellulose microcristalline)
  • les patients ont commencé à prendre des gélules le premier jour de la chimiothérapie, puis ils ont continué à en prendre pendant 4 jours supplémentaires ; ce schéma a été répété lors de 3 cycles de chimiothérapie
  • les participants étaient autorisés à poursuivre leur régime alimentaire normal, et il n’y avait aucune restriction concernant la prise des antiémétiques prescrits.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : différence entre les deux groupes quant à la variation de la qualité de vie liée aux nausées provoquées par la chimiothérapie, mesurée à l’aide du Functional Living Index Emesis 5-Day Recall (FLIE-5DR) avant le début de la chimiothérapie et quatre jours après le début de la chimiothérapie
  • critères de jugement secondaires : qualité de vie liée aux vomissements provoqués par la chimiothérapie et qualité de vie liée aux nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie (mesurée à l’aide du FLIE-5DR), qualité de vie liée à la santé, incidence et gravité des nausées, incidence et nombre d’épisodes de vomissements, fatigue, statut nutritionnel, dépression et anxiété, effets indésirables
  • analyse en intention de traiter 
  • pour les différences entre les groupes au cours de l’ensemble des trois cycles, on a utilisé une analyse de la variance à mesures répétées (Mixed Analysis of Variance with Repeated Measures, RMANOVA) ; la taille de l’effet était exprimée en η² partiel.

 

Résultats 

  • 70 des 103 patients ont suivi les trois cycles prévus (33 dans le groupe placebo et 37 dans le groupe gingembre)
  • résultats pour le critère de jugement primaire : quatre jours après la chimiothérapie, la qualité de vie liée aux nausées provoquées par la chimiothérapie a moins diminué dans le groupe gingembre que dans le groupe témoin (η² partiel = 0,09 ; p = 0,003)
  • résultats pour les critères de jugement secondaires : 
    • quatre jours après la chimiothérapie, la qualité de vie liée aux vomissements provoqués par la chimiothérapie a moins diminué dans le groupe gingembre que dans le groupe témoin (η² partiel = 0,09 ; p = 0,002), et il en est de même pour la qualité de vie liée aux nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie (η² partiel = 0,11 ; p < 0,001)
    • aucune différence entre les deux groupes quant à l’incidence et la gravité des nausées 12 à 24 heures après la chimiothérapie ; quatre jours après la chimiothérapie, l’incidence des nausées était plus faible dans le groupe gingembre que dans le groupe placebo au cours du cycle 3 (49% contre 79% ; p = 0,002), et la gravité des nausées était également moindre pendant les cycles (η² partiel = 0,09 ; p = 0,003) 
    • quatre jours après la chimiothérapie, l’incidence des vomissements était plus faible dans le groupe gingembre que dans le groupe placebo au cours du cycle 2 (4% contre 27% ; p = 0,001) et du cycle 3 (2% contre 23% ; p = 0,001), et il y avait également moins d’épisodes de vomissements pendant les cycles (η² partiel = 0,08 ; p = 0,003)
    • cinq à huit jours après la chimiothérapie, la fatigue était moins importante dans le groupe gingembre que dans le groupe placebo (η² partiel = 0,09 ; p = 0,002). Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes en termes de dépression et d’anxiété 12 heures à 24 heures après la chimiothérapie, ni en termes de qualité de vie liée à la santé quatre jours après la chimiothérapie
    • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant au statut nutritionnel
    • aucun événement indésirable grave lié au gingembre ou au placebo ; de légers effets indésirables gastro-intestinaux ont été signalés en plus grand nombre dans le groupe gingembre que dans le groupe placebo (13 contre 7), avec notamment des reflux (18% contre 2%), qui, dans un cas, ont conduit à l’arrêt de l’étude.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le gingembre est un traitement complémentaire aux antiémétiques qui est sans danger pour lutter contre les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie et pour améliorer la qualité de vie pendant le traitement de chimiothérapie. Des recherches futures sur la posologie optimale sont nécessaires.

 

Financement de l’étude

Subvention pour projet de recherche du Cancer Council Queensland. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs

L’étude faisait partie du travail de doctorat d’un des auteurs, et ce doctorat était soutenu financièrement par un Commonwealth Government of Australia Scholarship.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Pour cette étude, les auteurs ont utilisé une méthodologie robuste, et ils ont strictement respecté les Consolidated Standards of Reporting Trials Statement (6) et le Template for Intervention Description and Replication Checklist (7) pour le rapport.
Les chercheurs ont inclus des patients selon des critères d’inclusion et d’exclusion bien définis. La taille de l’échantillon a été calculée sur la base des résultats d’une étude pilote (8) en tenant compte d’un taux d’abandons de l’étude de 30%. Cependant, le nombre cible de 300 participants n’a pas été atteint, probablement parce que les programmes de chimiothérapie de l’étude pilote ont été modifiés au fil du temps. Les auteurs ont effectué un calcul de puissance post hoc et ont conclu qu’il existait une puissance de 94% pour rejeter l’hypothèse nulle pour le critère de jugement principal. La randomisation a été stratifiée selon que la chimiothérapie était modérément (60%) ou fortement (40%) émétique, ainsi qu’en fonction du sexe, de l’âge (moins de 55 ans et 55 ans ou plus) et de l’hôpital, ce qui est important pour ce petit échantillon.
De plus, la randomisation et l’attribution ont été correctement effectuées en aveugle. Les chercheurs ont utilisé une préparation de gingembre hautement standardisée. La quantité de dix shogaols et gingérols différents présents dans la poudre comme principes actifs était déterminée. La stabilité de la préparation a également été régulièrement vérifiée au cours de l’étude. En outre, les comprimés actifs et les comprimés de placebo ont été conditionnés en gélules de manière à se ressembler parfaitement. Cependant, les patients qui ont identifié le gingembre était plus nombreux que ceux qui ont identifié le placebo (34% contre 11% ; p = 0,013) ; ils en détectaient l’odeur et le goût généralement lors d’éructations. Cela a pu conduire à un biais de détection dans l’évaluation des nausées, à la fois dans un sens positif (parce qu’on a connaissance d’un produit actif) et dans un sens négatif (parce qu’on n’aime pas le goût du gingembre). La préparation était bien définie, de même que la posologie (1,2 g de poudre de racine), la durée de prise (5 jours, à compter du premier jour de chimiothérapie) et le nombre de cycles consécutifs. Il s’agit d’un atout important par rapport aux études menées précédemment avec le gingembre (1,2,4). 
Des échelles d’auto-évaluation validées ont été utilisées pour mesurer les résultats, et des moments de mesure spécifiques ont été déterminés pour chaque échelle. L’analyse a été effectuée en intention de traiter avec imputation des données manquantes. En raison du grand nombre de comparaisons, la valeur p pour la signification statistique a été ajustée au moyen de la correction de Bonferroni jusqu’à p ≤ 0,003. Une analyse de variance a été utilisée, à juste titre, pour déterminer la différence entre les groupes au cours des différents cycles. 

 

Évaluation des résultats

Les résultats de cette étude montrent une amélioration modérée, statistiquement significative, de la qualité de vie liée aux nausées et vomissements quatre jours après le début de la chimiothérapie. Cependant, la différence moyenne sur l’échelle FLIE-5DR entre les deux groupes n’était statistiquement significative qu’aux deuxième et troisième cycles, ce qui affaiblit la robustesse de l’effet global. Selon les auteurs, les résultats sont cliniquement pertinents en ce qui concerne la qualité de vie liée aux nausées et la qualité de vie liée aux nausées et vomissements. Comment les auteurs sont-ils arrivés à cette conclusion ? Dans chaque cycle, nous constatons que le score moyen de qualité de vie liée aux nausées après quatre jours était d’environ 54 dans le groupe gingembre tandis que, dans le groupe placebo, elle diminuait à environ 45. Il en va de même pour la qualité de vie liée aux nausées et vomissements (score moyen ≥ 108 dans le groupe gingembre et < 108 dans le groupe placebo), mais pas pour la qualité de vie liée aux vomissements seuls (score moyen ≥ 54 pour chaque cycle, tant dans le groupe gingembre que dans le groupe placebo). Parce qu’un score ≥ 54 (ou ≥ 108) indique « aucune influence sur la qualité de vie », les auteurs parlent d’un effet cliniquement pertinent du gingembre sur la qualité de vie liée aux nausées ou sur la qualité de vie liée aux nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie. 
En plus de l’influence sur la qualité de vie, les auteurs ont également examiné l’incidence et la gravité des nausées. Pour les deux paramètres, une diminution statistiquement significative a été observée dans le groupe gingembre (respectivement au cycle 2 et au cycle 3). Les cycles 2 et 3 ont également vu une diminution statistiquement significative de l’incidence et du nombre d’épisodes de vomissements dans le groupe gingembre. Sur la base de leur jugement professionnel, les chercheurs considèrent que les résultats sont cliniquement pertinents en ce qui concerne l’incidence des nausées et des vomissements, mais pas en ce qui concerne les épisodes de vomissements, en raison du petit nombre de cas. Néanmoins, nous remettons en question les conclusions des auteurs parce qu’aucune différence minimale cliniquement importante n’avait été préalablement définie. Nous pouvons conclure que les résultats des nausées et vomissements sont cohérents avec les résultats de l’échelle FLIE-5DR. 
Enfin, on peut mentionner que l’observance du traitement était élevée : 73% des patients du groupe gingembre et 85% du groupe placebo prenaient 3 ou 4 gélules par jour. Cela peut être lié au faible nombre d’effets indésirables. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Un guide de pratique clinique de JBI publié sur la plateforme Ebpracticenet indique que le gingembre peut être considéré comme un traitement complémentaire à l’utilisation standard d’antiémétiques pour limiter les vomissements aigus provoqués par une chimiothérapie (GRADE B) (9). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que, par comparaison avec un placebo, une préparation standardisée de poudre de racine de gingembre en complément des antiémétiques utilisés chez les patients sous chimiothérapie améliore, de manière statistiquement significative, la qualité de vie liée aux nausées (et vomissements) provoqués par la chimiothérapie. Ces résultats cadrent avec ceux qui concernent l’incidence des nausées et des vomissements. Des recherches plus approfondies sur la pertinence clinique de l’effet du gingembre à différentes doses et schémas d’administration pour cette indication sont nécessaires.
 

 

Références 

  1. Laekeman G, Poelman T. La racine de gingembre est-elle efficace contre la migraine? Minerva Analyse 18/03/2022.
  2. Chen L, Cai Z. The efficacy of ginger for the treatment of migraine: a meta-analysis of randomized controlled studies. Am J Emerg Med 2021;46:567-71. DOI: 10.1016/j.ajem.2020.11.030
  3. Zhang M, Zhao R, Wang D, et. Ginger (Zingiber officinale Rosc.) and its bioactive components are potential resources for health beneficial agents. Phytother Res 2021;35:711-42. DOI: 10.1002/ptr.6858
  4. Crichton M, Marshall S, Marx W, et al. Efficacy of ginger (Zingiber officinale) in ameliorating chemotherapy-induced nausea and vomiting and chemotherapy-related outcomes: a systematic review update and meta-analysis. J Acad Nutr Diet 2019;119:2055-68. DOI: 10.1016/j.jand.2019.06.009
  5. Crichton M, Marshall S, Isenring E, et al. Effect of a standardized ginger root powder regimen on chemotherapy-induced nausea and vomiting: a multicenter, double-blind, placebo-controlled randomized trial. J Acad Nutr Diet 2024;124:313-330.e6. DOI: 10.1016/j.jand.2023.09.003
  6. Moher D, Hopewell S, Schulz KF, et al. CONSORT 2010 explanation and elaboration: updated guidelines for reporting parallel group randomised trials. J Clin Epidemiol 2010;63:e1-e37. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2010.03.004
  7. Hoffmann TC, Glasziou PP, Boutron I, et al. Better reporting of interventions: template for intervention description and replication (TIDieR) checklist and guide. BMJ 2014;348:g1687. DOI: 10.1136/bmj.g1687
  8. Marx W, McCarthy AL, Ried K, et al. The effect of a standardized ginger extract on chemotherapy-induced nausea-related quality of life in patients undergoing moderately or highly emetogenic chemotherapy: a double blind, randomized, placebo controlled trial. Nutrients 2017;9:867. DOI: 10.3390/nu9080867
  9. Nausées et vomissements induits par la chimiothérapie : gingembre. JBI Evidence Summary, 29/03/2021. Screené par Ebpracticenet: 28/03/2023. 



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