Revue d'Evidence-Based Medicine
L’entraînement fonctionnel de haute intensité est-il efficace pour améliorer le fonctionnement physique des personnes de plus de 60 ans ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 8 Page 178 - 182
Professions de santé
Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
En 2019, on estimait à 1 milliard le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans dans le monde. Ce chiffre atteindra 1,4 milliard en 2030 et 2,1 milliards en 2050 (1). L’allongement de la durée de vie entraîne l’apparition de maladies liées à l’âge et donc aussi une augmentation de la demande de soins chroniques. À partir de 60 ans, les personnes sont confrontées à un risque accru de sarcopénie, maladie caractérisée par une diminution de la masse et de la force musculaire, et, par conséquent, une augmentation du risque de limitations fonctionnelles. Celles-ci peuvent entraîner une demande croissante de soutien professionnel et informel et causer une diminution du bien-être psychologique et social des personnes âgées (2,3).
Une précédente analyse de Minerva traitant d’une synthèse méthodique avec méta-analyse a montré un effet significatif des interventions d’exercices à plusieurs composantes sur la fragilité à court terme (3 mois), à moyen terme (6 mois) et à long terme (12 mois). Cette synthèse méthodique avec méta-analyse a cependant montré une importante hétérogénéité, notamment sur le plan des interventions étudiées (4,5). L’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIFT) est une nouvelle approche de l’exercice physique, dans laquelle des mouvements fonctionnels de la vie quotidienne (tels que soulever, s’accroupir, pousser, tirer, tordre) sont proposés par intervalles d’intensité, dans le but d’améliorer la condition physique, la force, la souplesse, l’équilibre et la coordination. Ici, les mouvements fonctionnels sont également adaptés en fonction du niveau de condition physique de la personne (6,7). L’effet de ce type d’exercice a été examiné dans une synthèse méthodique avec méta-analyse que nous aborderons plus en détail ici (8).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse.
Sources consultées
- PubMed, MEDLINE, CINAHL, SPORTDiscus, et Cochrane Library ; jusqu’au 1er mars 2024
- listes des références des articles sélectionnés
- uniquement des publications en anglais.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion :
- population : personnes de 60 ans et plus, présentant ou non des limitations
- intervention : toute forme d’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIFT)
- contrôle : pas d’exercice physique, maintien du mode de vie quotidien ou soins de santé standard
- critère de jugement : mobilité et capacités fonctionnelles
- conception de l’étude : études randomisées contrôlées (RCTs) publiées avec évaluation intercollégiale et texte intégral disponible
- critères d’exclusion :
- groupe de contrôle actif
- programmes d’exercices combinés
- articles de revue, publications de conférence, protocoles d’étude
- au total, inclusion de 16 articles comparant différents protocoles de HIFT, dont la fréquence allait de 2 à 5 séances par semaines pendant 10 semaines à 6 mois, avec un entraînement placebo en groupe (N = 5), le maintien des activités quotidiennes ou l’absence de protocole d’exercice (N = 6), une psychoéducation (N = 1), la kinésithérapie standard (N = 1) ou la prise en charge classique (N = 1).
Population étudiée
- 1859 personnes ayant plus de 60 ans, 1341 femmes et 518 hommes, 27 à 268 par étude, l’âge moyen se situant entre 63,9 (ET 3,7) et 86,7 (ET 3,7) ans ; il s’agissait de femmes ménopausées (N = 1), de personnes en bonne santé (N = 4), de personnes atteintes de démence (N = 7), de personnes atteintes du diabète de type 2 (N = 1), de personnes présentant des problèmes cognitifs (N = 1), de personnes ayant des problèmes de santé non précisés (N = 1) et d’une population diverse (N = 1).
Mesure des résultats
- principaux critères de jugement : mobilité et capacités fonctionnelles, mesurées au moyen du test chronométré du lever de chaise (Timed Up and Go, TUG)
- critères de jugement secondaires : fonctionnement dans la vie quotidienne (index de Barthel), capacités physiques des membres inférieurs (test des cinq levers de chaise enchaînés), force de préhension, vitesse de marche, longueur de foulée, cadence, activité physique (questionnaire sur l’activité pour les personnes âgées (Physical Activity Questionnaire for the Elderly, PAQE), mobilité fonctionnelle (échelle d’équilibre de Berg (Berg Balance Scale, BBS)
- résultats exprimés en différence moyenne (DM) ou en différence moyenne standardisée (DMS) avec IC à 95%.
Résultats
- avec un entraînement fonctionnel de haute intensité comparé à un groupe témoin, une amélioration statistiquement significative du test chronométré du lever de chaise (TUG) (p = 0,02), de l’indice de Barthel (p = 0,01), du test des cinq levers de chaise enchaînés (p < 0,0001), de la vitesse de marche (p = 0,002), de la longueur de foulée (p < 0,0001), de la cadence (p = 0,0002), du PAQE (p < 0,00001) et du BBS (p = 0,0003) ont été observés, mais pas de la force de préhension.
Tableau. Résultats du principal critère de jugement et des critères de jugement secondaires pour l’entraînement fonctionnel de haute intensité, par rapport à un groupe témoin, exprimés en DM ou en DMS, avec la valeur de p, le nombre d’études incluses (N) et l’hétérogénéité statistique (I²).
Critère de jugement |
DM/DMS (IC à 95%) |
Valeur de p |
N |
I² |
|
Principal critère de jugement |
|
||||
TUG (sec) |
DM -1,85 (-3,37 à 0,33) |
0,02 |
6 |
96% |
|
Critères de jugement secondaires |
|||||
Vitesse de marche (m/sec) |
DM 0,07 (0,02 à 0,11) |
0,002 |
10 |
84% |
|
Cadence (nombre de pas par minute) |
DM 11,62 (5,57 à 17,67) |
0,0002 |
4 |
54% |
|
Longueur de foulée (cm) |
DM 6,80 (3,42 à 10,19) |
< 0,0001 |
4 |
0% |
|
BBS |
DM 2,78 (1,26 à 4,29) |
0,0003 |
4 |
6% |
|
Test des cinq levers de chaise enchaînés (sec) |
DM -2,66 (-3,98 à -1,33) |
< 0,0001 |
6 |
55% |
|
Indice de Barthel |
DMS 0,87 (0,20 à 1,54) |
0,01 |
4 |
93% |
|
PAQE |
DM 5,20 (de 3,79 à 6,60) |
< 0,00001 |
2 |
0% |
|
Force de préhension |
DM 0,26 (-0,51 à 1,04) |
0,50 |
6 |
0% |
- une analyse post-hoc de sous-groupes sur la base de l’état de santé a montré que l’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIFT) améliorait la vitesse de marche, tant chez les participants en bonne santé (DM 0,06 m/sec avec IC à 95% de 0,01 à 0,12 ; p = 0,03 ; N = 3) que chez les participants qui n’étaient pas en bonne santé (DM 0,08 m/sec avec IC à 95% de 0,01 à 0,16 ; p = 0,03 ; N = 7).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que « ces résultats soulignent l’importance d’inclure des exercices fonctionnels dans les interventions visant à favoriser un vieillissement en bonne santé et à maintenir l’indépendance des personnes âgées. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour étudier les effets à long terme et savoir quelles sont les stratégies optimales pour la mise en œuvre des programmes d’entraînement fonctionnel dans ces populations ».
Financement de l’étude
Cette étude a été menée sans soutien financier.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Le protocole de cette étude a été préalablement enregistré dans PROSPERO. Il décrit très bien les PICO pour inclure les études primaires (RCTs). La sélection et l’extraction des données ont été effectuées par deux chercheurs indépendants. En cas de désaccord, un troisième auteur a été impliqué dans la discussion. Sans donner de raison, les auteurs s’écartent de l’évaluation critique de la qualité des études au moyen de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais (Risk of Bias, RoB) comme prescrit par le protocole. Ils utilisent plutôt l’échelle PEDro. Cela peut avoir eu un impact négatif sur la validité interne de la synthèse méthodique car l’échelle PEDro obtient des scores moins stricts que l’outil RoB sur certains composants :
- À l’échelle PEDro, l’assignation aléatoire est notée positivement dès lors qu’il est mentionné que l’assignation est aléatoire, alors que, sans information supplémentaire, l’outil RoB noterait « absence d’information » ; un tel score n’entraînerait jamais un « faible risque de biais concernant le processus de randomisation » dans l’outil RoB, ni un faible score total pour le risque de biais ; en revanche, une étude avec un score total de 5 ou plus à l’échelle PEDro serait cotée comme étant de « qualité élevée ».
- L’échelle PEDro n’évalue pas négativement la non-déclaration de certaines mesures de résultats, tandis que l’outil RoB évalue l’absence d’une seule mesure de résultat comme négative.
Par conséquent, l’utilisation de l’échelle PEDro au lieu de l’outil RoB est susceptible d’entraîner une évaluation plus favorable de la qualité méthodologique des études incluses. Toutes les études avaient un score négatif concernant la mise en aveugle des participants et des thérapeutes. Étant donné la nature de l’intervention, l’insu ne pouvait toutefois être mis en œuvre. Les études de faible qualité méthodologique n’ont pas été incluses dans les analyses de sensibilité. La majorité des différences significatives se sont maintenues, ce qui renforce la robustesse des résultats. Ce n’était pas le cas pour le principal critère de jugement, mobilité et capacités fonctionnelles (test chronométré du lever de chaise). Après l’exclusion de deux études présentant un risque élevé de biais, ce critère de jugement n’était plus statistiquement significatif.
Les résultats après sommation sont décrits de manière transparente par critère de jugement au moyen de forest plots (avec DM ou DMS, intervalle de confiance à 95%, valeur de p et hétérogénéité statistique). Les auteurs ne mentionnent pas explicitement la raison pour laquelle la DMS est utilisée à la place de la DM dans l’analyse des résultats de l’indice de Barthel. L’explication réside probablement dans le fait que les études incluses utilisaient différentes variantes de l’indice de Barthel. L’hétérogénéité statistique était faible (longueur de foulée, PAQE, force de préhension et BBS), modérée (cadence, test des cinq levers de chaise enchaînés) et importante (indice de Barthel, test chronométré du lever de chaise (TUG) et vitesse de marche). Le protocole indiquait que des analyses de sous-groupes seraient réalisées en tenant compte, entre autres, des différentes modalités d’entraînement en résistance, de l’intensité des exercices et du sexe des répondants. Mais, sans la moindre explication, aucune des analyses de sous-groupes proposées n’a été réalisée. Les chercheurs ont néanmoins effectué une analyse post-hoc des sous-groupes qui a tenu compte de l’état de santé des participants. Elle a montré que l’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIFT) améliorait la vitesse de marche tant chez les participants en bonne santé et que chez ceux qui n’étaient pas en bonne santé. Enfin, il nous faut mentionner que le biais de publication n’a pas été examiné.
Évaluation des résultats
À l’exception de la force de préhension, tous les critères de jugement examinés sont en faveur de l’entraînement fonctionnel de haute intensité, et ce de manière statistiquement significative. Cependant, les auteurs n’ont pas défini de différence minimale cliniquement pertinente pour les différents critères de jugement. Il est donc difficile d’estimer la pertinence clinique des différences qui ont été constatées.
Une méta-analyse de 6 RCTs montre une augmentation statistiquement significative du principal critère de jugement « mobilité et capacités fonctionnelles » (test chronométré du lever de chaise (TUG)) avec l’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIFT). L’intervalle de confiance à 95% étant relativement large, la précision de ce résultat est limitée. L’hétérogénéité statistique est également très importante (96%). Après avoir éliminé deux études présentant un risque élevé de biais, la différence n’est plus statistiquement significative. Par conséquent, nous interpréterons le résultat significatif du critère principal avec les réserves d’usage. Il convient également de noter que, même si le test chronométré du lever de chaise peut mesurer la mobilité fonctionnelle d’une personne, il ne constitue pas un test valable pour évaluer ses capacités fonctionnelles dans leur ensemble (9).
En plus de l’hétérogénéité statistique, il faut également tenir compte d’une importante hétérogénéité clinique. Les 16 RCTs incluses ont été menées en Europe, aux États-Unis, au Brésil et en Australie. Les populations des études incluses sont très diverses et comprennent à la fois des individus en bonne santé et des individus présentant des limitations cognitives ou physiques. Les interventions d’entraînement fonctionnel de haute intensité sont des interventions à plusieurs composantes et consistent en une série d’exercices incluant la force, la vitesse, la coordination, l’agilité, l’équilibre, le port de poids fonctionnel et/ou des exercices rythmiques. Les exercices sont également souvent liés aux tâches de la vie quotidienne. L’entraînement fonctionnel de haute intensité est proposé individuellement et en groupe, éventuellement complété par des exercices effectués de manière indépendante à domicile. La durée est très variable (de 30 minutes à 2 heures), de même que la fréquence (de cinq fois par semaine pendant deux semaines à deux fois par semaine pendant six mois). Enfin, le terme « haute intensité » n’est pas clairement défini.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Tant le guide de pratique clinique multidisciplinaire sur la prévention des chutes à domicile (10) que le guide de pratique d’ergothérapie pour les personnes âgées physiquement vulnérables (11) mentionnent l’importance des exercices de mobilité, y compris leur mise en œuvre dans la vie quotidienne, pour la population âgée. Ces directives ne mentionnent pas spécifiquement l’entraînement fonctionnel de haute intensité.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de RCTs montre que l’entraînement fonctionnel de haute intensité a un impact significatif sur le fonctionnement physique des personnes de plus de 60 ans. Cette synthèse méthodique avec méta-analyse est de qualité modérée et s’appuie sur des études hétérogènes tant en termes de populations incluses que d’interventions étudiées, ce qui complique l’extrapolation des résultats à la pratique clinique.
- WHO. Ageing Demographics 2025. WHO, online 22/07/2025. URL: https://www.who.int/health-topics/ageing#tab=tab_1
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- Niyazi A, Mir E, Ghasemi Kahrizsangi N, et al. The effect of functional exercise program on physical functioning in older adults aged 60 years or more: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Geriatr Nurs 2024;60:548-59. DOI: 10.1016/j.gerinurse.2024.10.019
- Podsiadlo D, Richardson S. The timed "Up & Go": a test of basic functional mobility for frail elderly persons. J Am Geriatr Soc 1991;39:142-8. DOI: 10.1111/j.1532-5415.1991.tb01616.x
- Milisen K, Leysens G, Vanaken D, et al. ‘La prévention des chutes chez les personnes âgées résidant à domicile’. Guide flamand disponible sur : www.valpreventie.be & www.ebmpracticenet.be 2017.
- De Coninck L, Bouckaert L, Cordyn S, et al. Prise en charge ergothérapeutique pour le maintien de la capacité fonctionnelle et de la participation sociale de la personne âgée vulnérable physiquement et vivant à domicile. Guide de pratique développé dans le réseau Evikey avec financement du SPF Santé publique 2023.
Auteurs
De Coninck L.
ergotherapeut-gerontoloog, Departement bewegings- en revalidatiewetenschappen, KU Leuven; SQaQEL (Scientific questions and Quality evidence linked)
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
M62
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