Revue d'Evidence-Based Medicine
L’entrainement en résistance apporte-il réellement un plus pour lutter contre la fatigue liée au cancer ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 9 Page 207 - 211
Professions de santé
Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
En Belgique, l’incidence des cancers est en augmentation quasi constante depuis de nombreuses années (1). Comme rapporté précédemment par Minerva (2,3) : "la fatigue liée au cancer est définie comme une sensation subjective caractérisée par un sentiment envahissant et persistant de fatigue non soulagé par le sommeil ou le repos et pouvant affecter négativement un individu au point de vue bien-être émotionnel, physique et mental." Elle peut survenir avant, pendant ou après les traitements, persister plusieurs années et altérer fortement la qualité de vie, les activités quotidiennes et la santé mentale (4). Son origine est multifactorielle, impliquant des mécanismes inflammatoires, neuroendocriniens et psychosociaux (5,6), et elle reste souvent sous-diagnostiquée et non traitée (6). Une méta-analyse en réseau analysée dans Minerva (7,8) a montré que la combinaison d’exercices aérobiques et de résistance est l’approche la plus efficace pour réduire la fatigue liée au cancer, tant pendant qu’après les traitements. Le yoga et l’activité physique régulière sont également bénéfiques. Toutefois, cette revue soulignait les limites méthodologiques des études existantes et n’apportait pas de preuves nouvelles. La revue systématique Cochrane analysée ici (9) porte spécifiquement sur l’efficacité de programmes d’entraînement en résistance pour la prise en charge de cette fatigue.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse.
Sources consultées
- CENTRAL, MEDLINE, Embase, CINAHL (EBSCO), PsycINFO (Ovid), PEDro, LILACS, SportDiscus (EBSCO) - dernière recherche : octobre 2023
- registres : ClinicalTrials.gov, OMS ICTRP
- recherches complémentaires : mises à jour de revues Cochrane antérieures.
Études sélectionnées
- essais contrôlés randomisés (RCTs)
- intervention : programme structuré d’entraînement en résistance (≥ 5 séances) avec instruction en présence au départ ; initiée avant, pendant ou après thérapie anticancéreuse initié dans des hôpitaux/universités, d'autres installations d’exercice, à domicile (supervisé, mixte ou auto-administré)
- comparateur : absence d’entraînement/soins usuels ou comparateur minimalement actif (p. ex. étirements/relaxation/éducation)
- taille : exclusion si < 20 participants par groupe
- critères de jugement : fatigue liée au cancer ou qualité de vie
- au total, 21 RCTs ont été incluses ; dans 14 études, l’entraînement de résistance a commencé pendant le traitement du cancer (chirurgie, chimio-/radiothérapie, greffe, thérapie de privation androgénique), et dans 7 études après celui-ci ; aucune étude n’a évalué une initiation de l’entraînement avant le traitement ; la majorité des travaux rapportaient uniquement des effets à court terme.
Population étudiée
- critères d’inclusion : adultes (≥ 18 ans) avec cancer (tous types/stades)
- critère d’exclusion : soins palliatifs de fin de vie / phase terminale
- au total, 2221 participants sont répertoriés ; les personnes incluses présentaient une grande diversité de types de cancer, notamment le cancer du sein, de la prostate, les hémopathies malignes, les cancers endométrial, nasopharyngé, pancréatique, pulmonaire et gynécologique ; la répartition par sexe variait selon les études : les femmes étaient majoritairement représentées dans les essais portant sur le cancer du sein, tandis que les hommes étaient principalement inclus dans les études sur le cancer de la prostate ; plusieurs études incluaient des populations mixtes ; l’âge moyen des participants se situait entre 44,7 et 71,9 ans, avec une médiane avoisinant 60 ans ; les participants étaient atteints de cancers de stade 0 à IV, selon les critères spécifiques de chaque étude ; concernant les traitements anticancéreux reçus, ceux-ci comprenaient la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie (notamment la suppression androgénique dans le cancer de la prostate), ainsi que la greffe de cellules souches hématopoïétiques.
Mesures des résultats
- critères de jugement primaires :
- fatigue liée au cancer mesurée avec des échelles validées :
- Évaluation Fonctionnelle de la Thérapie des Maladies Chroniques – Fatigue (FACIT-F ; 0 - 52, ↑=mieux ; différence minimale cliniquement importante ≈ 3)
- Inventaire Multidimensionnel de la Fatigue (MFI ; 20 - 100, ↑=pire ; différence minimale importante ≈ 11,5)
- Échelle de Fatigue de Chalder (0 - 33, ↑=pire ; différence minimale importante ≈ 2,3)
- Échelle de Fatigue du Cancer de Schwartz ; Questionnaire d’Évaluation de la Fatigue (Glaus) ; PROMIS Fatigue 8a (scores T)
- fenêtres temporelles : court terme (≤ 12 sem), moyen terme (> 12 sem à < 6 mois), long terme (≥ 6 mois)
- résultats exprimés en différences moyennes (DM) (échelles identiques) ou différences moyennes standardisées (DMS) (échelles différentes) + reconversion sur FACIT-F si pertinent
- fatigue liée au cancer mesurée avec des échelles validées :
- critères de jugement secondaires :
- qualité de vie : EORTC QLQ-C30 (0 - 100, ↑ = mieux ; différence minimale importante ≈ 10) ; FACT-An (0 - 188, ↑ = mieux ; différence minimale importante ≈ 7)
- dépression : Échelle de Dépression Gériatrique abrégée (0 - 15, ↑ = pire) ; CES-D (0 – 60, ↑ = pire)
- anxiété: STAI (20 -80, ↑ = pire)
- évènements indésirables : ≥ 1 évènement (lié/non lié à l’étude), recueil hétérogène
- statistiques : analyses par fenêtres temporelles ; modèles à effets aléatoires ; I²/χ² pour hétérogénéité.
Résultats
- résultats des critères de jugement primaires (fatigue liée au cancer) ; entraînement de résistance pendant le traitement anticancéreux versus absence d'entraînement pour les personnes atteintes de cancer :
|
Entraînement de résistance |
Temps après l’intervention |
Effet (estimation) (IC à 95%) |
Interprétation |
Certitude (GRADE) |
|
Pendant thérapie |
≤ 12 semaines |
DM (FACIT-Fatigue) 3,90 (de 1,30 à 6,51) |
Bénéfice ; ≈ MCID 3 atteint |
Modérée |
|
Pendant thérapie |
> 12 sem à < 6 mois |
DM (Inventaire Multidimensionnel de la Fatigue) -8,33 (de -18,34 à +1,68) |
Effet incertain |
Très faible |
|
Pendant thérapie |
≥ 6 mois |
DM (FACIT-Fatigue) -0,70 (-4,16 à 2,76) |
Pas d’effet clair |
Très faible |
|
Après thérapie |
≤ 12 semaines |
DM (Échelle de Fatigue de Chalder) -0,27 ; (de -2,11 à 1,57) (SMD −0,05 ; −0,39 à 0,29) |
Pas d’effet clair |
Très faible |
DM = différence moyenne ; MCID = Minimal Clinically Important Différence.
- résultats des critères de jugement secondaires :
|
Critère de jugement |
Période |
Mesure / échelle |
Estimation (avec IC à 95%) |
Interprétation |
Certitude |
|
Qualité de vie |
Pendant, ≤ 12 sem |
DM (EORTC QLQ-C30) |
4,93 (2,01 à 7,85) |
Petit bénéfice possible |
Faible |
|
Qualité de vie |
Pendant, > 12 sem à < 6 mois |
DM (EORTC QLQ-C30) |
6,48 (-4,64 à 17,60) |
Incertain |
Très faible |
|
Qualité de vie |
Pendant, ≥ 6 mois |
DM (FACT-An) |
0,50 (-8,46 à 9,46) |
Pas d’effet clair |
Très faible |
|
Qualité de vie |
Après, ≤ 12 sem |
DM (EORTC QLQ-C30) |
3,87 (-1,22 à 8,97) |
Petit bénéfice possible / incertain |
Faible |
|
Dépression |
Pendant, ≤ 12 sem |
DMS |
-0,05 (-0,31 à 0,22) |
Peu/pas de différence |
Modérée |
|
Dépression |
Pendant, ≥ 6 mois |
DMS |
-0,21 (-0,43 à 0,01) |
Peu/pas de différence |
Faible |
|
Anxiété |
Pendant, ≤ 12 sem |
DMS |
-0,16 (-0,47 à 0,15) |
Peu/pas de différence |
Faible |
|
Anxiété |
Pendant, ≥ 6 mois |
DM |
-0,20 (-2,41 à 2,01) |
Peu/pas de différence |
Faible |
DM : différence moyenne ; DMS : différence moyenne standardisée ; Pendant : intervention pratiquée pendant le traitement anticancéreux ; Après : intervention pratiquée après le traitement anticancéreux.
Conclusion des auteurs
Cet étude démontre des effets bénéfiques de l’entraînement en résistance pendant la thérapie anticancéreuse comparé à l’absence d’entraînement sur la fatigue liée au cancer à court terme et la qualité de vie chez les personnes atteintes de cancer. L’entraînement en résistance après la thérapie anticancéreuse pourrait également avoir un petit effet bénéfique sur la qualité de vie à court terme. Les données sur les effets à moyen et à long terme sont rares. Afin de faciliter la synthèse des données probantes au-delà d'un rapport narratif des données, les investigateurs des programmes d'entraînement à la résistance devraient rapporter les évènements indésirables de manière plus cohérente et plus complète pour tous les bras d'étude, y compris les groupes témoins.
Financement de l’étude
Financement interne par la Faculté de Médecine et Hôpital Universitaire de Cologne (Cochrane Haematology, Institute of Public Health) et financement externe du Ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche (Allemagne).
Conflit d’intérêts des auteurs
Certains auteurs ont déclaré des liens d’intérêt, notamment des financements de la part d’organismes publics ou privés, des collaborations avec l’industrie pharmaceutique ou des honoraires pour des conférences ; d’autres ont indiqué n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Sur le plan méthodologique, la revue est solide : protocole a priori, recherche exhaustive (bases + registres), double sélection/extraction, essais contrôlés randomisés uniquement, évaluation du risque de biais (outil Cochrane RoB1) et de la certitude (GRADE), analyses par fenêtres temporelles, sous-groupes et sensibilités, harmonisation des échelles (différence moyenne standardisée avec reconversion sur FACIT-F (pendant traitement) et CFS (après traitement)), et dépistage d’un biais de publication (entonnoir + Egger) : pas d’asymétrie détectée (p = 0,93). Malgré cela, plusieurs limites majeures subsistent. D’abord, l’impossibilité d’aveuglement expose l’ensemble des essais à un risque élevé de biais de performance et de détection. Ensuite, l’hétérogénéité clinique et méthodologique est importante (types de cancer, intensité et supervision des programmes, contextes d’intervention, échelles de mesure) ; I² = 77% pour la fatigue à court terme, disparue après exclusion d’un outlier cependant. Des risques liés à la sélection (allocation concealment parfois incertaine) ou à l’attrition (quelques études avec > 30% de données manquantes) sont à relever. Certaines études atypiques exercent une influence disproportionnée sur l’estimation globale et sur l’hétérogénéité. Les données au-delà de 12 semaines restent rares. Plusieurs estimations reposent sur une seule petite étude, ce qui accroît l’imprécision. Enfin, le rapport des évènements indésirables est très hétérogène, ce qui empêche une méta-analyse de sécurité robuste et conduit à une certitude très faible des preuves (GRADE).
Évaluation des résultats
Chez les personnes atteintes de cancer, l’entraînement en résistance pendant le traitement semble réduire la fatigue à court terme et pourrait légèrement améliorer la qualité de vie. En revanche, les effets à moyen et long terme restent incertains, faute de données suffisantes.
Après la fin des traitements, l’entraînement en résistance pourrait avoir un effet modeste ou nul sur la qualité de vie à court terme, et il n’existe pas de preuve convaincante d’un bénéfice sur la fatigue, la dépression ou l’anxiété. Ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Les participants étaient des adultes atteints de différents cancers, principalement du sein et de la prostate, en cours ou après traitement. Cette population est globalement comparable à celle rencontrée en première ligne, mais les patients très fragiles ou en soins palliatifs étaient exclus, ce qui limite la transposabilité aux situations de grande vulnérabilité. Les programmes de résistance étaient structurés, la supervision était la règle, qu’elle soit totale (N = 12) ou partielle (N = 6), et réalisés en centre ou à domicile avec encadrement initial. Ces modalités sont faisables en Belgique si un encadrement kinésithérapeutique ou en centre est disponible, mais leur mise en œuvre en soins primaires sans ressources spécialisées peut être difficile. Aucun essai n’a évalué la résistance avant le traitement, ce qui empêche toute conclusion sur ce moment d’intervention. Le groupe contrôle recevait généralement les soins habituels, parfois avec une activité minimale (relaxation, étirements). Ce comparateur reflète assez bien la réalité clinique, où l’absence d’exercice structuré est fréquente. La fatigue liée au cancer et la qualité de vie sont des critères pertinents pour les patients et pour la pratique. Les mesures étaient basées sur des questionnaires validés, ce qui renforce la fiabilité des résultats. Les évènements indésirables rapportés sont rares et généralement bénins, mais les données sont incomplètes et hétérogènes, ce qui empêche de conclure avec certitude sur la sécurité. Globalement, la balance semble favorable pour des patients motivés, sous réserve d’un encadrement adapté et d’une évaluation préalable des contre-indications.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans ses Clinical Practice Guidelines 2020, l’ESMO stipule que l’activité physique - et en particulier un entraînement en résistance d’intensité modérée - doit être proposée aux patients non-cachectiques pour atténuer la fatigue liée au cancer et améliorer la qualité de vie ; elle s’aligne sur des repères pratiques de 150 minutes/semaine d’aérobie et 2 jours/semaine de renforcement, et précise de cibler les grands groupes musculaires au moins 2 à 3 fois/semaine, y compris au moyen de programmes à domicile (p. ex. marche + exercices de résistance). Chez les personnes âgées (≥ 65 ans), l’ESMO recommande également une activité associant aérobie et résistance pour le contrôle de la fatigue (10).
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique avec méta-analyse de la Cochrane montre des effets bénéfiques de l’entraînement en résistance pendant la thérapie anticancéreuse comparés à l’absence d’entraînement sur la fatigue liée au cancer à court terme et sur la qualité de vie chez les personnes atteintes de cancer. L’entraînement en résistance après la thérapie anticancéreuse peut également avoir un petit effet bénéfique sur la qualité de vie à court terme. Cette revue systématique avec méta-analyse montre que les données disponibles restent insuffisantes pour formuler des conclusions solides et définitives. Elle appelle à des essais de plus grande envergure, avec des échantillons élargis, des durées de suivi plus longues, et une harmonisation des échelles et critères d’évaluation (notamment de la fatigue et de la qualité de vie). Elle souligne aussi l’intérêt d’un recueil plus standardisé des évènements indésirables afin de permettre une synthèse de sécurité robuste.
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Auteurs
Tock R.
MSc Infirmières
COI :
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
Code
C80, R53
A04, A79
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