Revue d'Evidence-Based Medicine
Une intervention de santé numérique peu après la naissance permet-elle de prévenir l’obésité chez les enfants ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 10 Page 253 - 256
Professions de santé
Diététicien, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue, Sage-femmeContexte
L’obésité est un problème de santé courant qui peut se manifester dès la petite enfance (1). De plus, la prise de poids, le rapport poids/taille et la croissance au cours des deux premières années de vie sont des prédicteurs importants de l’obésité (2-4). À cet égard, des inégalités sociales peuvent également être constatées. Par exemple, l’obésité est plus fréquente chez les enfants issus de familles de bas statut socio-économique, et la prise de poids précoce est un indicateur d’obésité plus fiable dans ce groupe (5,6). Bien que les campagnes de prévention puissent jouer un rôle important dans la promotion de la santé des enfants, elles ne conduisent pas toujours aux résultats souhaités, et, souvent, leurs effets ne semblent pas durables (7,8). Par conséquent, les interventions numériques sont de plus en plus utilisées parce qu’un format numérique permet un contact plus fréquent ainsi que des informations personnalisées et qu’il peut également être déployé à grande échelle (9,10). Minerva a traité en 2024 d’une étude randomisée contrôlée (RCT) qui montrait que, chez les adultes en surpoids et obèses, un traitement comportemental automatisé en ligne d’une durée de 12 mois, comprenant une phase de maintien actif pendant 9 mois, conduisait à une perte de poids cliniquement significative (11,12). Une étude récente a examiné l’effet d’une intervention numérique spécifiquement destinée aux parents de nouveau-nés sur la croissance et la santé physique des jeunes enfants (13).
Résumé
Population étudiée
- recrutement d’enfants par le biais des services de maternité ou des polycliniques pédiatriques de six établissements de santé aux États-Unis
- critères d’inclusion :
- nouveau-nés âgés de 0 à 21 jours, après une grossesse ayant duré au moins 34 semaines, lors d’une consultation de contrôle dans une polyclinique pédiatrique au plus tard au 21e jour de vie ; avec un poids de naissance d’au moins 1500 g et un poids supérieur au 3e percentile (selon les courbes de croissance de l’Organisation mondiale de la santé) ; sans pathologie chronique affectant la prise de poids (telles que les maladies métaboliques ou les cardiopathies congénitales)
- parents âgés de 18 ans et plus, dont la langue privilégiée est l’anglais ou l’espagnol, possédant un smartphone avec accès à des données externes, ne prévoyant pas de quitter la polyclinique pédiatrique dans les deux ans, sans déficience visuelle ou neurologique susceptible d’entraver leur participation à l’étude, et pour qui toutes les données initiales sont disponibles
- finalement, inclusion de 900 paires parent-enfant, respectivement 97% de femmes et 52% de filles ; durée médiane de la grossesse de 39 semaines (écart interquartile 38-40) ; 27% des enfants étaient nés par césarienne, et 88% étaient initialement nourris au sein ; le BMI médian des mères était de 26 (écart interquartile 22-32) kg/m² ; pour 40% des parents, il s’agissait de leur premier enfant ; la moitié des parents étaient nés aux États-Unis ; 30% étaient célibataires, et 57% avaient des connaissances limitées en matière de santé.
Protocole de l’étude
Étude randomisée contrôlée multicentrique avec deux bras d’étude en parallèle :
- groupe témoin (n = 451 paires parent-enfant) : durant 9 visites de santé planifiées, conseils sur le mode de vie donnés par les pédiatres avec des recommandations et des objectifs en matière d’alimentation, de satiété, de sommeil, de mobilité et d’utilisation des médias ; le soutien a été apporté au moyen de huit dépliants et de dispositifs perceptibles par le toucher, tels que des gobelets à bec ou des bols pour les collations
- groupe intervention (n = 449 paires parent-enfant) : a reçu, en supplément des conseils sur le mode de vie, deux stratégies d’interventions numériques :
- par le biais de textos interactifs, les parents recevaient un objectif de santé toutes les deux semaines et devaient évaluer eux-mêmes leurs progrès grâce à des messages de suivi afin de recevoir, finalement, des commentaires personnalisés sur les comportements sains favorisant le développement sain de l’enfant
- grâce à un tableau de bord en ligne, les parents pouvaient suivre les progrès accomplis vers leurs objectifs et observer l’évolution du poids et de la taille de leur enfant au moyen des courbes de croissance.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : courbe de croissance après 24 mois
- critères de jugement secondaires (à 24 mois ou après 24 mois) :
- z-score de la courbe de croissance
- z-score de l’indice de masse corporelle
- pourcentage d’enfants avec un BMI ≥ 85e percentile (surpoids ou obésité) et ≥ 95e percentile (obésité)
- pourcentage d’enfants avec un z-score du BMI > 2 (surpoids) et > 3 (obésité)
- modèle linéaire à effets mixtes pour les critères de jugement continus et régression logistique longitudinale pour les critères de jugement binaires
- analyses de sous-groupes en fonction de l’insécurité alimentaire (mesurée sur l’échelle à 6 items du département de l’agriculture des États-Unis), de l’origine ethnique, des connaissances en matière de santé (mesurées à l’aide du Newest Vital Sign) et de la langue privilégiée des parents.
Résultats
- résultats du principal critère de jugement : à 24 mois, le rapport poids/taille était significativement plus faible dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, avec une différence de -0,33 kg/m (IC à 95% de -0,57 à -0,09 ; p < 0,001)
- résultats des critères de jugement secondaires :
- le z-score du rapport poids/taille était moins élevé dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative, avec une différence de -0,19 (IC à 95% de -0,37 à -0,02 ; p < 0,001)
- le z-score du BMI était moins élevé dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative, avec une différence de -0,19 (IC à 95% de -0,36 à -0,01 ; p < 0,001)
- pas de différence statistiquement significative quant à l’incidence de l’obésité ou du surpoids chez les enfants (BMI ≥ 85e percentile), mais incidence plus faible de l’obésité chez les enfants (BMI ≥ 95e percentile) dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (risque relatif ajusté (adjusted risk ratio, aRR de 0,56 avec IC à 95% de 0,36 à 0,88)
- pourcentage plus faible d’enfants en surpoids (z score du BMI > 2) et obèses (z score du BMI > 3) dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (aRR respectivement de 0,68 (IC à 95% de 0,48 à 0,93) et de 0,46 (IC à 95% de 0,24 à 0,89)
- analyses de sous-groupes : l’effet de l’intervention était significativement plus important chez les enfants vivant dans des ménages en situation d’insécurité alimentaire (-0,77 kg/m avec IC à 95% de -0,51 à -0,14) que chez les enfants vivant dans des ménages en sécurité alimentaire (-0,25 kg/m avec IC à 95% de -0,51 à 0,01) (p = 0,02) ; l’origine ethnique des parents, leur niveau de connaissances en matière de santé et leur langue privilégiée n’ont pas eu d’influence statistiquement significative sur l’effet de l’intervention
- aucun évènement indésirable lié à l’étude n’a été rapporté.
Conclusion des auteurs
Une intervention numérique basée sur les connaissances en matière de santé a amélioré la courbe poids-taille des enfants au cours des 24 premiers mois de vie et a réduit la prévalence de l’obésité à l’âge de 24 mois. L’intervention s’est avérée efficace dans une population avec diverses origines ethniques, comprenant des groupes d’enfants présentant un risque accru de développer de l’obésité.
Financement de l’étude
Subvention du National Institutes of Health (NIH).
Conflits d’intérêt des auteurs
Deux des auteurs déclarent un conflit d’intérêts ; les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts dans le cadre de cette étude.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Le protocole de cette étude multicentrique randomisée contrôlée a été préalablement enregistré, et les investigateurs ont utilisé les critères CONSORT pour une présentation normalisée de l’étude. Avant le recrutement des participants, il a été calculé que 900 paires parent-enfant étaient nécessaires pour détecter avec une puissance de 91% une différence de 0,2 écart-type dans le rapport poids/taille à 24 mois. Après l’inclusion des participants, la puissance a été ajustée à 83%. Parmi les 900 paires parent-enfant incluses, 896 ont pu être incluses dans l’analyse principale. Le taux d’abandons était faible et comparable dans les deux groupes (13,1% dans le groupe témoin et 14,3% dans le groupe intervention). Les données manquantes ont été complétées par imputation multiple, ce qui limite le risque de biais d’attrition.
Il est possible que les parents qui ont participé à l’étude étaient plus motivés, ce qui fait qu’un biais de sélection ne peut être exclu. La randomisation a été stratifiée par centre médical, langue privilégiée des parents (anglais ou espagnol) et niveau de connaissances en matière de santé. Étant donné la nature de l’intervention, la mise en aveugle des paires parent-enfant quant au bras auquel elles étaient assignées n’a pas été possible. Les évaluateurs des résultats ne savaient toutefois pas de quel groupe les participants faisaient partie. Les données anthropométriques des enfants ont été recueillies lors d’une visite au centre médical ou obtenues à partir des dossiers électroniques des patients. Le personnel médical a été spécifiquement formé à cet effet, et les données ont subi un processus de nettoyage en aveugle (qui tenait compte notamment des valeurs aberrantes). Cette mesure objective et rigoureuse réduit le risque de biais de notification.
Évaluation des résultats
Dans le groupe intervention, la prise de poids par rapport à la taille était plus lente que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (différence de -0,33 kg/m) sur une période de 24 mois. Nous pouvons considérer cette différence comme cliniquement pertinente (14,15). De plus, une diminution du risque d’obésité à l’âge de deux ans a également été observée. La conception, le contenu et la mise en œuvre de l’intervention découlent des contributions d’un groupe d’intervenants comprenant des parents, des professionnels de santé et des membres du personnel des polycliniques participantes. Cela signifie que le contenu est étroitement lié à la pratique, ce qui constitue une valeur ajoutée importante. Un objectif important de cette étude était également de recruter un large échantillon représentatif de personnes de statut socio-économique faible et en insécurité alimentaire. Les analyses de sous-groupes ont montré que l’effet de l’intervention était plus important chez les enfants de familles en insécurité alimentaire. Cependant, certains groupes étaient sous-représentés, voire pas du tout. Les parents qui n’avaient pas l’anglais ou l’espagnol comme langue privilégiée et les parents qui n’avaient pas de smartphone ou qui n’avaient pas accès à des données externes n’ont pas été inclus. De plus, un quart des parents participants étaient célibataires. La grande majorité des figures parentales dans les deux groupes d’étude étaient des femmes (96,4% et 97,8%). La question est de savoir si ces résultats peuvent être extrapolés aux pères ou à d’autres soignants. En effet, compte tenu de la nature de l’intervention, il est possible que son efficacité soit liée à la personne chargée d’apporter et de donner la nourriture. De plus, les nouveau-nés de faible poids ou prématurés ont également été exclus, ce qui signifie que les résultats ne peuvent pas non plus être extrapolés à ce groupe présentant des vulnérabilités.
Compte tenu du format numérique de l’intervention et des investissements limités qui y sont associés (par exemple, les coûts liés aux professionnels de santé ou aux déplacements), l’intervention peut s’avérer plus rentable qu’un accompagnement personnalisé par un professionnel de santé. Sa conception conviviale et abordable rend également cette intervention prometteuse pour une mise en œuvre à plus grande échelle. Néanmoins, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer quelles stratégies numériques contribuent le plus à l'efficacité de l'intervention. En outre, d’autres mesures (subjectives) de résultats sont également utiles à inclure dans les recherches ultérieures afin d’étudier, entre autres, les obstacles existants à la mise en œuvre de cette intervention numérique.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Groupe de travail Développement des recommandations de première ligne (WOREL) affirme la nécessité d’une approche multimodale pour la prise en charge des adultes présentant une obésité. Le recours aux interventions numériques entre dans ce cadre (16). En ce qui concerne l’obésité et le surpoids chez les enfants, un guide de pratique clinique de Domus Medica recommande que différentes interventions soient applicables (comme encourager une alimentation saine, une activité physique régulière et réduire la sédentarité). Ces stratégies sont également utiles pour la prévention. Le guide de pratique clinique souligne également l’importance du suivi visant notamment à réévaluer les objectifs et encourager les membres de la famille (17).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée multicentrique dans laquelle l’évaluation des résultats a été réalisée en aveugle a montré qu’une intervention numérique en plus de conseils sur le mode de vie réduisait le profil poids-taille des enfants au cours des 24 premiers mois de vie, par rapport à un groupe témoin qui a seulement reçu des conseils sur le mode de vie.
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Auteurs
Raemdock E.
klinisch psycholoog
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
E66
T82, T83
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