Revue d'Evidence-Based Medicine



Glucosamine et/ou chondroïtine pour la gonarthrose ?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 10 Page 156 - 158

Professions de santé


Analyse de
Clegg DO, Reda DJ, Harris CL et al. Glucosamine, chondroitin sulfate and the two in combination for painful knee osteoarthritis (GAIT Study). N Engl J Med 2006;354:795-808.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de l’administration de glucosamine et/ou de sulfate de chondroïtine dans la gonarthrose versus AINS (célécoxib) et placebo ?


Conclusion
Cette étude n’apporte aucune preuve de l’intérêt d’un traitement avec de la glucosamine, avec de la chondroïtine ou avec l’association des deux dans le traitement de la gonarthrose. La réponse au placebo est élevée : 60% des patients déclarent une diminution importante de la douleur sous placebo. Les traitements non médicamenteux (mobilisation, exercices) et le paracétamol restent le traitement de premier choix de la gonarthrose.


 

Résumé

Contexte

La localisation la plus fréquente d'arthrose accompagnée de douleur est le genou. L’incidence de la gonarthrose croît avec l'âge des patients. Les guidelines recommandent le paracétamol en première intention pour le traitement de la douleur liée à l'arthrose et les AINS en cas d'échec de celui-ci 1-5. Des interventions non pharmacologiques se sont également révélées efficaces pour la douleur arthrosique du genou 2. Des alternatives au paracétamol et aux AINS sont également de plus en plus fréquemment proposées et surtout promotionnées : glucosamine, chondroïtine, acide hyaluronique. Dans les synthèses les plus récentes, la glucosamine se montre efficace pour certains critères WOMAC mais pas pour leur ensemble (douleur, ankylose, fonction articulaire 6). L’efficacité de la chondroïtine est jugée probable dans la gonarthrose 7. Toutes les études concernaient cependant des populations peu importantes en nombre.

Population étudiée

L’étude inclut 1 583 patients (parmi 3 238 évalués dans des centres cliniques) âgés d’au moins 40 ans (moyenne d’âge de 59 ans) présentant une gonarthrose douloureuse depuis au moins six mois (et sur la majorité des jours dans le mois précédent), certifiée radiologiquement, avec une valeur de 125 à 400 au score WOMAC (de 0 à 500) pour la douleur et une classe I, II ou III sur la classification fonctionnelle ARA. Parmi ces patients, 64% sont de sexe féminin et leur IMC moyen est de 31,7 kg/m². Sont exclus, les patients présentant : autre pathologie médicale ou arthritique pouvant influencer l’évaluation, pathologie fémoropatellaire dominante, anamnèse de traumatisme cliniquement significatif ou de chirurgie du genou, comorbidité pouvant compromettre la participation à l’ensemble de l’étude.

Protocole d'étude

Etude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo et célécoxib, multicentrique, en double placebo. Les patients sont répartis aléatoirement dans cinq groupes : hydrochloride de glucosamine 500 mg 3 fois par jour, sulfate de chondroïtine 400 mg 3 fois par jour, glucosamine 500 mg plus sulfate de chondroïtine 400 mg 3 fois par jour, célécoxib 200 mg par jour ou placebo. La qualité et la concentration des présentations de glucosamine et de chondroïtine étaient contrôlées. La randomisation est effectuée par blocs, stratifiée selon les dix-huit centres et l’intensité de la douleur au score WOMAC (légère ou modérée à sévère). La prise de paracétamol est autorisée (maximum 4 g par jour) sauf dans les 24 heures précédant les évaluations (semaines 4, 8, 16 et 24). Les autres analgésiques (narcotiques et AINS compris) ne sont pas autorisés. Un contrôle des effets indésirables avec dosages sanguins et hémocult (à 24 semaines) a été effectué. La durée de l’étude est de 24 semaines. L’analyse est faiteintention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude."> en intention de traiter avec une analyse LOCF uniquement pour les critères secondaires semble-t-il.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est une réduction de la gonalgie de 20% par rapport à la valeur initiale sur l’échelle WOMAC pour la douleur. Les critères secondaires sont : score d’ankylose et fonctionnel articulaire sur les échelles WOMAC correspondantes, évaluation globale par le patient de sa maladie et de la réponse au traitement sur une échelle visuelle analogique (VAS), évaluation globale de la maladie par l’examinateur sur une échelle visuelle analogique, présence d’un gonflement des tissus mous ou d’un épanchement intra-articulaire, autres scores et consommation de paracétamol.

Résultats

Le taux moyen de sortie d’étude est de 20,5% sans différence significative entre les groupes dont les caractéristiques initiales sont semblables. Les principaux résultats sont résumés dans le tableau ci-dessous. A noter un taux de réponse important dans le groupe placebo de 60,1%. Les auteurs mentionnent un taux de réponse significativement supérieur pour l’association chondroïtine-glucosamine versus placebo pour les patients présentant une douleur initiale modérée à sévère (79,2% vs 54,3% ; p=0,002). Il n’y a pas de différence significative de l’évaluation globale de la pathologie par l’examinateur. Il n’y a également pas de différence significative dans le recours au paracétamol entre les différents groupes (ni suivant une stratification par sévérité de la douleur). Le nombre d’effets indésirables serait similaire dans les différents groupes (pas d’analyse de chiffres semblant pourtant différents dans la figure 1 de l’article) avec un taux de sortie équivalent pour ce motif (N.B. : sans analyse statistique malgré une différence apparente).

 

Tableau : Nombre moyen de personnes (%) présentant une diminution de la douleur > 20% sur l’échelle WOMAC (critère primaire) et moyenne de l’évaluation de sa maladie par le patient à la fin de l’étude (sur EVA 100 mm) dans les différents groupes (valeur p pour la comparaison avec le groupe placebo).

Groupe

Diminution > 20% au score WOMAC douleur

Evaluation par le patient de sa maladie

 

%

Valeur p vs placebo

VAS 100 mm (ET)

Valeur p vs placebo

Placebo

60,1

 

37,1 (±22,5)

 

Glucosamine

64

0,30

37,9 (±23,3)

0,23

Chondroïtine

65,4

0,17

37,6 (±22,7)

0,64

Glucosamine + Chondroïtine

66,6

0,09

35,7 (±21,9)

0,60

Célécoxib

70,1

0,008

36,2 (±21,9)

0,49

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que ni la glucosamine, ni la chondroïtine ni leur association ne réduit efficacement la douleur de l’ensemble des patients avec gonarthrose. Des données exploratoires suggèrent que l’association des deux produits pourrait être efficace dans le sous-groupe des patients présentant une gonalgie modérée à sévère.

Financement

National Institutes of Health (National Center for Complementary and Alternative Medicine et National Institute of Arthritis and Musculoskeletal and Skin Diseases) E.-U.

Conflits d’intérêt

Plusieurs auteurs mentionnent des conflits d’intérêt possibles sous la forme de dédommagements reçus pour consultance, participation à des conseils d’avis, lectures, ou avoir reçu des dons de firmes pharmaceutiques fournissant les médicaments pour cette étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude bénéficie d’un protocole correctement établi, randomisé, contrôlé, en double-aveugle, multicentrique et compare des préparations à base de glucosamine et de chondroïtine avec un contenu vérifié et une dose unique par type de préparation. Pour le critère principal, un seuil de 20% de la diminution de la douleur sur le score WOMAC avait été choisi, par consensus, comme significatif, la publication mentionnant qu’une différence versus placebo de 15% était considérée comme cliniquement pertinente. Le nombre de sujets à inclure avait été estimé à 1 588 patients en tenant compte d’une puissance de 85%, d’une réponse de 35% dans le groupe placebo et d’un taux de sortie d’étude de 20%. Le taux de sortie d’étude n’a pas été plus élevé que prévu mais, par contre, le taux de réponse dans le groupe placebo a presque atteint le double du chiffre prévu. Pour l’évaluation, les seules données dont il est tenu compte sont celles à la semaine 24 et non une moyenne des données sur l’ensemble des contrôles effectués8. En tenant compte de tous ces éléments impératifs, seul le célécoxib montre une réponse plus importante que celle obtenue avec le placebo. Les auteurs se livrent aussi à une analyse en sous-groupes, suivant l’intensité de la douleur. Pour le groupe des patients présentant une douleur modérée à sévère, soit 22% des patients inclus dans cette étude, ils notent un résultat positif pour le critère primaire uniquement pour l’association glucosamine + chondroïtine et non pour le célécoxib. Ce dernier fait illustre bien toute la fragilité d’une étude en sous-groupes, avec une puissance insuffisante pour tirer des conclusions avec des preuves statistiquement solidement établies. Les auteurs le reconnaissent eux-mêmes dans leur discussion. Un suivi de 24 semaines est court pour une évaluation dans ce type d’affection.

Autres études

Pour la chondroïtine, Clinical Evidence 7 conclut à une efficacité probable dans l‘arthrose. Il s’agit cependant de petites études, de doses variables de chondroïtine (800 à 2 000 mg par jour) avec des critères de diagnostic initial mal décrits et d’analyses non en intention de traiter 9. La RCT la plus récente 10, non incluse dans cette revue de la littérature, ne montre pas d’efficacité de cette substance sur la douleur ou les capacités fonctionnelles en cas de gonarthrose. Pour la glucosamine, la méta-analyse de Towheed 6 montre une efficacité versus placebo significative en termes de soulagement de la douleur. Elle souligne bien que la prise en considération unique des études avec une randomisation correcte (secret de l’attribution respecté), soit huit RCTs, ne montre plus de bénéfice significatif. Il en va de même pour l’ensemble des études en considérant l’échelle WOMAC complète (douleur + ankylose + limitations fonctionnelles).

Pour la pratique

La pression médiatique est importante pour inciter les patients qui souffrent d’arthrose à consommer de la glucosamine ou de la chondroïtine, voire une association des deux. Ces produits sont vendus sous forme de compléments alimentaires, sans grande garantie en plus du contenu de ces préparations. Les prescripteurs sont également visés avec des messages trompeurs, vantant les mérites de ce produit en premier choix pour le traitement de toute arthrose.

La glucosamine ne semble pas sans danger : des réactions allergiques à la glucosamine ont été signalées par la pharmacovigilance australienne : angioedème, urticaire, éruption érythémateuse et prurit 11. Certains extraits de glucosamine proviennent de coquillages et les personnes allergiques aux coquillages pourraient présenter une allergie à ces extraits 12

 

Conclusion

Cette étude n’apporte aucune preuve de l’intérêt d’un traitement avec de la glucosamine, avec de la chondroïtine ou avec l’association des deux dans le traitement de la gonarthrose. La réponse au placebo est élevée : 60% des patients déclarent une diminution importante de la douleur sous placebo. Les traitements non médicamenteux (mobilisation, exercices) et le paracétamol restent le traitement de premier choix de la gonarthrose.

 

Références

  1. Eccles M, Freemantle N, Mason J, for the North of England Non-Steroidal Anti-Inflammatory Drug Guideline Development Group. North of England evidence based guideline development project: summary guideline for non-steroidal anti-inflammatory drugs versus basic analgesia in treating the pain of degenerative arthritis. BMJ 1998;317:526-30.
  2. Jordan KM, Arden NK, Doherty M et al. EULAR recommendations 2003: an evidence based approach to the management of knee osteoarthritis: Report of a task force of the Standing Committee for International Clinical Studies Including Therapeutic Trials (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2003;62:1145-55.
  3. American College of Rheumatology subcommittee on osteoarthritis guidelines. Recommendations for the medical management of osteoarthritis of the hip and knee. Arthritis Rheum 2000;43:1905-15.
  4. Bijl D, Dirven-Meijer PC, Opstelten W et al. NHG Standaard Niet-traumatische knieproblemen bij volwassenen. Huisarts Wet 1998;41:344-50.
  5. American Pain Society. APS guideline for the management of pain in osteoarthritis, rheumatoid arthritis and juvenile chronic arthritis.
  6. Towheed TE, Maxwell L, Anastassiades TP et al. Glucosamine therapy for treating osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 2.
  7. Chard J, Smith C, Lohmander S, Scott D. Osteoarthritis of the knee. Clin Evid 2006;15:1684-700.
  8. Hochberg MC. Nutritional supplements for knee osteoarthritis - still no resolution. N Engl J Med 2006;354:858-60.
  9. Leeb BF, Schweitzer H, Montag K, Smolen JS. A meta-analysis of chondroitin sulfate in the treatment of osteoarthritis. J Rheumatol 2000;27:205-11.
  10. Michel BA, Stucki G, Frey D et al. Chondroitins 4 and 6 sulfate in osteoarthritis of the knee: a randomized, controlled trial. Arthritis Rheum 2005;52:779-86.
  11. Skin reactions with glucosamine. Aust Adv Drug Reaction Bull 2005;24:23.
  12. Bijwerkingen glucosamine. Geneesmiddelenbulletin 2006;40(4):48.
Glucosamine et/ou chondroïtine pour la gonarthrose ?



Ajoutez un commentaire

Commentaires