Revue d'Evidence-Based Medicine
Sédatifs chez les personnes âgées insomniaques
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 8 Page 124 - 126
Professions de santé
Résumé
Contexte
L’insomnie et un problème fréquent chez les personnes âgées. Parmi les personnes âgées vivant aux E.-U. ou au R.-U., 3 à 33% de celles-ci se voient prescrire des benzodiazépines ou de nouveaux hypnotiques (zolpidem, zopiclone et zaléplone, dits «Z-drugs») pour des problèmes de sommeil. Les effets indésirables de ces médicaments (perte d’équilibre, chutes, troubles mnésiques) sont pourtant de survenue plus fréquente chez les personnes âgées. Le rapport coût/efficacité des hypnotiques chez les personnes âgées n’est pas connu.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse.
Sources consultées
Les auteurs ont consulté Medline, Embase, la Cochrane clinical trials database, PubMed et Psychlit (de 1966 à 2003) ainsi que les références de synthèses et méta-analyses; ils ont également recherché, auprès de firmes, les études non publiées.
Etudes sélectionnées
Les auteurs ont inclus les études randomisées, en double aveugle, contrôlées, comparant l’efficacité (sur une période d’au moins cinq nuits consécutives) de tout hypnotique (barbituriques et hydrate de chloral exceptés) versus placebo ou autre traitement, chez des personnes âgées d’au moins 60 ans se plaignant d’insomnie (définie par des critères préétablis). Ont été exclues, les études concernant des patients souffrant d’une affection psychiatrique ou psychique, consommant d’autres médicaments actifs sur le système nerveux central ou présentant un déficit cognitif fonctionnel. Parmi les 120 études identifiées, 24 ont été finalement sélectionnées, incluant un total de 2 417 patients. Vingt-et-une de celles-ci évaluent l’efficacité des benzodiazépines, neuf celle d’une Z-drug, deux celle du chlorméthiazole et une celle d’un antihistaminique. La durée moyenne d’étude atteint seize jours; six études se prolongent au-delà de deux semaines (maximum de neuf semaines).
Population étudiée
L’âge moyen des participants dans les différentes études varie de 65 à 81 ans. Dans moins de la moitié des cas, ce sont des personnes non institutionnalisées qui sont concernées.
Mesure des résultats
L’efficacité sur le sommeil est mesurée à l’aide de critères subjectifs (suivant l’évaluation du patient): qualité du sommeil (profondeur du sommeil), durée totale de sommeil, délai ou facilité d’endormissement, nombre de réveils. Les effets indésirables sont regroupés en effets cognitifs (perte de mémoire, confusion, désorientation), effets psychomoteurs (vertiges, perte d’équilibre, chutes), déséquilibre, effet résiduel («gueule de bois» matinale) et état fonctionnel matinal (sédation). Les effets ont été sommés pour l’ensemble des hypnotiques et, séparément, pour les benzodiazépines.
Résultats
Qualité du sommeil
Quatre études (n=1 072) ont évalué «l’amélioration de la qualité du sommeil» versus «pas d’amélioration» ou «détérioration»: NST 13 (IC à 95% de 6,7 à 62,9). Pour améliorer le sommeil chez un patient en plus, treize doivent prendre un hypnotique. La différence d’ampleur d’effet moyenne sur une échelle de qualité du sommeil est significativement plus importante pour l’ensemble des hypnotiques, et pour les benzodiazépines en particulier, versus placebo. Aucune différence n’est observée entre benzodiazépines et Z-drugs (zolpidem, zopiclone, zaléplone) (voir tableau).
Durée totale de sommeil, délai d’endormissement, facilité d’endormissement, nombre de réveils
L’augmentation totale de la durée du sommeil est, en moyenne, de 25,2 minutes (IC à 95% de 12,8 à 37,8; p=0,001) pour les hypnotiques versus placebo (huit études, n=601) et, en moyenne, de 34,2 minutes (IC à 95% de 16,2 à 52,8) pour les benzodiazépines versus placebo (huit études, n=524). Pour le délai ou la facilité d’endormissement, les données disponibles sont insuffisantes. Le nombre de réveils sur la nuit diminue en moyenne de 0,63 fois (IC à 95% de -0,48 à -0,77) pour les hypnotiques versus placebo (six études, n=441) et en moyenne de 0,60 fois (IC à 95% de -0,41 à -0,78) pour les benzodiazépines versus placebo (six études, n=296).
Effets indésirables
Pour l’ensemble des effets indésirables, le NNN est de 6 (seize études, n=2 220, IC à 95% de 4,7 à 7,1): pour chaque série de six patients prenant un hypnotique, un patient présente un effet indésirable. Les plus fréquents sont la somnolence ou la fatigue, les céphalées, les cauchemars, les nausées ou les plaintes gastro-intestinales. Pour l’ensemble des hypnotiques, significativement plus de patients présentent des effets indésirables cognitifs (dix études: n=712; OR 4,78; IC à 95% de 1,47 à 15,47; p<0,01) ou «la gueule de bois» (sept études: n=829; OR 3,82; IC à 95% de 1,88 à 7,80; p<0,001), mais non pour les effets indésirables psychomoteurs. Il n’y a pas de différence entre les agonistes des benzorécepteurs et les benzodiazépines pour le nombre total d’effets indésirables ni pour les effets indésirables cognitifs et psychomoteurs.
Tableau: Différence pour l’ampleur d’effet moyenne pour la qualité du sommeil, entre les hypnotiques et le placebo, les benzodiazépines et le placebo, le zopiclone et le placebo et les benzodiazépines et les Z-drugs.
|
Nombre d’études |
Nombre de patients |
Ampleur d’effet moyenne (IC à 95%) |
Hypnotiques vs placebo |
8 |
719 |
0,14 (0,05 à 0,23) |
Benzodiazépines vs placebo |
7 |
277 |
0,37 (0,01 à 0,73) |
Zopiclone vs placebo |
2 |
116 |
0,41 (-0,76 à 1,58) |
Benzodiazépines vs Z-drugs* |
3 |
339 |
0,04 (-1,11 à 1,19) |
* zolpidem, zopiclone, zaléplone.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les hypnotiques améliorent statistiquement significativement le sommeil des personnes âgées mais que l’ampleur d’effet est cependant modeste. Le risque significativement augmenté de survenue d’effets indésirables soulève des questions quant au rapport coûts/bénéfices des hypnotiques chez les personnes âgées de plus de 60 ans, surtout en présence d’autres facteurs de risque d’effets indésirables cognitifs ou psychomoteurs.
Financement
Aucun.
Conflits d’intérêt
Aucun n’est mentionné.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Plusieurs limites méthodologiques sont à souligner dans cette méta-analyse. Seules les études publiées en anglais ont été prises en considération; un biais linguistique est donc possible. La qualité des études originales a été évaluée mais non prise en compte lors de l’analyse. Comme le reconnaissent les auteurs, tous les hypnotiques ont été regroupés dans une analyse, sans distinction pour les temps de demi-vie ou les dosages (également pour le sous-groupe des benzodiazépines) ce qui a pu influencer les résultats d’effets indésirables cliniquement pertinents tels que «la gueule de bois». Les études avec la diphénhydramine ou le chlorméthiazole n’ont pas été, à juste titre, incluses dans la méta-analyse pour les mesures de l’efficacité, mais, par contre, l’ont été pour les effets indésirables. Les résultats pour ces effets indésirables ne concernent donc pas exclusivement le groupe des sédatifs les plus prescrits, les benzodiazépines. L’analyse ne fait également pas de distinction entre les patients traités en ambulatoire et ceux qui sont hospitalisés ou institutionnalisés. Huit études seulement sur les 24 concernent uniquement des patients en ambulatoire; des conclusions pour la médecine générale ne sont donc pas possibles.
Une autre limite reconnue par les auteurs est l’utilisation, dans les études sans groupe placebo, de «run-in» scores, ce qui peut conduire à une surestimation de l’efficacité du traitement, le sommeil s’améliorant habituellement au cours d’une étude en raison du suivi et de l’enregistrement effectués. Deux études n’ont pas randomisé les «répondeurs au placebo» ce qui peut également provoquer une surestimation de l’efficacité. Un tel biais peut être important si les études sans groupe placebo ont une part notable dans les résultats sommés. La moitié des études évaluant le critère qualité du sommeil n’étaient pas contrôlées versus placebo. L’évaluation de l’efficacité de l’intervention sur des critères uniquement subjectifs peut aussi surestimer l’efficacité de l’intervention (une pilule pour dormir). Se limiter à scorer la qualité du sommeil donne à tort l’impression que les capacités fonctionnelles du patient insomniaque durant la journée ne sont guère importantes et ne place pas le problème dans son contexte complet de 24 heures.
Autres études
La méta-analyse d’Holbrook et coll. chez des adultes insomniaques (âgés en moyenne de 29 à 82 ans) montrait également une augmentation significative de la durée du sommeil (gain moyen de 48,4 minutes) suivant l’évaluation subjective du patient 1. Glass et coll. montrent que l’efficacité plus limitée chez les personnes âgées (gain moyen de 34,2 minutes) indique que l’effet des médicaments sédatifs, en particulier des benzodiazépines, est moindre dans cette population. L’observation d’une absence de différence entre les «Z-drugs» et les benzodiazépines confirme les résultats d’une précédente étude chez les adultes 2. Les effets indésirables psychomoteurs tels que vertiges, troubles d’équilibre, chutes et accidents de roulage sont plus fréquents dans le groupe traité, mais la différence n’est pas significative versus placebo. D’autres études ont montré une différence significative dans ce domaine 3-5.
Pour la pratique
L’emploi d’hypnotiques par des personnes insomniaques reste un problème en Belgique, malgré des campagnes répétées. La plupart des utilisateurs sont des personnes âgées, qui sont les sujets les plus particulièrement sensibles aux effets indésirables tels que les chutes ou un dysfonctionnement cognitif6. En outre, une forte majorité de ces personnes âgées en font une utilisation prolongée. La durée (en moyenne 16 jours) des études originales incluses dans cette méta-analyse est trop limitée pour permettre des conclusions concernant l’efficacité des sédatifs à long terme chez les personnes âgées.
Le médecin généraliste joue un rôle clef dans la prise en charge de l’insomnie et fait l’expérience de la pression du patient pour recevoir une prescription d’un somnifère. La recommandation concernant l’insomnie propose de réserver cette prescription aux patients présentant une insomnie aiguë, sévère, s’accompagnant d’une «détresse» importante 6. Un recours à un somnifère dans cette situation doit également être de courte durée, au maximum une semaine. Dans les autres cas, le choix doit se porter sur des interventions non médicamenteuses (contrôle du stimulus et traitements comportementaux cognitifs dont l’efficacité est prouvée et l’applicabilité chez des personnes âgées démontrée) 7-8. L’efficacité à long terme de ces interventions est, de plus, démontrée 8-9. Des formations incluant une prise en charge non médicamenteuse sont actuellement organisées en Belgique pour les médecins généralistes. En tout cas, une alternative non médicamenteuse accessible en première ligne de soins ne peut être effective que si certaines conditions complémentaires sont satisfaites, telles qu’une rémunération suffisante pour le médecin généraliste investissant le temps supplémentaire nécessaire pour cette intervention. Enfin, pour le groupe de personnes âgées qui veulent malgré tout être traitées par des médicaments, des études en première ligne sont nécessaires pour évaluer l’efficacité et les effets indésirables d’autres hypnotiques non benzodiazépines, tels que l’antidépresseur sédatif fort utilisé, la trazodone. Une méta-analyse évaluant l’efficacité et la sécurité de ce médicament en cas d’insomnie n’a pu trouver qu’une seule étude contrôlée versus placebo chez des adultes présentant une insomnie primaire (n=306, âge de 21 à 65 ans). Sous trazodone, les patients mentionnent un gain significatif pour la majorité des paramètres du sommeil durant la première semaine de traitement, mais cet effet disparaît la deuxième semaine 10.
Conclusion
Cette méta-analyse montre qu’une utilisation à court terme d’un somnifère chez des personnes âgées apporte un bénéfice statistiquement significatif pour leur sommeil, mais que la pertinence clinique de ce gain est douteuse. L’effet limité ne contrebalance pas le risque d’effets indésirables. Chez les personnes âgées de plus de soixante ans, une prudence particulière est de mise en raison du risque accru de chutes et de troubles cognitifs.
Références
- Holbrook AM, Crowther R, Lotter A. Meta-analysis of benzodiazepine use in the treatment of insomnia. CMAJ 2000;162:225-33.
- Dundar Y, Boland A, Strobl J et al. Newer hypnotic drugs for the short-term management of insomnia: a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2004 8(24):iii-x, 1-125.
- Wang PS, Bohn RL, Glynn RJ et al. Hazardous benzodiazepine regimens in the elderly: effects of half-life, dosage, and duration on risk of hip fracture. Am J Psychiatry 2001;158:892-8.
- Pierfitte C, Macouillard G, Thicoïpe M et al. Benzodiazepines and hip fractures in elderly people: case-control study. BMJ 2001;332:704-8.
- Hemmelgarn B, Suissa S, Huang A et al. Benzodiazepine use and the risk of motor vehicle crash in the elderly. JAMA 1997;278:27-31.
- Declercq T, Rogiers R, Habraken H et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Aanpak van slapeloosheid in de eerste lijn. Huisarts Nu 2005;34:346-71.
- Morin CM, Hauri PJ, Espie CA et al. Non pharmacologic treatment of chronic insomnia. An American Academy of Sleep Medicine review. Sleep 1999;22:1134-56.
- Morin CM, Colecchi C, Stone J et al. Behavioral and pharmacological therapies for late-life insomnia. A randomized controlled trial. JAMA 1999;281:991-9.
- Jacobs GD, Pace-Schott EF, Stickgold R, Otto MW. Cognitive behavior therapy and pharmacotherapy for insomnia. Arch Intern Med 2004;164:1888-96.
- Mendelson WB. A review of the evidence for the efficacy and safety of trazodone in insomnia. J Clin Psychiatry 2005;66:469-76.
Auteurs
Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Habraken H.
Farmaka vzw
COI :
Glossaire
Code
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