Revue d'Evidence-Based Medicine
Le rôle de la vitamine D dans la prévention des fractures
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 3 Page 41 - 43
Professions de santé
Résumé
Contexte
En atteignant leur neuvième décade, une femme sur trois et un homme sur six ont présenté une fracture de hanche. Dans 50% des cas cette fracture laisse des séquelles fonctionnelles permanentes et dans 10 à 20%, un décès suit dans l'année de la fracture. Son coût financier est important. La prévention des fractures ostéoporotiques de hanche (ou autres) est donc importante. Une synthèse méthodique des études évaluant l'efficacité de suppléments de vitamine D dans la prévention des fractures de hanche ou non vertébrales en général n'avait pas encore été faite. Une synthèse méthodique a montré des preuves limitées de prévention des fractures vertébrales chez des femmes ménopausées grâce au calcitriol 1.
Méthode
Synthèse méthodique et méta-analyse.
Sources consultées
Les auteurs ont recherché, sans restriction de langue, les publications dans Medline, Embase, le Cochrane Controlled Trials Register. D’autres études ont été localisées en examinant les références, les abstracts présentés à l'American Society for Bone and Mineral Research ainsi que lors de contacts avec des experts cliniciens.
Sélection des études
Les études randomisées, en double aveugle, comparant l'administration de suppléments de vitamine D (colécalciférol, ergocalciférol) avec ou sans supplément calcique, à un traitement par calcium seul ou par placebo, évaluant leur efficacité préventive sur les fractures de hanche ou non vertébrales ont été incluses. Seules les études sur un suivi minimal d'un an et mentionnant au moins une fracture ont été sélectionnées.
Population concernée
Les études sélectionnées concernent des personnes âgées d'au moins 60 ans. Les sept RCTs incluses dans l'analyse primaire concernent 9 820 patients d'un âge moyen de 79 ans, dont 68% sont des femmes, institutionnalisés ou non. Les critères d'exclusion des études sont: absence de bras contrôle, post greffe d'organe ou accident vasculaire cérébral, corticostéroïdothérapie, maladie de Parkinson, état de santé instable et post hospitalisation aiguë.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est le risque relatif d'incidence d'une première fracture de hanche ou de toute autre fracture non vertébrale. La qualité des études a été évaluée concernant les biais principaux possibles. Une analyse de sensibilité est réalisée, incluant les trois études comportant des critères d'inclusion moins stricts, études exclues de l'analyse primaire sur sept RCTs. L'hétérogénéité est étudiée et une analyse en méta-régression pour les doses de vitamine D administrées est réalisée.
Résultats
Les doses de vitamine D administrées varient de 400 UI à 800 UI/jour et l'apport calcique (par l'alimentation et/ou suppléments) de 450 à 1 200 mg/jour. Le risque relatif (RR) de fracture de hanche est de 0,88 (IC à 95% de 0,69 à 1,13), mais les études sont hétérogènes. Une homogénéité est présente si l'analyse est faite suivant les doses de vitamine D administrées. Pour les trois études avec une dose de 700 à 800 UI/jour (n= 5 572), le RR sommé est de 0,74 (IC à 95% de 0,61 à 0,88), suggérant une réduction de fracture de 26%, avec un NST de 45 (IC à 95% de 28 à 114). Pour une dose de 400 UI/jour le RR n'est pas significatif (RR: 1,15; IC à 95% de 0,88 à 1,50). Le RR de toute fracture non vertébrale est de 0,83 (IC à 95% de 0,70 à 0,98) mais avec une hétérogénéité des études. Ici aussi, une analyse suivant la dose quotidienne de vitamine D montre une homogénéité avec un RR de 0,77 (IC à 95% de 0,68 à 0,87) pour une dose de 700-800 UI/jour (cinq études, n=6 098), suggérant une réduction de fracture de 23%, avec un NST de 27 (IC à 95% de 19 à 49). Résultat également non significatif pour une dose de 400 UI/jour (RR 1,03; IC à 95% de 0,86 à 1,24). Une réduction plus grande des fractures est observée en cas de taux sérique de 25-hydroxyvitamine D plus élevée pour les deux critères de jugement précédemment mentionnés. Une analyse incluant les trois études moins strictes double la population (n=17 736) et confirme les données précédentes.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que des suppléments oraux de vitamine D de 700 à 800 UI par jour semblent réduire le risque de fracture de hanche ou de toute fracture non vertébrale chez des personnes âgées institutionnalisées ou non. Une dose orale de 400 UI par jour est insuffisante en termes de prévention des fractures.
Financement
Medical Foundation et James Knox Memorial Foundation.
Conflits d'intérêt
Aucun n’est déclaré. Les sponsors n'ont participé à aucun des stades de l'étude.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette méta-analyse se fonde sur une méthodologie rigoureuse de recherche, d'évaluation et d'analyse des études. Les auteurs réalisent des études de sensibilité qui permettent de tirer des conclusions importantes pour la pratique. Ils mentionnent eux-mêmes les différentes limites présentées par les études. La première est le taux de sorties d'étude. S'il est équivalent dans les groupes de traitement, il est peu important chez les patients vivant dans la communauté (7%) mais très important chez les patients institutionnalisés (67%). Les résultats sont donc moins transposables pour les personnes en institution. Les études incluent moins d'hommes que de femmes. Une analyse limitée aux données pour les hommes ne montre pas de résultat significatif en termes de prévention des fractures de hanche ou non vertébrales dans leur ensemble. Les études les plus rigoureuses se limitent à l'administration de vitamine D sous forme de colécalciférol. Les conclusions ne sont donc valides que pour ce médicament. La présence ou non d’une fracture vertébrale avant l’inclusion n’est pas évaluée. Il n’est donc pas possible de tirer, séparément, des conclusions pour la prévention primaire (absence de toute fracture) ou secondaire (fracture vertébrale à l’anamnèse).
Interprétation des résultats
Aucune conclusion formelle de l'effet complémentaire éventuel de l'apport de suppléments de calcium à celui de vitamine D ne peut être tirée de cette étude. Toutes les études avec des doses plus fortes de vitamine D (sauf une, la plus importante en nombre de patients, celle de Trivedi 2) comportent cependant une administration de suppléments de calcium. Dans l'étude de Trivedi, l'apport quotidien moyen en calcium est de 742 mg. L’administration de calcium seul n’est pas efficace en prévention des fractures vertébrales et non vertébrales chez la femme ménopausée 3. L'administration de suppléments de vitamine D a montré une efficacité dans la réduction de la perte osseuse, un gain pour la force musculaire 4, sur l'équilibre 5 et sur la réduction du nombre de chutes 6 sans notification cependant, dans cette dernière méta-analyse, des lésions prévenues. Une efficacité préventive supérieure est observée en cas d'obtention de taux sériques plus importants en 25-hydroxyvitamine D. La dose de supplément vitaminique D pourrait donc être dépendante d'autres facteurs comme l'institutionnalisation, le climat ou l'alimentation déterminant le taux initial en vitamine D. L'utilité de déterminer systématiquement ce dosage reste une question non résolue par la présente étude. La sécurité de la vitamine D (avec ou sans calcium) n’est pas évaluée dans cette méta-analyse. Une toxicité potentielle est signalée 7, en particulier en cas d’hypercalcémie présente, de surdosage ou chez des personnes recevant de hautes doses d’analogues de la vitamine D comme traitement d’une hyperparathyroïdie secondaire à une insuffisance rénale.
Autres études
Une RCT récente 8 ne montre pas d'efficacité de l'administration de 800 UI de vitamine D3 (colécalciférol) et de calcium (1 000 mg de carbonate) en prévention secondaire de toute nouvelle fracture, comme en prévention des fractures de hanche (26% des fractures), du nombre de chutes ou de la qualité de vie, et ceci chez des patients âgés en moyenne de 77 ans et non immobilisés avant leur première fracture. A noter dans cette étude, un taux important d'arrêt de traitement (35,8% pour ceux dont les données sont disponibles à 24 mois). Une autre RCT récente 9, évaluant l'efficacité préventive (primaire ou secondaire) de l'administration de 800 UI de vitamine D3 et de calcium (1 000mg de carbonate) chez des femmes âgées de plus de 70 ans (moyenne de 77 ans) et présentant au moins un risque de fracture de hanche: poids corporel < 58 kg, toute fracture précédente, antécédent maternel de fracture de hanche, tabagisme, état de santé médiocre ou passable. Cette étude ouverte ne montre également pas de bénéfice pour la prévention des fractures (toute fracture ou celle de hanche ou celles de hanche et de poignet) ni pour la prévention des chutes. Les auteurs reconnaissent cependant une faible incidence de fractures dans leur étude, de larges intervalles de confiance et donc un manque possible de puissance pour mettre un faible bénéfice en évidence. A noter dans cette étude également, une faible adhérence thérapeutique (63% à 12 mois, 58,6% à 18 mois).
Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité montre l'efficacité d'une administration d'un supplément quotidien de vitamine D sous la forme de colécalciférol (avec du calcium dans la majorité des études) chez des femmes âgées institutionnalisées ou non pour la prévention d'une première fracture, de hanche ou non vertébrale en général. Une dose quotidienne de 700 ou 800 UI par jour semble nécessaire mais la dose optimale est probablement dépendante du taux sanguin initial en vitamine D. Pour les hommes, les preuves manquent.
Références
- Gillespie WJ, Avenell A, Henry DA et al. Vitamin D and vitamin D analogues for preventing fractures associated with involutional and post-menopausal osteoporosis (Cochrane Review). Cochrane Database Syst Revs 2005, Issue 3.
- Trivedi DP, Doll R, Khaw KT. Effect of four monthly oral vitamin D3 (cholecalciferol) supplementation on fractures and mortality in men and women living in the community: randomised double blind controlled trial. BMJ 2003;326:469-74.
- Shea BJ, Adachi JD, Cranney A et al. Calcium supplementation on bone loss in postmenopausal women (Cochrane Review). Cochrane Database Syst Re 2004, Issue 1.
- Bischoff HA, Stahelin HB, Dick W et al. Effects of vitamin D and calcium supplementation on falls: a randomized controlled trial. J Bone Miner Res 2003;18:343-51.
- Pfeiffer M, Begerow B, Minne HW et al. Effects of a short-term vitamin D and calcium supplementation on body sway and secondary hyperparathyroidism in elderly women. J Bone Miner Res 2000;15:1113-8.
- Bischoff-Ferrari HA, Dawson-Hughes B, Willett CW, et al. Effect of vitamin D on falls: a meta-analysis. JAMA 2004;291:1999-2006.
- Vitamin D substances. Martindale The complete drug Reference 33th edition 2002:1391.
- RECORD trial group. Oral vitamin D3 and calcium for secondary prevention of low-trauma fractures in elderly people (Randomised Evaluation of Calcium Or vitamin D, RECORD): a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2005;365:1621-8.
- Porthouse J, Cockayne S, King C et al. Randomised controlled trial of calcium and supplementation with cholecalciferol (vitamin D3) for prevention of fractures in primary care. BMJ 2005;330:1003-8.
Noms de marque
Colécalciférol: D-cure®; Calcitriol: Rocaltrol®
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