Revue d'Evidence-Based Medicine
Probiotiques en prévention des infections chez les enfants
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 13 - 14
Professions de santé
Résumé
Contexte
Certaines études effectuées chez des nourrissons nourris au biberon ont montré que l'incidence des infections intestinales diminue lors de l’ajout de probiotiques au lait 1. Les nourrissons qui fréquentent une crèche, présentent plus fréquemment des infections respiratoires et gastro-intestinales. Une prévention possible des infections dans ce groupe d'enfants n’a pas encore été évaluée de manière satisfaisante.
Population étudiée
Durant deux ans, les auteurs ont recruté, dans 14 crèches israéliennes, 209 nourrissons sains, nés à terme, âgés de quatre à dix mois, sevrés du sein maternel depuis deux semaines. Sont exclus, les nourrissons présentant: un poids de naissance faible (< 2 500 g), «failure to thrive», une affection chronique, une allergie ou une administration récente de probiotique, de prébiotique ou d’antibiotiques. Finalement, 201 nourrissons d'un âge moyen de 6,7 mois (ET 1,6) sont inclus dans l'étude. Les groupes d'étude ne diffèrent pas en ce qui concerne l'âge, le poids de naissance, le sexe, l'ordre de rang dans la famille, l’allaitement maternel préalable, le tabagisme des parents, la présence d'animaux domestiques.
Méthodologie
Dans cette étude clinique prospective, en double aveugle, randomisée, les enfants sont nourris durant douze semaines avec un lait de suite standard (groupe contrôle, n=60), ou avec le même lait de suite enrichi de Bifidobacterium lactis (n=73) ou de Lactobacillus reuteri (n=68). Les parents complètent tous les jours un questionnaire mentionnant rhinorrhée, toux, dyspnée, fièvre, diarrhée, consultation d’un médecin, médication, absentéisme à la crèche, alimentation, comportement et caractéristiques des selles. Le poids, la taille et le périmètre crânien sont mesurés au départ, et après quatre, huit et douze semaines.
Mesure des résultats
Les critères d'évaluation primaires sont: le nombre d'épisodes et de jours avec fièvre (> 38°C), les symptômes des voies aériennes et la diarrhée (>= 3 selles aqueuses par jour). Les critères d'évaluation secondaires sont le nombre de consultations médicales, l’absentéisme à la crèche et le nombre de prescriptions d'antibiotiques. L'analyse est faite en intention de traiter.
Résultats
Tous les nourrissons connaissent, durant l'étude, une évolution normale en ce qui concerne le poids, la taille et le périmètre crânien. Les sorties d’étude sont semblables pour les trois groupes et causées par la mauvaise observance des parents pour sept nourrissons. Les nourrissons du groupe Lactobacillus reuteri et du groupe Bifidobacterium lactis présentent significativement moins d'épisodes de fièvre et moins de jours de diarrhée que les enfants du groupe contrôle (voir tableau). Le nombre de jours de fièvre n'est moindre que dans le groupe Lactobacillus reuteri. Pas de différence significative entre les différents bras de l'étude en ce qui concerne les symptômes respiratoires (voir tableau). Le bras Lactobacillus reuteri connaît une diminution significative des consultations médicales, des prescriptions d'antibiotiques et des jours d'absence à la crèche en comparaison avec les autres bras. Aucun effet indésirable n’est mentionné.
Tableau: Critères d'évaluation primaires dans les bras d'études, exprimés en nombre moyen d'épisodes ou de jours (IC à 95%).
Paramètre |
Groupe contrôle |
Bifidobacterium |
Lactobacillus |
Valeur p |
Épisodes de fièvre |
0,41 (0,28 - 0,54) |
0,27 (0,17 - 0,37) |
0,11 (0,04 - 0,18) |
p<0,001† |
Nombre de jours de fièvre |
0,83 (0,50 - 1,16) |
0,86 (0,33 - 1,39) |
0,17 (0,04 - 0,30) |
p<0,001* |
Episodes de diarrhée |
0,31 (0,22 - 0,40) |
0,13 (0,05 - 0,21) |
0,02 (0,01 - 0,05) |
p<0,001† |
Nombre de jours de diarrhée |
0,59 (0,34 - 0,84) |
0,37 (0,08 - 0,66) |
0,15 (0,12 - 0,18) |
p<0,001† |
Episodes de symptômes des voies respiratoires |
0,24 (0,13 - 0,35) |
0,25 (0,15 - 0,35) |
0,17 (0,08 - 0,26) |
p=0,457 |
Nombre de jours avec symptômes des voies respiratoires |
0,60 (0,31 - 0,89) |
0,68 (0,17 - 1,19) |
0,38 (0,10 - 0,66) |
p=0,169 |
† bras Bifidobacterium et Lactobacillus comparé au groupe contrôle.
* groupe Lactobacillus comparé au groupe avec Bifidobacterium et groupe contrôle.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les enfants nourris avec un supplément de Lactobacillus reuteri ou de Bifidobacterium lactis présentent moins d'épisodes de fièvre et de diarrhée et que ceux-ci sont plus courts sans qu'il y ait d'effet sur les symptômes respiratoires. Le Lactobacillus reuteri est plus efficace que le Bifidobacterium lactis.
Financement
Materna Laboratories, Maabarot, Israël.
Conflits d'intérêt
Non mentionnés.
Discussion
Limites méthodologiques
Le protocole de l'étude est correct. Les conditions de vie et les standards d'hygiène en Israël sont comparables à ceux de l'Europe de l'Ouest. La durée de l'étude est, par contre, limitée (douze semaines) et peu d'infections sont mentionnées durant l'étude, de sorte qu’une efficacité est difficile à montrer. Les infections récidivantes fréquentes se sont peu manifestées, également dans le groupe placebo. Lorsque l'incidence des infections n'est pas élevée, il est peu pertinent de vouloir encore diminuer celles-ci en rajoutant des probiotiques à la nourriture des nourrissons. Les auteurs admettent eux-mêmes, dans leur discussion, que l'efficacité de l'adjonction de probiotiques, quoique significative, est faible et cliniquement peu pertinente.
Il est regrettable que les résultats n'aient été exprimés qu'en moyenne par enfant (par exemple, 0,11 épisode de fièvre), et non en nombre d'enfants qui présentent, dans chaque groupe, un épisode de maladie. Ceci rend le calcul du NST impossible.
Autres études
Les probiotiques, bactéries non pathogènes, dont on attend un effet favorable sur la santé de l'hôte, sont un centre d'intérêt. L'adjonction de probiotiques ou de prébiotiques (substrats qui favorisent le développement des bifidobactéries et des lactobacilles) à l'alimentation artificielle pour nourrissons produit un effet sur la flore intestinale des bébés qui boivent ce lait tant qu'ils continuent à boire ce lait enrichi. Quelques études ont évalué si cette flore, qui ressemble à la flore intestinale des bébés nourris au sein, a également un effet favorable sur la santé de ces bébés. Le probiotique le plus évalué et dont on a pu montrer le plus d'effets favorables est le Lactobacillus reuteri ou Lactobacillus GG 2. Dans cette étude également, l'effet le plus prononcé est observé chez les nourrissons qui reçoivent ce probiotique dans leur nourriture. Il n'existe cependant pas d'étude qui fasse la comparaison avec des nourrissons allaités au sein (l'étalon d'or pour l'alimentation des nourrissons). L'effet d'un probiotique ne peut être étendu à d'autres probiotiques (comme l'effet d'un antibiotique ne peut être généralisé vers un autre).
Les données disponibles démontrent que l'adjonction de probiotiques au lait de nourrissons ne provoque pas d'effet indésirable. Il est cependant prématuré d'affirmer que des effets favorables cliniquement pertinents concernant la santé des nourrissons ont été prouvés. D'autres études à long terme sont nécessaires.
Conclusion
Cette étude montre que l'adjonction de probiotiques à l’alimentation au biberon d’enfants fréquentant une crèche entraîne une réduction du nombre et de la durée des infections. L'efficacité est cependant faible et il s’agit d’une petite étude avec un suivi fort court. A l'heure actuelle, les arguments sont insuffisants pour préférer une alimentation pour nourrissons enrichie en probiotiques plutôt qu'une alimentation adaptée pour nourrissons sans cette adjonction.
Références
- Szajewska H, Mrukowics JZ. Probiotics in the treatment and prevention of acute infectious diarrhea in infants and children: a systematic review of published randomized, double-blind placebo-controlled trials. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2001;33:S17-25.
- Hatakka K, Savilahti E, Ponka A et al. Effect of long term consumption of probiotic milk on infections in children attending day care centres: double blind, randomised trial. BMJ 2001;322:1327-31.
Ajoutez un commentaire
Commentaires