Revue d'Evidence-Based Medicine
Dépistage et thérapie brève d'une consommation abusive d'alcool
Minerva 2004 Volume 3 Numéro 8 Page 132 - 134
Professions de santé
Résumé
Contexte
Les médecins généralistes sont incités à dépister une consommation excessive d'alcool au moyen de questionnaires standardisés. Une courte intervention (information, avis ou feed-back) permettrait de diminuer la consommation d'alcool 1,2. L'efficacité d'un dépistage couplé à une courte intervention n'avait pas encore été évaluée.
Méthodologie
Méta-analyse
Sources consultées
Les bases de données Medline, Embase, PsycInfo, CENTRAL et ETOH ont été consultées. Les références citées dans de précédentes synthèses et études ont également été explorées, et des experts européens ont été consultés.
Etudes sélectionnées
Ont été sélectionnées, les RCTs comportant un dépistage de consommation abusive d'alcool (non de dépendance) suivi d'une courte intervention (moins d'une heure), réalisés en médecine générale. Ces études devaient mentionner au moins un critère de jugement évaluant un changement clinique pertinent dans l'utilisation d'alcool.
Population étudiée
Patients adultes en médecine générale.
Mesure des résultats
La réduction absolue de risque (RAR), soit la différence de proportion de participants déclarant, après douze mois, un usage d'alcool sous la limite hebdomadaire par rapport aux données de départ, est calculée en intention de traiter. Le Nombre de Sujets à Traiter (NST): une valeur négative représente un moins bon résultat, une valeur positive un bénéfice.Par exemple, un NST=20 signifie qu'un patient supplémentaire tire bénéfice de l'intervention pour vingt patients la recevant.
L'effet du dépistage est l'évaluation du nombre de patients présentant un résultat positif au terme de l'intervention sur 1 000 patients dépistés. Ce chiffre est calculé en multipliant la prévalence de cas traitables (nombre de sujets inclus pour la courte intervention divisé par le nombre de dépistés) par la réduction absolue de risque.
Les résultats des études sont sommés par le modèle d'effet fixe.
Résultats
Au total, 19 études sont sélectionnées. Un nombre important de personnes dépistées positives sont exclues avant la randomisation lors d'une deuxième évaluation (problèmes sévères d'alcoolisme, faux positifs), pour autre motif ou pour refus de poursuivre l'étude. Dans la métaanalyse, huit études satisfaisant aux critères d'inclusion (mention du nombre de patients dépistés et emploi d'un critère clinique pertinent) sont finalement incorporées. Les interventions variaient d'une consultation de dix minutes à cinq consultations de maximum vingt minutes. Elles comprenaient toutes un feedback de la consommation actuelle de boissons alcoolisées, une information sur les risques de cet usage et les possibilités de modifier cette consommation. La plupart des études avaient un taux de suivi important pour les patients inclus. La RAR de la sommation atteint 10,5% (IC à 95% de 7,1 à 13,9) et le NST=10 (IC à 95% de 7 à 14). Avec une prévalence moyenne de 2,46%, l'efficacité du dépistage (sommée) est de 2,6 (IC à 95% de 1,7 à 3,4) pour 1 000 patients. Autrement dit, sur 1 000 patients dépistés, 90 se révélaient "positifs" et nécessitaient un suivi ultérieur, 25 bénéficiaient d'une courte intervention et 2,6 déclaraient, après un an, consommer moins d'alcool.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, malgré l'efficacité d'un avis bref dans la réduction d'une consommation excessive d'alcool, un dépistage de celle-ci en médecine générale ne semble pas efficace pour la sélection des patients pour cette courte intervention.
Financement
L'étude est financée par le Ministère danois de la Santé Publique, et l'association danoise des conseils provinciaux.
Conflits d'intérêt
Non mentionnés.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La question posée par cette synthèse méthodique est claire: il s'agit uniquement de patients de médecins généralistes recevant, après un dépistage organisé, une "courte" intervention. La définition de consommation excessive d'alcool est cependant moins claire et même différente suivant les études (normes plus strictes aux E.U. >11-14 unités par semaine, qu'au Royaume Uni > 17-29 unités par semaine). La façon de dépister varie également selon les études. Les auteurs prétendent avoir consulté toutes les bases de données pertinentes mais seule la récolte dans Medline est présentée avec un complément issu de PsycInfo. Aucune mention additive des autres banques de données.Aucune restriction de date n'était faite mais seules les publications en langue anglaise ont été incluses. Ces limites influencent la qualité et l'aspect méthodique de cette synthèse (biais de publication!). Nous ne pouvons donc objectiver la pertinence des résultats. La sélection est faite par deux chercheurs (de manière indépendante?) suivant des critères précis d'inclusion et d'exclusion, de valeur seuil est une valeur basale déterminée (arbitrairement) pour le résultat d’un test. Si le résultat du test est égal ou plus élevé que la valeur seuil, le test est alors considéré comme positif.">validité interne (biais de sélection, performance, attrition et détection) et de validité externe. Les auteurs décrivent dans leur étude différentes catégories de patients à prendre en considération pour le dépistage. Les critères d'inclusion varient cependant peu et le groupe paraît relativement homogène. L'analyse statistique de l'protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. Dans les méta-analyses, il est important que les études rassemblées soient aussi homogènes que possible. Nous pouvons évaluer la présence d’hétérogénéité statistique entre différentes études par une analyse critique des méthodologies de recherche employées dans les études, par une mise en graphique (plot) de comparaison des différentes études ou par des tests statistiques (Q-test ou test I² de Higgins).">hétérogénéité montre une relative homogénéité et un modèle d'effet fixe est donc utilisé pour calculer les mesures moyennes et les intervalles de confiance.
Pourquoi cette différence entre 90 patients dépistés "positifs" et seulement 25 inclus dans l'intervention? Le suivi de l'intervention n'est-il pas trop limité? La plupart des études comportaient un suivi d'un an à l'exception d'une étude d'un terme de six mois seulement. Le suivi était toujours ≥85%. Les données utilisées dans cette méta-analyse diffèrent des résultats des études originales puisque le critère de la méta-analyse est la proportion de réussite lors du suivi. Les auteurs font cependant une correction pour les patients perdus de vue en cours d’études en ignorant le fait que dans l'analyse publiée de l'étude originale, ceci avait déjà été fait.Les critères employés suscitent également davantage de discussions. L'efficacité sommée du dépistage, utilisée pour mesurer l'avantage d'une méthode de dépistage est, c'est le moins que l'on puisse dire, controversée. Mesure-t-on l'efficacité par rapport à 1 000 patients ou voit-on ses efforts mieux récompensés quand on regarde le bénéfice sur 25 patients? L'intervention ne porte que sur 25 patients parmi 90 pris en considération. Ceci est probablement lié au fait que quelques sujets étaient jugés faux positifs, refusaient de répondre à l'offre de leur médecin ou niaient la présence d'un problème. Toutes ces données sont inhérentes à la relation médecinpatient et à la pathologie concernée.
Le dépistage et un traitement bref en valent-ils la peine?
Les bénéfices d'un dépistage d'un alcoolisme et d'une brève intervention couplée sont-ils suffisants? Cette méta-analyse ne peut répondre à cette question.La plupart des études se déroulent dans des conditions "optimales" et obtiennent donc des résultats supérieurs à ceux observés dans la pratique quotidienne. Plusieurs études ont montré l'intérêt et le bénéfice de courtes interventions, mais toutes les interventions complémentaires se déroulaient en dehors des consultations normales 3,4. Le principal intérêt de cette méta-analyse est de souligner les défaillances des études réalisées et la nécessité de plus grandes études montrant un gain objectif au point de vue santé. Par ailleurs, il est démontré que le fait de poser quelques questions sur la consommation d'alcool (AUDIT,CAGE) est peu coûteux 5 et que le fait de donner une information pertinente peut réduire la consommation d'alcool ainsi que les problèmes liés à l'alcool 6,7,8. Enfin, il est connu qu'un dépistage systématique des problèmes liés à l'alcool donne des résultats bien supérieurs à une recherche de cas, dans laquelle le médecin généraliste évalue mal et ne trouve un patient présentant un problème d'alcool que dans 30% des cas 9.
Conclusion
Cette méta-analyse conclut qu'un dépistage systématique, en pratique de médecine générale, d'un usage excessif d'alcool n'est guère efficace pour identifier les patients à prendre en considération pour une courte intervention. D'autres recherches sont nécessaires pour pouvoir recommander une stratégie faisable et efficiente en première ligne dans l'identification et la prise en charge de la problématique de la consommation d'alcool.
Références
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- Moyer A, Finney JW, Swearingen CE, Vergun P. Brief interventions for alcohol problems: a meta-analytic review of controlled investigations in treatment-seeking and non-treatment-seeking populations. Addiction 2002;97:279-92.
- Aertgeerts B, Buntinx F, Ansoms S, Fevery J. Screening properties of questionnaires and laboratory tests for the detection of alcohol abuse or dependence in a general practice population. Br J Gen Pract 2001;51:206-17.
Auteurs
Aertgeerts B.
Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven,CEBAM
COI :
Mots-clés
alcoolismeCode
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