Revue d'Evidence-Based Medicine



Warfarine ou aspirine pour la prévention de la récidive de l'AVC ischémique?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 6 Page 99 - 101

Professions de santé


Analyse de
Mohr JP, Thompson JL, Lazar RM et al. Warfarin-Aspirin Recurrent Stroke Study Group. A comparison of warfarin and aspirin for the prevention of recurrent ischemic stroke. N Engl J Med 2001;345:1444-51


Question clinique
Pour des patients ayant connu un premier épisode d’accident vasculaire (AVC) ischémique et ne présentant ni sténose carotidienne ni cardiopathie emboligène, la prévention secondaire doit-elle privilégier les agents anticoagulants (warfarine) par rapport aux antiagrégants (aspirine)?


Conclusion
Chez les patients ayant présenté un AVC, sans sténose carotidienne, ni fibrillation auriculaire, ni allergie à l'aspirine, l'aspirine à une dose de 75 à 100mg/24h reste le premier choix pour prévenir une récidive d'AVC.


 

Résumé

Contexte

La survenue d’un AVC ischémique affecte annuellement près de 450 000 patients aux Etats-Unis. La revalidation associée à la prévention des récidives constituent les deux objectifs principaux de la prise en charge de cette affection. La modalité de prévention des récidives est fonction des circonstances de l’AVC. Si une sténose carotidienne est documentée, l’endartériectomie doit être privilégiée. Chez les patients présentant une cardiopathie emboligène (fibrillation auriculaire par exemple), l’anticoagulation orale est supérieure à l’aspirine et doit être recommandée en l’absence de contre-indication. Cependant, près de deux tiers des patients ne présentent pas ces pathologies et la question de leur prise en charge en prévention secondaire étant posée, c’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude WARSS (Warfarin-Aspirin Recurrent Stroke Study).

Population étudiée

Les 2 206 patients ont été recrutés dans 48 centres médicaux aux E.U. L’étude a inclus des patients de 30 à 85 ans (moyenne d'âge de 63 ans) présentant des antécédents d’AVC ischémique récent (dans les 30 jours) et un score d’au moins 3 sur la Outcome Scale" data-content="Echelle précisant le status post accident vasculaire cérébral: 1=décès, 2=status végétatif résiduel, 3=invalidité sévère (incapacité d'autonomie dans les activités de la vie quotidienne AVQ), 4=invalidité modérée (capacité d'autonomie dans les AVQ), 5=bonne récupération (limitations neurologiques ou psychologiques mineures).">Glasgow Outcome Scale. Les critères d’exclusion étaient la présence d’une sténose carotidienne ou d’une cardiopathie emboligène ou un INR >1,4.

Méthodologie de la recherche

Il s’agit d’une étude multicentrique, randomisée, en double-aveugle. Un groupe de patients (n=1 103) a reçu un traitement anticoagulant oral de type antivitamine K (warfarine) + placebo en visant un INR compris entre 1,4 et 2,8, l’autre groupe (n=1 103) recevant un traitement de 325 mg par jour d’aspirine + placebo. Pour ces derniers sujets, des INR factices furent générés tout au long de l’étude pour préserver le caractère aveugle de celle-ci. Les patients ont été suivis mensuellement (par téléphone ou visite) lors des deux années d'étude.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est une combinaison de survenue d’un nouvel AVC et d’un décès de quelque cause que ce soit. L’analyse des résultats est faite intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">en intention de traiter.

Résultats

Le nombre de sorties d’observation est faible tant dans le groupe aspirine (n=21) que dans le groupe warfarine (n=12). Pour les patients sous warfarine, l’INR moyen au cours de l’étude est de 2,1 (médiane: 1,9). Au-delà de la période d’équilibration, 70,7% des résultats d’INR sont compris dans la fourchette des valeurs souhaitées alors que 16,3% des valeurs de l’INR sont inférieurs à 1,4. Le nombre de cas de critère de jugement primaire n’est pas différent entre les deux groupes: 196/1 103 (17,8%) versus 176/1 103 (16%), rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 1,13 (IC à 95%: 0,92-1,38;p=0,25). Les accidents hémorragiques majeurs (nécessitant une transfusion) sont peu fréquents, sans différence significative entre les deux groupes (2,22 pour 100 années-patients dans le groupe warfarine et 1,49 pour 100 années-patients dans le groupe aspirine, RR=1,48, IC à 95%: 0,93-2,44; p=0,10). Les accidents hémorragiques mineurs sont significativement plus fréquents dans le groupe warfarine (RR 1,61, IC à 95%: 1,38-1,89; p<0,001).

Conclusion des auteurs

Sur base de ces résultats, les auteurs de l’étude concluent à l’absence de supériorité de la warfarine par rapport à l’aspirine dans le cadre de la prévention secondaire de la récidive d’AVC ischémique en l’absence de cardiopathie emboligène.

Financement

L’étude a reçu un soutien financier du National Institute of Neurological Disorders and Stroke (E.U.). Les médicaments ont été fournis par les firmes pharmaceutiques Dupont et Bayer.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés dans l’article.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Parmi les mérites de cette étude, citons certainement l’effectif important de patients, son caractère en double aveugle (malgré le monitoring de la warfarine), l’obtention d’INR dans la fourchette souhaitée (1,4-2,8) pour près de trois quarts des patients et la période de suivi prolongée (près de deux ans pour 98,5% des patients). Cette étude présente toutefois certaines faiblesses. Compte tenu de la fourchette d’INR souhaitée, certains patients ont été insuffisamment anticoagulés au long de l’étude, ce qui pourrait sous-estimer l’efficacité de la warfarine. Il est important de rappeler que dans une autre étude de prévention secondaire (SPIRIT) dans laquelle l’INR recherché était compris entre 3- 4,5, l’anticoagulant oral n’a pas été plus efficace que l’aspirine et a entraîné un risque hémorragique accru 1,6. Le critère d’évaluation choisi (mortalité et récidives d’AVC) est probablement trop restrictif. Idéalement, il aurait du être étendu aux hémorragies non fatales intra- et extra-crâniennes ainsi qu’aux infarctus du myocarde non fatals afin de mieux évaluer les véritables bénéfices d’un traitement par rapport à un autre. Finalement, d’un point de vue statistique, cette étude n’a pas la puissance requise pour permettre de détecter ou d’exclure des différences faibles mais cliniquement pertinentes entre les deux médications 2,3.

Place limitée pour la warfarine

Sur base des résultats de cette étude, une prévention secondaire par warfarine ne peut être envisagée que chez les patients qui satisfont aux critères d’inclusion de l’étude WARSS: AVC récent sans cardiopathie emboligène (telle que fibrillation auriculaire), absence de sténose carotidienne et de contre-indication à l’utilisation d’un anticoagulant oral. Pour ces patients, la warfarine ne doit être utilisée qu’en cas d’allergie ou d’intolérance aux agents antiplaquettaires (aspirine, clopidogrel, dipyridamole) utilisés seuls ou en association. Un suivi attentif de l’INR, aussi strict que dans l’étude WARSS, est indispensable afin de minimiser les risques hémorragiques.

Les conclusions de l’étude WARSS laissent peu de place actuellement à la warfarine dans la prévention secondaire de l’AVC ischémique. N’oublions toutefois pas que d’autres études de prévention secondaire devraient nous éclairer sur l’intérêt de la warfarine en visant un INR intermédiaire (compris entre 2 et 3) ainsi que chez les patients présentant un AVC d’étiologie spécifique (athéromatose de la crosse aortique (étude ARCH), athérosclérose des larges vaisseaux intracrâniens (étude WASID)5 ou syndrome antiphospholipide). Il n’est pas exclu que chez certains de ces patients la warfarine se révèle supérieure à l’aspirine.

 

Recommandations pour la pratique

Chez les patients ayant présenté un AVC, sans sténose carotidienne, ni fibrillation auriculaire, ni allergie à l'aspirine, l'aspirine à une dose de 75 à 100mg/24h 6 reste le premier choix pour prévenir une récidive d'AVC.

La rédaction

 

Références

  1. The Stroke Prevention in Reversible Ischemia Trial (SPIRIT) Study Group. A randomized trial of antico-agulants versus aspirin after cerebral ischemia of presumed arterial origin. Ann Neurol 1997;42:857-65.
  2. Powers WJ. Oral anticoagulant therapy for the prevention of stroke. N Engl J Med 2001;345:1493-5.
  3. Hankey GJ. Warfarin-Aspirin Recurrent Stroke Study (WARSS) Trial: Is warfarin really a reasonable therapeutic alternative to aspirin for preventing recurrent noncardioembolic ischemic stroke? Stroke 2002;33:1723-6.
  4. Maclead MR, Donnan GA. Atheroma of the aortic arch: the missing link in the secondary prevention of stroke? Expert Rev Cardiovasc Ther 2003;1:487-9.
  5. Warfarin-Aspirin Symptomatic Intracranial Diseases (WASID) Trial Investigators. Design, progress and challenges of a double-blind trial of warfarin vs aspirin for symptomatic intracranial arterial stenosis. Neuro-epidemiology 2003;22:106-17.
  6. Bogaert M. Secundaire preventie na cerebrale ischemie. Huisarts Nu (Minerva) 1998; 27(3):318-21.
Warfarine ou aspirine pour la prévention de la récidive de l'AVC ischémique?

Auteurs

Hermans C.
Service d’Hématologie, Maladies Thrombotiques et Hémorragiques, Clin. Univ. Saint-Luc, Bruxelles
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