Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage du cancer de la prostate



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 8 Page 128 - 131

Professions de santé


Analyse de
Gann PH, Ma J, Catalona WJ, Stampfer MJ. Strategies combining total and percent free prostate specific antigen for detecting prostate cancer : a prospective evaluation. J Urol 2002;167:2427-34.


Question clinique
Quel est l’intérêt de combiner PSA total et PSA libre dans la stratégie de dépistage du cancer de la prostate ?


Conclusion
Une expectative prudente reste la meilleure stratégie dans l’implantation de programmes de dépistage de cancer de la prostate. Entre-temps, l’utilisation de la détermination du PSA comme test pour le dépistage du cancer de la prostate doit rester très limité chez les hommes asymptomatiques. D’autres études sont nécessaires pour déterminer le traitement optimal de lésions précoces et des procédures diagnostiques (de dépistage) plus spécifiques.


 

Résumé

Contexte

La détermination du seul taux de PSA total en dépistage du diagnostic précoce du cancer de la prostate n’est pas satisfaisante étant donné le pourcentage inacceptablement élevé de faux positifs.

Différentes méthodes ont été successivement proposées dans l’espoir de résoudre ce problème sans provoquer une réduction de la puissance de détection du test : seuils suivant les tranches d’âge, évaluation du PSA dans le temps, relation du taux de PSA en fonction du volume de la prostate à l’échographie. La détermination du PSA libre serait une méthode fort prometteuse.

D’une part, les hommes atteints de cancer de la prostate ont un pourcentage plus élevé de PSA lié à plusieurs protéines sériques et donc un pourcentage moins élevé de PSA libre que les hommes sans cancer de la prostate. D’autre part, la présence d’une hypertrophie bénigne de la prostate augmenterait le taux de PSA libre.

Population de l’étude

Cette étude a recruté des patients dans une autre recherche randomisée, contrôlée versus placebo, la Physician’s Health Study (PHS) qui a étudié l’efficacité de l’aspirine et du bétacarotène chez 22 071 médecins masculins américains. Ils sont âgés de 40 à 84 ans, à l’inclusion, en 1982. Sont exclus les hommes avec une anamnèse de maladie cardiovasculaire, un cancer (à l’exception du mélanome), une pathologie rénale ou hépatique, un ulcère gastrique, de la goutte ou une contre-indication à l’utilisation d’aspirine, prenant des d’anticoagulants ou de la vitamine A. Pour les 14 916 participants inclus dans l’étude, un prélèvement de plasma a été réalisé et stocké à > -70°C. L’étude a inclus 430 hommes atteints d’un cancer de la prostate et 1 642 hommes sans ce cancer. Leur âge moyen est de 60,5 ans et 92 % sont âgés de plus de 50 ans.

Méthodologie de l’étude

Dans cette étude étude cas-témoins sur un échantillon, les cas et les témoins sont recrutés dans la population d’une étude de cohorte. Dans le déroulement de l’étude, quand suffisamment de cas de maladies sont identifiés, des personnes non atteintes de cette maladie sont recherchées au sein de la même cohorte. Etant donné la connaissance de certaines données des cas et des témoins (récolte des données d’une étude de cohorte), l’effet de certaines variables de confusion possibles peut donc être contrôlé dans ce type de protocole.">cas-témoins sur un échantillon, pour chacun des 430 cas de cancer de la prostate dia gnostiqués durant une période de suivi de 12 ans, 4 patients-contrôles du même âge sont sélectionnés. Dans les échantillons sanguins prélevés et gardés au début de l’étude en 1982, des valeurs de PSA et de PSA libre sont déterminées.

Mesure des résultats

Différentes stratégies sont envisagées pour étudier leur sensibilité et leur spécificité. En premier lieu, une comparaison simple des tests pris séparément (PSA total, PSA libre et pourcentages de PSA libre) est faite, puis l’analyse est réalisée en combinant ces tests. Les résultats des différentes valeurs-seuils de ces différents tests simples ou combinés sont mis en courbe ROC est un graphique exprimant la capacité d’un test de dépistage de faire la distinction entre les personnes saines et les personnes malades. Sur le graphique ROC la sensibilité du test (vrais positifs) est indiquée sur l’axe des y (ordonnée) au moyen de différentes valeurs-seuils. Sur l’axe des x (abscisse) on place les faux-positifs (1-spécificité). La valeur optimale se trouve dans le coin supérieur gauche du graphique indiquant une proportion élevée de vrais-positifs et une faible proportion de faux-positifs). Une courbe ROC peut également être utilisée pour comparer entre eux différents tests diagnostiques (par exemple dans une méta-analyse). L’aire sous la courbe indique la précision du test : égale à 1 si le test est parfait et peut identifier tous les malades sans faux positifs, à 0,5 si le test est sans valeur, détectant autant de vrais positifs que de faux positifs.">ROC-curves. L’aire sous la courbe est la valeur discriminatoire de la stratégie diagnostique mesurée par ce test.

Résultats

Un seuil de 4 ng/ml pour le PSA total détecte 149 cancers, mais également 144 faux positifs. Si, pour une valeur de PSA totale située entre 4 et 10 ng/ml, le pourcentage de PSA libre est déterminé, 133- 140 cancers sont détectés avec une diminution du nombre de faux positifs à 83-117 suivant le seuil de pourcentage de PSA libre choisi. Un seuil de 20 % ne suscite pas une augmentation du nombre de faux négatifs à 9 ans de suivi et le nombre de faux positifs diminue à 42 %. Un seuil de pourcentage de PSA libre de 20%, associé à un PSA total de 3 à 10 ng/ml conduit à détecter jusqu’à 10 % de cancers en plus et à donner 12,5 % de faux positifs en moins que la stratégie conventionnelle du PSA total supérieur à 4 ng/ml (voir tableau 1).

Les cancers non découverts par la combinaison de PSA total et du taux de PSA libre mis en évidence par la suite, sont plus fréquents chez les hommes plus âgés et sont à un stade moins avancé que les cancers non détectés par le seul PSA total. Dans leur conclusion, les auteurs déclarent qu’il existe des preuves que l’implantation d’une stratégie de détermination du PSA libre pourrait conduire à une meilleure détection et à une diminution du nombre de biopsies inutiles comparée à la stratégie de dépistage classique, basée sur le PSA total.

Ils admettent que d’autres études sont nécessaires, pour pouvoir généraliser les conclusions de cette étude et pour confirmer la méthodologie employée.

 

Tableau 1 : Nombre de vrais positifs et de faux positifs selon différentes stratégies de dépistage

 
 

Nombre de vrais positifs après 12 ans

Nombre de vrais positifs après 9 ans

Nombre de faux positifs

% de diminution du nombre de faux positifs

Nombre de patients

430

229

1642

 

PSA total > 4 ng/ml

149

97

144

 

PSA total 4-10 ng/ml avec % de PSA libre

       

25 %

140

92

117

19

24 %

140

92

113

22

23 %

139

92

103

28

22 %

137

92

99

31

20 %

133

91

83

42

18 %

128

88

66

54

PSA total 3-10 ng/ml avec % de PSA libre

189

116

239

 

25 %

179

111

176

26

24 %

177

111

169

29

23 %

174

110

153

36

22 %

171

110

143

40

20 %

164

108

126

47

18 %

151

103

102

57

 

Financement

L’étude est financée par le « National Heart, Lung and Blood Institute » et le « National Cancer Institute » (V.S.).

Conflits d’intérêt

Un des auteurs a des liens avec des firmes produisant des tests de dépistage.

 

Discussion

Limites de l’étude

Quelques remarques importantes à propos de cette étude. Les auteurs déclarent que cette forme d’étude présente 3 avantages importants par rapport à la question de recherche. En premier lieu, le caractère prospectif garantirait que l’on puisse clairement déterminer, au moment des tests, les personnes atteintes ou non d’un cancer de la prostate. Nous mettons cette déclaration vivement en doute. Il n’est pas exclu, et très vraisemblablement dans les catégories d’âges les plus élevées, que dans un certain nombre de cas de dépistage positif, une mise au point diagnostique immédiate avec confirmation histologique, aurait été suivie d’une affection qui dans un contexte tel qu’étudié ici (suivi de 12 ans) n’aurait pas conduit à poser le diagnostic de cancer de prostate (du fait par exemple, de l’interruption de la progression ou à la suite d’un décès).

La (pseudo) sensibilité basse présentée dans l’étude est donc réellement riche en information et indique que les sensibilités mesurées lors du dépistage sont une surestimation du problème réel. En effet, chez un certain nombre de vrais positifs, un cancer ne se développera jamais, ce qui signifie qu’en cas d’implanta tion de la stratégie, des biopsies et traitements inutiles seront effectués. De plus, nous pouvons également faire remarquer qu’il est vraisemblable qu’une partie des cancers initialement non diagnostiqués seront quand même détectés par des dépistages répétés.

L’étude ne permet pas de se prononcer sur la sévérité de l’hypothétique cancer dépisté. Dans ce contexte prospectif, il est donc remarquable que les auteurs fassent mention dans leur discussion de la distribution dans les différentes études des stades des cancers hypothétiques ou non détectés selon les différentes stratégies.

Ensuite, cette méthode de recherche donnerait plus d’information sur le « lead-time » (délai entre le moment où l’affection devient détectable et les manifestations cliniques de celle-ci).

C’est exact, mais cet élément n’est pas exploité.

Enfin, et les auteurs pensent qu’il s’agit de l’avantage principal, les contrôles ont concerné une population naturellement bien limitée, à laquelle un test PSA n’a pas été proposé. C’est en effet un avantage, puisque aucun mécanisme de sélection qui détermine le risque de faux positifs (telle que la présence d’une hypertrophie bénigne de la prostate) n’intervient, mais cet avantage ne pèse pas lourd face aux limites de cette étude, autrement dit, son utilité en termes de politique de santé.

Pertinence pour la pratique

Il est essentiel qu’une étude de tests diagnostiques soit effectuée dans un contexte pertinent pour les questions de recherche. Ceci n’est pas respecté dans cette étude, pour différentes raisons. Il est certain que, quelle que soit la stratégie, un dépistage positif entraîne une mise au point diagnostique et un éventuel traitement. Cette publication n’envisage pas les implications d’une telle réalité : le contexte diagnostique est essentiellement celui d’une prévalence d’une maladie, survenue d’une maladie ou d’un risque (dépistage), étude de facteurs étiologiques.">étude transversale.

La question de recherche correcte dans cette étude transversale n’est pas le pourcentage de diagnostics non faits (1-sensibilité), ni le pourcentage de personnes saines biopsiées (1-spécificité) mais le risque de cancer de la prostate en cas de critères positifs et le risque en cas de critères négatifs. Pour calculer ces risques, une approche par une étude transversale est dangereuse, en raison du contexte limité dans lesquels ces risques sont reproductibles (en multipliant les contrôles avec les mêmes constantes d’échantillons). Par extrapolation des données de cette étude à la totalité de la cohorte PSA, nous pouvons construire un tableau qui montre ce que pourraient être les résultats à un niveau de population. Les résultats sont donnés en précisant soit une stratégie basée sur le PSA total, soit une stratégie combinant la détermination du PSA libre (seuil de 20% au moins) dans une population ayant un PSA total de 4 à 10 ng/ml (voir tableau 2 et 3).

Tableau 2 : Particularités du test de PSA total

Cancer de la prostate sur 12 ans de suivi

 

Présent

Absent

Total

PSA total +

149

1 898

2 047

PSA total -

281

19 743

20 024

TOTAL

430

21 641

22 071

Sensibilité du PSA total : 34,6 % – Spécificité du PSA total : 91,2 % – Valeur prédictive positive : 7,3 %

 
 

Tableau 3 : Particularités du test PSA total combiné avec le PSA libre

Cancer de la prostate sur 12 ans de suivi

 

Présent

Absent

Total

PSA total + et PSA libre

133

1 094

1 227

PSA total - et PSA libre

297

20 547

20 844

TOTAL

430

21 641

22 071

Sensibilité du PSA total + PSA libre : 30,9 % – Spécificité du PSA total + PSA libre : 94,9 % Valeur prédictive positive : 10,8 %

 

En présentant ainsi les données, nous voyons une faible diminution de la sensibilité (de 34,6 % à 30,9 %), une augmentation de la spécificité (de 91,2 % à 94,9 %) et un score demeurant mauvais pour la prévision d’un cancer de la prostate (se développant au cours des 12 ans) pour les 2 stratégies (430/22 071 ou 1,9 %). Il faut également noter que la spécificité « améliorée » n’atteint pas, mais de justesse, 95 % qui sert de base au seuil spécifique du PSA total en fonction des tranches d’âge 1.

Cette analyse n’est pas faite dans l’article. Les auteurs se limitent à dire qu’il y a une (il est vrai importante) réduction des biopsies inutiles. Une autre conclusion aurait pu être que dans cette étude cas-témoin sur un échantillon (nested case-control), si un diagnostic n’est pas posé suite à un seul examen de dépistage, en fonction de la stratégie suivie ensuite, on observe de 7,5 à 11 % de tests positifs indiquant la survenue d’un cancer de la prostate. Ce critère positif indique donc un risque accru (un test négatif représente encore un risque de 1,4 % de cancer de la prostate) mais en tirer la conclusion que les preuves sont suffisantes, pour l’utiliser comme stratégie de dépistage nous semble inadéquat.

Dépistage sans fondement scientifique

Assez curieusement, dans l’histoire du dépistage du cancer de la prostate, malgré le manque de preuve pour une implantation de recommandations, une forte pression est exercée pour les appliquer. Cet enthousiasme se traduit par une bonne volonté évidente à dépister et à traiter les cas positifs dépistés, sans même qu’il existe des preuves suffisantes qu’un cancer de la prostate dépisté à un stade précoce et traité évolue mieux qu’un cancer non traité. Une préoccupation plus importante aussi, est le fait que les personnes dépistées positives et traitées, connaissent individuellement des effets indési rables (incontinence et impuissance) souvent minimisés, et se disent plutôt que dupés, sauvés par cette stratégie 2.

 

Recommandations pour la pratique

Une expectative prudente reste la meilleure stratégie dans l’implantation de programmes de dépistage de cancer de la prostate 3. Entre-temps, l’utilisation de la détermination du PSA comme test pour le dépistage du cancer de la prostate doit rester très limité chez les hommes asymptomatiques. D’autres études sont nécessaires pour déterminer le traitement optimal de lésions précoces et des procédures diagnostiques (de dépistage) plus spécifiques 4,5.

La rédaction

Références

  1. Kalish LA, McKinlay JB. Serum prostate-specific antigen levels (PSA) in men without clinical evidence of prostate cancer : age-specific reference ranges for total PSA, free PSA, and percent free PSA. Urology 1999;54:1022-7.
  2. Ransohoff DF, McNaughton Collins M, Fowler FJ. Why is prostate cancer screening so common when the evidence is so incertain ? A system without negative feedback. Am J Med 2002;113:663-7.
  3. Weyler J. Prostate cancer : Screening or watchful waiting ? Ann Oncol 1998;9:9-11.
  4. Harris R, Lohr KN. Screening for Prostate Cancer : An update of the evidence for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2002;137:917-29.
  5. U.S. Preventive Services Task Force. Screening for Prostate Cancer : Recommandation and Rationale. Ann Intern Med 2002;137:915-6.
Dépistage du cancer de la prostate



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