Revue d'Evidence-Based Medicine
Usage des mucolytiques oraux dans le traitement de la bronchopneumopathie chronique obstructive
Minerva 2002 Volume 1 Numéro 7 Page 9 - 12
Professions de santé
Résumé
Contexte
Les exacerbations répétées représentent un problème de santé important chez les patients BPCO, d’où l’intérêt de découvrir des médicaments qui contribuent à diminuer le nombre et la durée de ces exacerbations. Dans certains pays européens, les mucolytiques sont largement prescrits car ils sont supposés diminuer la fréquence des exacerbations et l’importance des symptômes. Le but de cette métaanalyse est d’apporter un fondement scientifique à ce comportement de prescription.
Population étudiée
Etudes incluses : des études randomisées, en double aveugle, contrôlées versus placebo, dans lesquelles des mucolytiques oraux ont été pris pendant au moins 2 mois par des patients non hospitalisés. Études exclues : des études dans lesquelles ont été utilisés des mucolytiques par voie d’inhalation, des combinaisons mucolytiques-antibiotiques et mucolytiques- bronchodilatateurs, des désoxyribonucléases ainsi que des protéases. Les études qui concernaient également des patients asthmatiques ou atteints de fibrose pulmonaire ont également été exclues. Les participants avaient une moyenne d’âge de 55 ans et répondaient aux critères diagnostiques de la BPCO proposés par différents guidelines dont ceux de la British Thoracic Society. Au total, 23 RCT réalisées en Europe ou aux Etats-Unis ont été incluses dans cette synthèse méthodique.
Méthodologie de recherche
Synthèse méthodique avec totalisation des résultats des études dans une méta-analyse. La recherche s’est effectuée dans Medline, Embase, CINAHL, ainsi que dans des revues spécialisées en pneumologie. La sélection a été réalisée indépendamment par deux chercheurs. Les publications ont été évaluées selon le score de aveugle et la mention des drop-outs (sorties d’études) et des withdrawals (arrêts de traitements). Un point est attribué pour la présence de chacun des critères. Un point supplémentaire est ajouté ou retranché selon que, séparément, la randomisation et l’insu sont corrects ou non corrects. Sur 5 points possibles, un score inférieur à 3 indique une qualité insuffisante. Le score de Jadad est modifié en ajoutant d'autres critères: mention des effets indisérables, description des analyses statistiques, mention des critères d'éligibilité.">Jadad. L’analyse a été faite en modèle d’effet fixe.
Critères de jugement
Les critères de jugement principaux étaient le nombre d’exacerbations aiguës et le nombre de jours de maladie (alitement, incapacité de travail, diminution des activités). Les critères secondaires étaient la fonction pulmonaire (VEMS, capacité vitale forcée, débit expiratoire de pointe) et les effets secondaires des médicaments.
Résultats
La recherche a fourni 400 références parmi lesquelles 25 ont satisfait aux critères de sélection et de qualité. Vingt de ces études avaient un score de Jadad supérieur ou égal à trois.Vingt et une études s’intéressaient aux patients présentant une bronchite chronique et deux études aux patients souffrant d’une BPCO. L’usage des mucolytiques était associé à une réduction du nombre d’exacerbations par patient par mois : différence moyenne pondérée (weighted mean difference) de –0,07 avec IC à 95 % de –0,08 à –0,05 et p < 0,0001. Le nombre de sujets à traiter (risque NNT = 1/RAR *100.">NST ou NNT) pour obtenir l’absence d’exacerbations chez 1 sujet s’élevait à six. En se basant sur un nombre moyen annuel d’exacerbations de 2,7 cela correspond à une réduction de 29%. La chance d’éviter des exacerbations était plus grande dans le groupe de patients traités par des mucolytiques (cote représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un événement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet événement. Par exemple, si dans un groupe de 100 fumeurs, 60 fumeurs développent une toux chronique et 40 fumeurs ne la développent pas, la cote de développer une toux chronique est de 60/40 chez les fumeurs. Ceci correspond à a/b dans le tableau à quatre entrées ci- dessus. La cote de toux chronique chez les non-fumeurs se calcule de la même façon. S’il y a dix cas de toux chronique dans un groupe de 100 non-fumeurs, la cote de développer une toux chronique est de 10/90. Ceci correspond à c/d dans le tableau.">odds ratio –2,22 avec IC à 95% de –2,54 à –1,93 et p < 0,0001). L’usage des mucolytiques a permis une réduction de 0,56 jour de maladie par patient par mois (IC 0 95% de –0,77 à –0,35 et p < 0,0001). Le nombre total de prescription d’antibiotiques a diminué de 0,53 par mois (IC à 95 % de –0,76 à –0,31 avec p < 0,0001). En ce qui concerne la fonction pulmonaire, aucune différence significative n’a été constatée entre le groupe traité par un mucolytique et le groupe placebo. Il n’y avait pas davantage de différences concernant l’importance des effets indésirables entre les deux groupes. Les auteurs concluent que le traitement de la BPCO par des mucolytiques réduit le nombre d’exacerbations et le nombre de jours de maladie. Ils concluent que l’usage des mucolytiques est nécessaire chez les patients atteints de BPCO qui présentent à répétition des exacerbations longues et sévères.
Conflits d’intérêt/financement
Les conflits d’intérêt ne sont pas mentionnés. Cette recherche n’a bénéficié d’aucun soutien financier. Les auteurs des études incluses entretiennent dans de nombreux cas des contacts étroits avec la firme pharmaceutique qui produit le médicament étudié. Dans plusieurs des études il n’est fait mention ni de sources de financement, ni de conflits d’intérêt.
Discussion
Efficacité clinique
On ne retrouve pas de preuves objectives convaincantes d’un effet favorable de l’usage des mucolytiques dans le traitement de l’exacerbation aiguë d’une BPCO. Sur ce sujet, peu d’études bien structurées ont été effectuées1. Différentes études se sont intéressées à l’influence des mucolytiques dans la réduction de la fréquence et de la sévérité des exacerbations chez les patients souffrant de maladie pulmonaire chronique. Dans cette synthèse méthodique, les auteurs réunissent et analysent les résultats d’études randomisées, placebo-controlées rassemblées selon la méthodologie de la Collaboration Cochrane. Les auteurs concluent que l’usage à long terme de mucolytiques oraux peut être utile chez les patients atteints d’une bronchite chronique ou d’une BPCO qui présentent des exacerbations sévères, fréquentes ou longues. Les auteurs de "Clinical Evidence"2, qui se basent sur des données de la synthèse méthodique Cochrane3, arrivent aux mêmes conclusions. Le journal britannique "Drug and Therapeutics Bulletin"4 reprend les mêmes conclusions et plaide, en plus, pour un remboursement des mucolytiques dans ces indications. Le Nederlands Huisartsgenootschap (l’association néerlandaise de médecine générale) présente dans le Standaard-BPCO une position plus prudente : l’acetylcysteine est uniquement indiquée chez les patients qui ont des exacerbations fréquentes5.
Les conclusions de cette synthèse méthodique sont en opposition avec d’autres recommandations de bonne pratique 1, 6. Ceci mérite quelques considérations. La première réflexion, fondamentale, est la suivante : même si le résultat d’une étude est statistiquement significatif, quelle en est la pertinence clinique ? Dans le cas concret de cette synthèse : quel est l’impact clinique réel de la diminution d’une demi exacerbation par six mois 6,7 ?
Une analyse plus approfondie de cette synthèse méthodique a mis aussi en évidence une série de problèmes méthodologiques. Dans une majorité d’études incluses, peu d’informations sont données au sujet de la méthode de randomisation utilisée. Les auteurs déclarent que toutes les études ont été effectuées en double-aveugle. Or, on retrouve une étude non en double-aveugle incluse dans la méta-analyse8.
Hétérogénéité des études sélectionnées
Les études incluses sont très protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. Dans les méta-analyses, il est important que les études rassemblées soient aussi homogènes que possible. Nous pouvons évaluer la présence d’hétérogénéité statistique entre différentes études par une analyse critique des méthodologies de recherche employées dans les études, par une mise en graphique (plot) de comparaison des différentes études ou par des tests statistiques (Q-test ou test I² de Higgins).">hétérogènes. Le nombre de participants varie de 21 à 744 et la durée des études de 2 à 24 mois (la plupart des études s’étalent sur 6 mois). Il y a eu dix médicaments différents utilisés. Dans environ la moitié des études la N-acétylcysteine a été utilisée ; les doses administrées variant de 400 à 1 200 mg (en général 600 mg). Les critères de jugement variaient également d’une étude à l’autre : nombre, durée ou sévérité des exacerbations (la définition de celles-ci varie d’une étude à l’autre), nombre de jours sans exacerbations, nombre de jours de maladies (absentéisme, jours d’alitement ou jours d’incapacité de travail), modification des symptômes (selon le jugement du patient ou de l’examinateur), usage d’antibiotiques. L’importance de l’atteinte chez les patients sélectionnés était aussi très variable : de légère à sévère. Deux études ne mentionnaient même pas la sévérité de l’affection. Le taux de sortie des études s’élevait en moyenne à 20 % (de 0 à 40 %). En ce qui concerne la prise concomitante d’autres médicaments, il existe une grande hétérogénéité entre les études, en raison de la grande variation de la sévérité de l’affection chez les personnes incluses.
Quatorze des vingt-trois études ont été réalisées avant 1990. L’usage des bronchodilatateurs, qui sont actuellement reconnus comme le traitement standard de la BPCO, était, à cette époque, beaucoup moins répandu.
Les termes de "bronchite chronique" et de "BPCO" sont tous les deux utilisés. Le concept de BPCO est assez récent et se base sur deux critères : la présence d’une obstruction des voies respiratoires et une réponse faible à l’administration de bronchodilatateurs par voie d’inhalation. Le terme plus ancien de bronchite chronique se base sur une description symptomatique. La bronchite chronique est une affection respiratoire caractérisée par la présence de toux et d’expectorations pendant trois mois successifs et cela au moins pendant deux années consécutives. Dans cette définition on ne parle pas d’obstruction des voies respiratoires. Il n’est pas certain que les patients qui satisfont aux critères de la bronchite chronique satisfont également à ceux de la BPCO.
La majorité des études concernait des patients suivis par des pneumologues. Seules trois études ont été réalisées exclusivement en médecine générale, ce qui représente moins de 20 % de tous les patients inclus (à savoir 890). Le pourcentage de fumeurs ou exfumeurs variait entre 30 et 100%.
critère de jugement intermédiaire ou de substitution. Les critères de jugement intermédiaires sont des paramètres secondaires souvent liés uniquement indirectement au critère de jugement fort. Dans une recherche relative à l’efficacité d’une thérapie, la mesure des lipides dans le sérum par exemple, peut être considérée comme un critère de jugement intermédiaire alors qu’un décès dû à une maladie cardiovasculaire est un critère de jugement fort. Quand aucune relation directe n’est montrée entre un critère de jugement intermédiaire et un critère de jugement fort pertinent, la validité d’une étude se basant uniquement sur des critères intermédiaires est très limitée.">Critères de jugement
Pour apprécier l’effet d’un traitement, on peut utiliser des critères de jugement forts (hard end-points) et des critères de jugement intermédiaires (surrogate end-points). Les critères de jugement forts pour juger de l’efficacité d’un mucolytique oral chez un patient atteint d’une maladie pulmonaire chronique obstructive sont la mortalité, la fonction pulmonaire et la survenue d’exacerbations (si celles-ci sont définissables). La corrélation entre le degré de sévérité de l’obstruction des voies respiratoires et la mortalité est démontrée, celle entre l’hypersécrétion de mucus et la mortalité ne l’est pas 9.
Dans les études incluses, les recherches se sont surtout intéressées aux exacerbations. Toutes les études ne s’appuyaient pas sur la même définition de l’exacerbation. Ceci pose un problème méthodologique. La définition la plus fréquemment utilisée était « le déclenchement de la toux ou l’aggravation de la toux préexistante associée à un ou plusieurs des symptômes suivants : malaise général, température supérieure à 38°, dyspnée, augmentation de la viscosité des expectorations, expectorations difficiles ». Certains de ces symptômes sont subjectifs, difficilement quantifiables et évaluables uniquement à partir d’une anamnèse sur le "bien être général". On peut pour chacun de ces symptômes déterminer trois catégories de sévérité : légère, modérée, sévère. L’effet éventuel du traitement était évalué sur ces critères. Dans certaines études le patient devait remplir un livret journalier où il évaluait chacun de ces symptômes, dans d’autres études le patient se soumettait, lors de contrôles périodiques, à une anamnèse fouillée.
Dans huit des études incluses, une évaluation de la fonction pulmonaire avant et après traitement a été effectuée. Dans une seule étude 10, une amélioration minime mais statistiquement significative du VEMS a été constatée. Celle-ci n’a apporté aucune amélioration clinique. Le taux de sortie d’étude au cours des six mois pendant lesquels cette étude s’est déroulée est élevé (34 %). Les patients présentant une forme sévère de pathologie pulmonaire chronique obstructive avaient été exclus d’emblée de l’étude. Il n’est pas fait mention de la prise concomitante d’autres médicaments, exception faite des antibiotiques. Les coauteurs de cette étude étaient liés à une firme produisant de l’acetylcystéine.
Le critère de jugement "absentéisme au travail" ou "congé de maladie" (un des critères le plus utilisé dans les études) peut être influencé par plusieurs autres facteurs que l’affection (âge du patient, nature du travail, traitement) et ne peut être par conséquent considéré que comme critère de jugement intermédiaire6. De même la fréquence et la durée de la prise d’antibiotiques ne dépend pas uniquement de la sévérité de l’affection mais aussi du comportement de prescription du médecin traitant et des préférences et résistances du patient. Ce critère ne permet pas de juger de manière objective de l’éventuel effet préventif des mucolytiques sur les exacerbations infectieuses.
Conclusion
La validité des recommandations et des conclusions d’une méta-analyse dépend de la qualité de celle-ci. La qualité d’une méta-analyse est fortement dépendante de la qualité des études incluses. Celle-ci est surtout liée à l’absence de biais 11. Pour qu’une méta-analyse soit de bonne qualité, il est indispensable que les études incluses soient suffisamment homogènes sur le plan clinique et statistique 12. Pour leurs conclusions, les auteurs de cette synthèse s’appuient sur des données issues d’études trop hétérogènes et dans lesquelles les critères utilisés sont essentiellement subjectifs.
Leurs conclusions sont par conséquent expéditives. Une revue élaborée selon la méthodologie Cochrane doit donc également être interprétée avec circonspection 13.
Recommandations pour la pratique
En tenant compte des insuffisances méthodologiques de cette synthèse méthodique nous pouvons affirmer qu’il existe insuffisamment de preuves que les mucolytiques oraux aient une place dans le traitement et la prévention des exacerbations de bronchite chronique ou de BPCO. Le NHG-Standaard conseille la prise de mucolytiques pour le traitement des patients présentant des exacerbations fréquentes (supérieures ou égales à trois par an), mais cette recommandation n’est pas étayée par la synthèse méthodique analysée ici.
La rédaction
Références
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Note Cette étude a également été analysée en détail dans le Geneesmiddelenbrief du Werkgroep Huisartsenformularium OCMW Gent. http://www.farmaka.be. Orale mucolytica en chronische luchtwegaandoeningen : een storm in een glas mucus ? Geneesmiddelenbrief 2001;8(3):15-9.
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