Analyse
Pour prédire les événements coronaires graves, vaut-il mieux que le bilan lipidique soit effectué à jeun ou pas ?
Pour le calcul du risque cardiovasculaire absolu, les guides de pratique clinique actuels préconisent d’utiliser le bilan lipidique, le dosage n’étant pas effectué à jeun (1). Cependant, cette recommandation s’appuie sur des études menées à l’échelle de la population et non de l’individu. L’association entre, d’une part, le taux sanguin de lipides, le dosage étant effectué à jeun et sans être à jeun, et d’autre part, le risque cardiovasculaire chez tous les participants aux études a été étudiée. Le plus souvent, que le dosage soit effectué à jeun ou pas, le rapport entre le taux de lipides et le risque cardiovasculaire était le même. Dans un certain nombre d’études, on a même observé un lien plus étroit entre les événements cardiovasculaires et le taux de triglycérides ou de LDL-cholestérol lorsque le dosage n’était pas effectué à jeun (2).
Une analyse post-hoc de l’étude ASCOTT-LLA a examiné, en tant que première étude au niveau individuel, le rapport entre la prévention des événements coronaires et le taux de lipides mesuré sur un échantillon de sang prélevé à jeun et sur un échantillon de sang prélevé sans être à jeun (3). Les investigateurs voulaient aussi vérifier si l’utilisation d’un dosage effectué sans être à jeun au lieu d’un dosage effectué à jeun pour le bilan lipidique entraînait une mauvaise classification du risque cardiovasculaire, indépendamment du fait qu’un traitement par statines doive ou non être instauré. L’étude ASCOTT-LLA était une étude randomisée contrôlée menée en double aveugle qui comparait l’atorvastatine 10 mg/jour à un placebo chez 10305 patients âgés de 40 à 79 ans présentant une hypertension artérielle, ayant un taux de cholestérol total ≤ 250 mg/dl (6,5 mmol/l) et au moins trois autres facteurs de risque cardiovasculaire (4,5). L’étude a été arrêtée prématurément après un suivi médian de 3,3 ans en raison d’une importante diminution du risque relatif du critère de jugement composite combinant infarctus du myocarde non fatal et affections coronaires fatales dans le groupe atorvastatine par rapport au groupe placebo : HR de 0,64 avec IC à 95% de 0,50 à 0,83 ; p < 0,001.
Chez 8270 patients de l’étude ASCOTT-LLA, un bilan lipidique a été effectué avant la randomisation, tant à jeun (en ayant ni mangé ni bu durant les huit heures précédant le prélèvement) que sans être à jeun. Les deux bilans ont été effectués à un intervalle de quatre semaines durant lequel aucune intervention n’a été réalisée. Les chercheurs ont effectué une analyse de régression suivant le modèle de Cox à risques proportionnels pour déterminer le rapport entre, d’une part, chaque augmentation de 40 mg/dl du taux de lipides, à jeun et sans être à jeun, et, d’autre part, les événements coronaires et cardiovasculaires. Le taux de triglycérides était légèrement plus élevé dans les échantillons de sang prélevés sans être à jeun que dans les échantillons de sang prélevés à jeun, mais le taux de cholestérol était comparable. Entre le bilan à jeun et celui sans être à jeun, on a observé aucune différence quant au rapport entre la survenue d’événements coronaires et cardiovasculaires et le taux de lipides. Cela valait autant pour la population totale de l’étude que pour le groupe de prévention primaire (n = 6855 participants sans antécédents d’affections vasculaires). Pour le calcul du risque cardiovasculaire, que ce soit avec l’outil ACC/AHA ou avec l’outil QRISK2 (6,7), la classification du risque (élevé, moyen, faible) correspondait, respectivement pour 94,8% et pour 98,6%, lorsque l’on utilisait le dosage effectué sans être à jeun au lieu du bilan à jeun.
Conclusion
Cette analyse post-hoc d’une vaste étude randomisée contrôlée disposant d’un bon plan expérimental montre que le bilan lipidique sans être à jeun et le bilan lipidique à jeun sont associés de manière similaire aux événements coronaires et cardiovasculaires. Le bilan sans être à jeun conduit à la même classification de risque cardiovasculaire que le bilan à jeun.
Pour la pratique
Les directives ESC/EAS 2019 recommandent d’utiliser tant le cholestérol total que le HDL-cholestérol pour calculer le risque cardiovasculaire. Pour le dépistage dans la population générale, ces directives affirment que le dosage effectué sans être à jeun est au moins aussi valable que le bilan à jeun (8).
L’étude décrite plus haut confirme cet avis, à savoir que le bilan sans être à jeun peut tout à fait être utilisé pour déterminer le risque cardiovasculaire. Il est de ce fait possible de déterminer le risque de manière opportuniste, sans devoir fixer un rendez-vous pour une prise de sang à jeun. Une partie du groupe cible est en effet encore active sur le marché du travail, et libérer du temps pour une prise de sang à jeun élève donc souvent le seuil pour le dépistage.
- Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu 2007;36:339-69. (Ce guide de pratique clinique national est uniquement disponible en Néerlandais.)
- Mora S. Nonfasting for routine lipid testing: from evidence to action. JAMA Intern Med 2016;176:1005-6. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.1979
- Mora S, Chang CL, Moorthy MV, Sever PS. Association of nonfasting vs fasting lipid levels with risk of major coronary events in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Lipid Lowering Arm. JAMA Intern Med 2019;179:898-905. DOI: 10.1001/jamainternmed.2019.0392
- Sever PS, Dahlöf B, Poulter NR, et al; ASCOT Investigators. Prevention of coronary and stroke events with atorvastatin in hypertensive patients who have average or lower-than-average cholesterol concentrations, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial--Lipid Lowering Arm (ASCOT-LLA): a multicenter randomised controlled trial. Lancet 2003;361:1149-58. DOI: 10.1016/S0140-6736(03)12948-0
- Lemiengre M. Traitement hypocholestérolémiant en 2004. MinervaF 2004;3(4):58-68.
- Chevalier P. Score d’évaluation du risque cardiovasculaire. MinervaF 2009;8(2):23.
- Hippisley-Cox J, Coupland C, Vinogradova Y, et al. Predicting cardiovascular risk in England and Wales: prospective derivation and validation of QRISK2. BMJ 2008;336:1475-82. DOI: 10.1136/bmj.39609.449676.25
- Mach F Baigent C, Catapano AL; ESC Scientific Document Group. 2019 ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias: lipid modification to reduce cardiovascular risk: The Task Force for the management of dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and European Atherosclerosis Society (EAS). Eur Heart J 2019;pii:ehz455. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz455
Auteurs
Govaerts F.
Kennisdomein preventie Domus Medica
COI :
Glossaire
modèle de hasards proportionnels de CoxCode
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