Revue d'Evidence-Based Medicine



Diagnostic clinique de la conjonctivite bactérienne



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 2 - 3

Professions de santé


Analyse de
Rietveld RP, ter Riet G, Bindels PJE et al. Predicting bacterial cause in infectious conjunctivitis: cohort study on informativeness of combinations of signs and symptoms. BMJ 2004;329:206-10.


Question clinique
Quels critères diagnostiques utiliser pour montrer chez l'adulte une étiologie bactérienne d'une conjonctivite infectieuse aiguë?


Conclusion
Cette étude montre que la probabilité d'une conjonctivite bactérienne peut être estimée à l'aide de trois questions concernant le nombre d'yeux collés, la présence de prurit et d'antécédents de conjonctivite infectieuse. Ceci permet une prescription plus appropriée d'antibiotiques.


 

Résumé

Contexte

Dans la moitié des cas environ, la conjonctivite aiguë n'est pas causée par une infection bactérienne. Une analyse récente de la littérature a montré qu'il n'est pas possible de faire une distinction entre une cause virale et bactérienne d'une conjonctivite sur base de l'anamnèse et de l'examen clinique.

Population étudiée

Neuf médecins généralistes de la région d'Amsterdam et de Alkmaar ont recruté 184 patients âgés de plus de 18 ans qui présentaient un oeil rouge et des sécrétions mucopurulentes ou des paupières collées. Les critères d'exclusion sont: symptômes qui remontent à plus d'une semaine, perte visuelle, port de lentilles de contact, utilisation d'antibiotiques locaux ou systémiques dans les deux semaines précédentes, kératite, traumatisme de l'œil et antécédents de chirurgie oculaire.

Méthodologie

Lors de l'inclusion, le généraliste complète un questionnaire standardisé (antécédents médicaux, durée des symptômes, soins autoadministrés, automédication, prurit, sensation de brûlure ou de corps étranger, nombre d'yeux collés le matin) et fait un examen clinique (étendue de la rougeur, présence d'oedème périorbitaire, nature des sécrétions, atteinte bilatérale). En complément, un écouvillon est prélevé au niveau de la conjonctive pour culture.

Mesure des résultats

Les chercheurs ont fait usage d'une analyse de régression logistique pour calculer la probabilité d'une culture bactérienne positive en fonction de différentes constatations lors du premier contact. A l'aide d'un coefficient de régression, un score clinique est attribué à ces observations.

Résultats

Les données de 177 participants (d'un âge moyen de 44 ans) ont pu être analysées. Une culture bactérienne se révèle positive dans 32% des yeux examinés. Des yeux collés le matin peuvent le mieux prédire une conjonctivite bactérienne, alors qu'un antécédent de conjonctivite et du prurit oculaire réduisent les chances de conjonctivite bactérienne. L'aire sous la courbe de ce complexe de symptômes atteint 0,74 (voir tableau).

 

Tableau : Rapport entre conjonctivite bactérienne et constatations cliniques.

Constatations

Odds ratio (IC à 95%)

Score clinique

Deux yeux collés 

14,99 (4,36 à 51,53)

5

Un oeil collé

2,96 (1,03 à 8,51)

2

Prurit oculaire

0,54 (0,26 à 1,12)

-1

Antécédent de conjonctivite infectieuse

0,31 (0,10 à 0,96)

-2

Aire sous la courbe (95% IC)

0,74 (0,65 à 0,82)

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la réponse à trois questions posées à l'occasion de l'anamnèse (éventuellement faite par téléphone) peut situer l’étiologie bactérienne d'une conjonctivite comme plus ou moins probable. Cette démarche pourrait conduire à une prescription plus raisonnée des antibiotiques en cas de conjonctivite.

Financement de l'étude

Nederlands Huisartsengenootschap (NHG).

 

Conflits d'intérêt des auteurs

Non mentionnés.

 

Discussion

Importance de l'étude

La conjonctivite bactérienne est une affection fréquente avec une incidence dans la pratique générale de 16 épisodes par 1 000 années-patients 1. C'est une de ces «maladies courantes» qui font l'objet de peu de recherches et jamais dans un contexte de médecine générale. Une conjonctivite aiguë infectieuse est traitée dans 80% des cas par un antibiotique local1. Il est généralement admis que moins de la moitié des patients présente une étiologie bactérienne qui justifierait donc un traitement par antibiotique. Il serait utile pour le généraliste de pouvoir faire la distinction, sur base de signes cliniques, entre une conjonctivite virale et bactérienne, ce qui permettrait une prescription plus appropriée. Jusqu'à présent, seules des listes de symptômes «authority-based» étaient disponibles dans les manuels de référence. Il n'existait aucune étude scientifique permettant d'apprécier les symptômes cliniques en vue de faire une distinction2. Cette étude comble ce vide. Il n'y a pas de réserves quant à la méthodologie et le résultat est utilisable dans la pratique: en posant trois questions simples, le médecin peut mieux évaluer la probabilité d'une infection virale ou bactérienne. Une limite de cette étude est qu’elle concerne uniquement des adultes alors que ce sont surtout les enfants qui sont sujets de conjonctivites.

Pertinence de faire la distinction entre bactérie et virus?

Les auteurs concluent que l'utilisation de leurs résultats peut mener à une réduction considérable du nombre de prescriptions d'antibiotiques et donc à une diminution des coûts, du risque de développer une résistance, des effets indésirables et d’une médicalisation. Le risque qu’un certain nombre de patients ne reçoivent pas, à tort, d’antibiotiques, ne semble pas important pour les auteurs: la conjonctivite bactérienne est une affection auto-limitante, avec un faible risque de complications, comme semble l'attester l'évolution des patients du groupe placebo dans les RCTs. Cette position suscite deux réflexions. D'une part, les complications d’une conjonctivite bactérienne telles que la cellulite orbitaire, la kératite, la panophtalmie sont très rares et aucune des études faites à ce jour n'avait la puissance approximative nécessaire pour évaluer l'incidence sur les complications d'un éventuel traitement. L'abstention thérapeutique requiert donc une certaine prudence.

D'autre part, ceci permet aussi de soulever la question de la nécessité d'un traitement antibiotique en cas de conjonctivite bactérienne. A ce jour, deux RCTs contrôlées versus placebo 3,4 ont été publiées. Elles évaluent l’efficacité d’antibiotiques (norfloxacine, chloramphénicol) chez des patients présentant une suspicion clinique de conjonctivite bactérienne. La norfloxacine semble efficace dans la première étude: après deux à cinq jours, 88% des patients sont guéris, contre 71% avec le placebo (NST=6). Dans la deuxième étude, réalisée chez des enfants, aucune différence n’est montrée entre le placebo et le chloramphénicol: au jour 7, 83% des enfants sont guéris avec le chloramphénicol versus 86% avec le placebo. D'autres études ont inclus des patients avec une conjonctivite prouvée sur le plan bactériologique 5,6. Dans ces études également, un traitement actif montre des résultats plus favorables, mais le pourcentage de guérison est également élevé dans le groupe placebo. La question posée dans cette étude diagnostique, «qui présente une conjonctivite bactérienne?» n'est donc probablement pas la plus pertinente. A l'instar de la démarche entreprise dans les infections des voies respiratoires, la recherche de facteurs pronostiques, pouvant augurer d'une évolution péjorative, pourra permettre de prescrire encore moins et de façon plus ciblée.

 

Conclusions

Cette étude montre que la probabilité d'une conjonctivite bactérienne peut être estimée à l'aide de trois questions concernant le nombre d'yeux collés, la présence de prurit et d'antécédents de conjonctivite infectieuse. Ceci permet une prescription plus appropriée d'antibiotiques.

 

Références

  1. Okkes IM, Oskam SK, Lamberts H. Van klacht naar diagnose: Episodegegevens uit de huisartspraktijk. Bussum (Nl): Coutinho,1998.
  2. Rietveld RB, van Weert HC, ter Riet G, Bindels PJ. Diagnostic impact of signs and symptoms in acute infectious conjunctivitis: systematic literature search. BMJ 2003;327:789.
  3. Miller IM, Wittreich J, Vogel R, Cook TJ. The safety and efficacy of topical norfloxacin compared with placebo in the treatment of acute, bacterial conjunctivitis. Eur J Ophthalmol 1992;2:58-66.
  4. Rose PW, Harnden A, Brueggemann AB et al. Chloramphenicol treatment for acute infective conjunctivitis in children in primary care: a randomised double-blind placebo-controlled trial. Lancet 2005;366:37-43.
  5. Sheikh A, Hurwitz B, Cave J. Antibiotics versus placebo for acute bacterial conjunctivitis. Cochrane Database Syst Rev 2000, Issue 1.
  6. Smith J. Bacterial conjunctivitis. Clin Evid 2005;13:776-81.
Diagnostic clinique de la conjonctivite bactérienne



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