Revue d'Evidence-Based Medicine
Evaluation du risque cardiovasculaire: tour d'horizon des différentes tables de risque
Minerva 2004 Volume 3 Numéro 4 Page 54 - 58
Professions de santé
Il n’est plus justifié, à l’heure actuelle, d’envisager les seuls chiffres de pression artérielle ou le taux de cholestérolémie pour initier un traitement médicamenteux. Le praticien doit intégrer ces données dans un ensemble de facteurs de risque cardiovasculaire. Pour tenter de déterminer le risque particulier d’un de ses patients, le praticien peut utiliser une table ou un score de risque. Différentes propositions s’offrent à lui, et le choix n’est pas évident.
Nous tentons, dans cet article, de présenter les caractéristiques et les limites de différentes propositions faites actuellement aux médecins généralistes belges. Dans la pratique, il s’agira d’abord d’estimer le risque, de décider ensuite d’initier un traitement en fonction de ce risque mais également d’évaluer le bénéfice attendu du traitement. Des critères de coût-efficacité et de remboursement seront également importants pour la mise en pratique de la décision.
1. ESTIMATION DU RISQUE |
Les différentes tables donnent une estimation soit du risque cardiovasculaire global (coronarien et vasculaire, morbidité et mortalité), soit du risque coronarien (morbidité et mortalité), soit de la mortalité d’origine cardiovasculaire (voir tableau 1). L’incidence de la pathologie coronarienne est, en effet, beaucoup plus importante que celle des autres affections cardiovasculaires. Un rapport de 3 à 4 est généralement admis entre le risque coronarien et le risque cardiovasculaire global 18. L’approche de ces tables est soit globale, soit orientée à partir des chiffres tensionnels et/ou de cholestérolémie. La table de score de Pocock 16 est limitée à la prise en charge de l’HTA. Nous n’avons pas repris la table de risque de stratification du risque en fonction des chiffres tensionnels établie par l’OMS étant donné qu’elle donne une stratification du risque mais sans score précis et est limitée à l’approche de l’HTA. De même, la table publiée dans la révision du NHG-standaard sur l’hypertension artérielle 9 donne les seuils d’indication de traitement médicamenteux antihypertenseur ou hypolipémiant suivant le risque coronarien, mais sans fournir de score chiffré.
Tableau 1. Aperçu des types de risque scorés dans différentes tables de risque |
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Arguments communs
Certains arguments pour évaluer le risque sont communs à toutes les tables: le sexe, l’âge, le tabagisme. Pour d’autres les choix sont légèrement différents (voir tableau 2).
Tableau 2. Aperçu des facteurs de risque inclus dans différentes tables pour la détermination du risque cardiovasculaire |
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ATCD = antécédent - AVC = accident vasculaire cérébral - CHD = coronary heart disease - CT = cholestérol total - CVD = cardiovascular disease - HVG = hypertrophie ventriculaire gauche IM = infarctus du myocarde - PAD = Pression artérielle diastolique - PAS = Pression artérielle systolique - TG = triglycérides - TOD = target organ damage. |
Chiffres tensionnels
Pour les chiffres tensionnels, soit les chiffres tensionnels systoliques seuls, soit les chiffres tensionnels systoliques et diastoliques sont repris. Il est très probablement plus adéquat de tenir compte, en prévention primaire certainement, à la fois des chiffres systoliques et diastoliques, étant donné la bonne corrélation entre ces chiffres usuels et la mortalité cardiovasculaire chez des sujets d’âge moyen ou élevé (de 40 à 89 ans) 19.
Cholestérolémie
Pour les chiffres de cholestérolémie, certaines tables reprennent les taux de cholestérolémie totale (CT), d’autres le rapport CT/HDL-cholestérol (voir tableau 2). Il est admis que le rapport CT/HDL-cholestérol est un meilleur facteur prédictif20. Il semble bien que ce rapport ne soit pas mentionné dans certaines tables uniquement par indisponibilité de ces chiffres dans les données épidémiologiques. Le risque est donc mieux évalué en tenant compte de ce rapport plutôt que de la seule cholestérolémie totale.
Risque familial
La présence d’un risque familial lié soit à une hyperlipidémie familiale soit à des antécédents particuliers (parent au premier degré, homme de moins de 55 ans, femme de moins de 65 ans) est prise en compte de manière différente suivant les tables (voir tableau 2). Pour l’hyperlipidémie familiale, la table de la Joint British en fait un critère d’exclusion pour son utilisation. D’autres tables 2,3,12 mentionnent d’en tenir compte dans l’évaluation, sans donner de chiffre d’augmen-tation de risque précis. Pour le risque lié à la présence d’antécédents cardiovasculaires familiaux, la table du CBO 5 inclut le risque familial coronarien dans le calcul de base. Le score de Pocock 16 inclut les antécédents familiaux d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral également dans le calcul de base. D’autres tables mentionnent de tenir compte soit des antécédents coronariens 2,12 soit des antécédents cardiovasculaires 4,15,17 dans l’évaluation du risque, sans donner de chiffre d’augmentation de risque précis. Le risque représenté par un antécédent familial (au premier degré) coronarien est le plus solidement établi. Des données fiables existent cependant pour élargir ce risque à des antécédents cardiovasculaires plus larges (AVC, artérite des membres inférieurs) et sont donc mentionnés comme tels dans certaines tables ou dans des guidelines concernant certaines pathologies cardiovasculaires comme l’hypertension artérielle 19.
Autres facteurs de risque
Le diabète est actuellement unanimement reconnu comme un facteur de risque cardiovasculaire 24. Il est d’ailleurs inclus dans toutes les tables, sauf, étonnamment, dans les tables européennes et celle du GRPCV 17 qui mentionnent simplement d’en tenir compte. Les tables européennes4 n’ont pas de tableaux différenciés pour les diabétiques par manque de données ... tout en affirmant que le risque est doublé chez les hommes et quadruplé chez les femmes. Etant donné l’ampleur de ce risque, il nous semble indispensable que le praticien utilise une table l’incluant dans le calcul. La recherche de la micro-albuminurie est particulièrement intéressante: elle est non seulement un marqueur de néphropathie diabétique, mais également un marqueur intermédiaire (surrogate) de pathologie cardiovasculaire et de mortalité cardiovasculaire anticipée 24.
L’hypertrophie ventriculaire gauche était incluse dans la première version de la table de Sheffield 10 mais n’y figure plus actuellement 12 tout en étant un facteur correcteur dont il faut tenir compte dans cette dernière table. Elle figure dans les critères de Pocock 16. D’autres facteurs sont pris en considération dans certaines tables (voir tableau 2): l’obésité (BMI ou obésité abdominale uniquement), LDL-cholestérol élevé, micro-albuminurie chez les diabétiques, intolérance glucidique ou syndrome métabolique, vie sédentaire, syndrome inflammatoire (fibrinogène ou CRP élevé) mais leur rôle n’est pas encore suffisamment solidement établi (données épidémiologiques uniquement) et reconnu. Ils sont également souvent indirectement inclus dans les facteurs de risque principaux.
2. LA DECISION DE TRAITER |
L’évaluation du risque cardiovasculaire ou coronarien du patient qui est assis en face de nous est établie après lecture commune de la table choisie. Allons-nous pour autant décider d’entamer un traitement, et si oui, lequel?
En fonction des tables de risque
Nous avons un chiffre, un score pour ce patient, mais celui-ci repose souvent sur des données épidémiologiques issues d’une population peut-être différente des caractéristiques du patient qui nous consulte. Il est certain, par exemple, que les données des tables de Sheffield ne peuvent convenir pour un patient méditerranéen. La majorité des tables se basent sur les données de Framingham, sauf celles de Sheffield 10-12, de l’European Task Force 2003 3, du projet SCORE 2003 4 et de Pocock 16. Au Royaume-Uni, une table de risque basée sur les données de Framingham surestime le risque par rapport au nombre réel d’incidents coronariens réellement observé de manière prospective sur 10 ans 23. Les tables européennes plus récentes 3,4 sont plus adéquates pour la majorité de la population que nous soignons mais elles sont cependant moins précises pour d’autres critères (voir précédent paragraphe). Pour le risque particulier de la population belge, les données utilisées sont relativement anciennes (1980-84), et, d’a-près certains experts, il faudrait, sur base de ces données, utiliser une table actuellement inexistante avec un risque de départ intermédiaire (ni haut ni bas). La surreprésentation de la population masculine dans les études épidémiologiques européennes à la base des données rendrait également celles-ci moins valides pour les femmes.
En fonction de l’âge
Toute personne âgée de plus de 75 ans a un risque cardiovasculaire supérieur à 15% à 5 ans, rien que du fait de son âge 15. Devons-nous appliquer, pour les personnes âgées, les mêmes critères de seuil de traitement que pour les autres personnes? L’extrapolation du risque de tout sujet à l’âge de 60 ans pour une décision thérapeutique proposée par certains guidelines (européens) nous semble discutable. Si elle permet effectivement d’ap-précier le retentissement de la durée d’exposition à un risque, permet-elle d’estimer plus précisément le risque, les facteurs pouvant se modifier au fil de la vie du sujet? Ce procédé n’est également validé par aucune étude prospective.
En fonction du bénéfice attendu du traitement
Si un facteur de risque disparaît, le score de risque du patient sera modifié, sans revenir pour autant à ce qu’il aurait été sans exposition aucune au facteur de risque en question. D’autre part, il faut toujours bien rester conscient que l’intervention permet une réduction d’un risque statistique, non la disparition d’un risque et qu’elle n’a aucune garantie individuelle de réussite.
En fonction des désirs et des craintes du patient
Qu’allons-nous, en concertation avec le patient, choisir comme cible de traitement? La compliance de tout individu (patient comme soignant!) aux mesures non médicamenteuses est aléatoire. La compliance aux médicaments est influencée par de nombreux facteurs dont le médecin n’a pas toujours une conscience évidente. Les patients qui présentent plusieurs pathologies chroniques adoptent parfois des attitudes variables pour les différents traitements qu’ils doivent suivre, réguliers pour certains médicaments et flexibles pour d’autres, suivant leur vécu des symptômes ou souhaits par rapport à leur vie quotidienne 22. Comment le praticien et le patient peuvent-ils tenir compte de ces données dans les choix et les cibles thérapeutiques?
En fonction du coût/efficacité
Au niveau d’une population, un rapport coût/efficacité peut être établi. Plusieurs des tables ici présentées en tiennent compte pour présenter des seuils d’interven-tion médicamenteuse, par exemple pour les traitements antihypertenseurs et/ou hypocholestérolémiants 5-7,12,13. Les seuils sont ainsi déterminés de manière consensuelle. Considéré de manière individuelle, tout traitement pourrait être bénéfique (en tenant compte cependant des effets indésirables possibles!) quel que soit le risque statistique, mais avec une probabilité nettement moindre si le risque est peu élevé. Quel est le rapport coût/bénéfice pour un patient individuel? Le coût est bien sûr financier mais aussi une modification éventuelle de la qualité de vie (compliance thérapeutique, effet indésirables,...). Le bénéfice sera du tout ou rien par rapport à un événement cardiovasculaire.
En fonction du remboursement du médicament
Dans ce problème du coût, intervient également le remboursement total, partiel ou nul du traitement proposé. Les modifications actuelles des conditions de remboursement des médicaments hypolipidémiants illustrent bien toutes les difficultés de choix de critères scientifiques confrontés à des limites financières. Ce remboursement conditionne certainement, pour la majorité de la population que nous soignons, la prise ou non d’un traitement. Il relèguera peut-être tout le débat lancé dans ces lignes à l’arrière-plan. Il est donc capital mais ne sera pas abordé dans cette revue dont ce n’est pas le rôle.
Références
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2. Wood D, De Backer G, Faergeman O, et al. Prevention of coronary heart disease in clinical practice. Recommendations of the second Task Force of European and other Societies on coronary prevention. Eur Heart J 1998;19: 1434-503.
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4. Conroy R, Pyorala K, Fitzgerald A, et al. SCORE project group. Estimation of ten-year risk of fatal cardiovascular disease in Europe: the SCORE project. Eur Heart J 2003; 24:987-1003.
5. Simoons M, Casparie A. Behandeling en preventie van coronaire hartziekten door verlaging van de serumcholesterolconcentratie: derde consensus ‘Cholesterol’. Ned Tijdschr Geneeskd 1998;142:2096-101.
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Nederlands Huisartsen Genootschap (NHG)
7. Thomas S, Van der Weijden T, Van Drenth B, et al. NHG-Standaard Cholesterol. Huisarts Wet 1999;42:406-17.
8. Van der Laan J, Thomas S. Samenvatting van de standaard ‘Cholesterol’ (eerste herziening) van het Nederlands Huisartsen Genootschap. Ned Tijdschr Geneeskd 2000;144:421-7.
9. Walma EP, Thomas S, Prins A, et al. NHG-Standaard Hypertensie. Huisarts Wet 2003;46:435-49.
Sheffield, Verenigd Koninkrijk
10. Haq I, Jackson P, Yeo W, Ramsay L. Sheffield risk and treatment table for cholesterol lowering for primary prevention of coronary heart disease. Lancet 1995;346: 1467-71.
11. Ramsay L, Haq I, Jackson P, et al. Targeting lipid-lowering drug therapy for primary prevention of coronary disease: an updated Sheffield table. Lancet 1996;348:387-8.
12. Wallis E, Ramsay L, Haq I, et al. Coronary and cardiovascular risk estimation for primary prevention: validation of a new Sheffield table in the 1995 Scottish health survey population. BMJ 2000;320:671-6.
13. British Cardiac Society, British Hyperlipidaemia Association, British Hypertension Society, British Diabetic Association. Joint British recommendations on prevention of coronary heart disease in clinical practice: summary. BMJ 2000;320:705-8.
14. Jackson R. Updated New Zealand cardiovascular disease risk-benefit prediction guide. BMJ 2000;320:709-10.
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Autres tables et scores
16. Pocock S, McCormack V, Gueyffier F, et al, on behalf of the INDANA project steering committee. A score for predicting risk of death from cardiovascular disease in adults with raised blood pressure, based on individual patient data from randomised controlled trials BMJ 2001;323:75-81.
17. Groupe de recherche en prévention cardio-vasculaire (GRPCV) UCL. Prise en charge du risque cardio-vasculai-re par le médecin généraliste. cvprevention@epid.ucl.ac.be
Autres références
18. Ramsay L, Williams B, Johnston D, et al. British Hypertension Society guidelines for hypertension management 1999: summary. BMJ 1999;319:630-5.
19. Levington S, Clarke R, Qizibach N, et al. for the Prospective Studies Collaboration. Age-specific relevance of usual blood pressure to vascular mortality: a meta-analy-sis of individual data for one million adults in 61 prospective studies. Lancet 2002;360: 1903-13.
20. Haq I, Ramsay L, Jackson P, et al. Prediction of coronary risk for primary prevention of coronary heart disease: comparison of methods. Q J Med 1999;92:379-85.
21. Chobanian A, Bakris G, Black H, et al. The Seventh Report of the Joint National Committee on prevention, detection, evaluation, and treatment of high blood pressure. JAMA 2003;289:2560-72.
22. Townsend A, Hunt K, Wyke S. Managing multiple morbidity in mid-life: a qualitative study of attitudes to drug use. BMJ 2003;327:837-42.
23. Brindle P, Emberson J, Lampe F et al. Predictive accuracy of the Framingham coronary risk score in British men: prospective cohort study. BMJ 2003;327:1267.
24. Hurst R, Lee R. Increased incidence of coronary atherosclerosis in type 2 diabetes mellitus: mechanisms and management. Ann Intern Med 2003;139:824-34.
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