Revue d'Evidence-Based Medicine



Chirurgie versus traitement conservateur prolongé en cas de sciatique



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 5 Page 76 - 77

Professions de santé


Analyse de
Peul WC, van Houwelingen HC, van den Hout WB, et al; Leiden -The Hague Spine Intervention Prognostic Study Group. Surgery versus prolonged conservative treatment for sciatica. N Engl J Med 2007;356:2245-56.


Question clinique
Chez des patients présentant une sciatique depuis au moins six semaines suite à une hernie discale lombaire, quelle est l’efficacité d’une intervention chirurgicale versus traitement conservateur prolongé ?


Conclusion
Cette étude conclut à l’absence de différence entre un traitement chirurgical ou conservateur d’une sciatique sur hernie discale en termes de douleur ou de capacités fonctionnelles à un an. Les patients souffrant d’une sciatique sans déficit moteur qui ne peuvent supporter la douleur, désirent raccourcir la période douloureuse ou estiment l’évolution normale vers un rétablissement trop lente peuvent choisir de se faire opérer. Les patients qui supportent la douleur peuvent renoncer à la chirurgie sans hypothéquer leurs chances de rétablissement total après 12 mois. Les deux stratégies offrant des résultats semblables à un an, la chirurgie reste une option pour des patients bien informés.


 

Résumé

  

Contexte

Une sciatique se caractérise par une douleur irradiée dans un dermatome d’un ou des deux membres inférieurs. La cause principale d’une sciatique unilatérale est une hernie discale lombaire, principalement aux niveaux L5-S1 et L4-L5. L’évolution naturelle d’une sciatique est favorable et les plaintes disparaissent après 8 semaines chez la plupart des patients. Un consensus international propose un traitement conservateur avant d’envisager une intervention chirurgicale. Le timing optimal de cette opération n’est cependant pas fixé.

 

Population étudiée

  • 283 patients, âgés de 18 à 65 ans; > 90% d’hommes
  • hernie discale documentée par une résonance magnétique nucléaire et diagnostic clinique d’un syndrome radiculaire lombosacré présent depuis 6 à 12 semaines (moyenne de 9,5)
  • critères d’exclusion : récidive des douleurs dans l’année, syndrome de la queue de cheval, paralysie ou force insuffisante pour se mobiliser contre la force de la pesanteur, anamnèse chirurgicale de la colonne, sténose canalaire, spondylolisthésis, grossesse, pathologie lourde présente.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, multicentrique, ouverte, réalisée dans 9 hôpitaux
  • groupe avec intervention précoce (n=141) et groupe avec un traitement conservateur (n=142)
  • chirurgie : dans les deux semaines après inclusion avec un protocole standardisé : microdiscectomie unilatérale puis série d’exercices supervisés par un kinésithérapeute
  • traitement conservateur : information quant au pronostic favorable, incitation à la reprise des activités quotidiennes, antalgie selon les guides de pratique, éventuelle référence à un kinésithérapeute
  • chirurgie plus précoce en cas de douleur ne cédant pas sous traitement ou en cas de déficit neurologique progressif.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : handicap fonctionnel, intensité de la douleur lombaire et irradiée au membre inférieur, rétablissement global observé ; évalués par le Roland Disability Questionnaire (RDQ) pour la sciatique, une échelle visuelle analogique (EVA) sur 100 mm pour la lombalgie et la douleur irradiée et une autoévaluation sur une échelle de Likert pour la perception de récupération ; évaluation des scores moyens après 2, 4, 8, 12, 26, 38 et 52 semaines et de l’aire sous la courbe (AUC) pour les résultats sur l’ensemble du suivi
  • critères secondaires : examen neurologique, qualité de vie (SF-36) et autres scores spécifiques
  • analyse en intention de traiter, sans insu pour les évaluateurs.

 

Résultats

  • groupe chirurgie : 89% des patients opérés et 3,2% de ré-interventions
  • groupe traitement conservateur : 39% opérés et 1,8% de ré-interventions
  • rétablissement (complet ou presque) de 95% à 52 semaines
  • critères primaires 
    • pas de différence significative entre les deux groupes à 52 semaines pour les 4 critères
    • pas de différence pour le score au RDQ (p=0,13) sur l’ensemble de l’étude (AUC)
    • pour le score moyen pour la douleur dans les membres inférieurs, sur l’ensemble de l’étude : différence significative en faveur de la chirurgie (p<0,001), liée à un soulagement plus précoce
    • proportion d’une perception de rétablissement plus importante dans le groupe opéré (HR 1,97 ; IC à 95% de 1,72 à 2,22 ; p<0,001) liée à un rétablissement plus rapide (temps moyen de 4 semaines (IC à 95% de 3,7 à 4,4) dans le groupe opéré versus 12,1 (9,5 à 14,9) pour le groupe traitement conservateur
  • critères secondaires: pas de différence significative entre les deux groupes à 52 semaines
  • effets indésirables: complications mineures post chirurgie : 1,6%

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats sont semblables après un an dans le groupe option chirurgicale et dans le groupe choix d’un traitement conservateur. Un soulagement plus précoce de la douleur et une perception d’un rétablissement plus rapide sont cependant observés dans le groupe option chirurgicale.

 

Financement

Netherlands Organisation for Health Research and Development et la Hoelen Foundation.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude randomisée, non en aveugle, présente des points forts. Les critères d’inclusion sont objectifs et précis, vérifiés une heure avant l’opération éventuelle. La randomisation est correcte et les groupes semblables pour leurs caractéristiques. L’intervention chirurgicale est standardisée au contraire du traitement conservateur limité à une information, des analgésiques et une mobilisation sans repos au lit ni infiltration. Une intervention en insu dans l’indication abordée n’est presque pas concevable et éthiquement peu défendable. Les résultats sont accompagnés d’intervalles de confiance mais une valeur p n’est mentionnée que dans le résumé, pour ces mêmes données.

Une permutation importante entre les groupes pose problème : 89% d’opérés dans le groupe chirurgie et 29% dans le groupe traitement conservateur, ce qui affaiblit la validité de cette étude randomisée. Une randomisation vise à constituer des bras d’études (intervention et contrôle) semblables pour tous les facteurs non connus qui pourraient interférer avec le résultat. Seule l’intervention étudiée doit provoquer l’éventuelle différence observée entre les groupes. L’absence effective de l’intervention pour plusieurs sujets et la réalisation de cette intervention chez plusieurs patients du groupe contrôle pose problème pour montrer une différence suite à l’intervention, en analyse en intention de traiter. Faire fi de la randomisation en analysant les résultats par protocole, opérés versus non opérés, peut permettre de mieux mettre des différences en évidence mais fait aussi perdre la validité interne en raison de l’absence de certitude d’une comparaison de deux groupes initialement identiques. Le suivi est court dans cette étude, ce qui ne permet pas d’évaluer correctement un certain nombre de complications tardives : récidive de hernie potentielle pour un traitement conservateur ou chirurgical, évolution de la lombalgie ou apparition d’une instabilité après chirurgie.

 

Mise en perspective des résultats

Le timing de la chirurgie peut être important. Différentes études ont montré que des interventions plus tardives n’apportent pas de bénéfice net en termes de restitution de la force et qu’un meilleur résultat est à attendre en cas d’intervention précoce en présence d’un déficit moteur (1,2). Cette étude-ci vise une intervention dans les 2,2 semaines après inclusion. L’avantage principal d’une chirurgie précoce est précisément un effet plus rapide sur la douleur irradiée au membre inférieur : le soulagement est deux fois plus rapide en cas d’opération. Il est donc possible que les patients initialement traités de manière conservatrice tirent moins de bénéfice d’une intervention chirurgicale (parce que plus tardive) ce qui entraîne un maintien de la différence entre les groupes mais uniquement en termes de douleur irradiée au membre inférieur. D’autres études confirment cette réflexion mais aussi la disparition de cette différence d’efficacité en fonction du temps (3-6). Une sciatique occasionne des coûts directs et indirects élevés, plus par manque de productivité que par nécessité de traitements médicaux. Plus d’un million et demi de cures chirurgicales de hernie discale sont pratiquées chaque année, avec de fortes variations régionales. Nous manquons cependant d’études montrant de manière convaincante un rapport coût-efficacité favorable d’une chirurgie précoce. La décision de franchir le pas vers une intervention chirurgicale en cas de sciatique provoquée par une hernie discale dépend principalement des plaintes subjectives du patient. Les patients opteront plus rapidement pour une opération en cas de douleur sciatique non contrôlable, s’ils estiment la durée de l’évolution naturelle inacceptable ou désirent raccourcir le délai de rétablissement.

 

Conclusion

Cette étude conclut à l’absence de différence entre un traitement chirurgical ou conservateur d’une sciatique sur hernie discale en termes de douleur ou de capacités fonctionnelles à un an.

Les patients souffrant d’une sciatique sans déficit moteur qui ne peuvent supporter la douleur, désirent raccourcir la période douloureuse ou estiment l’évolution normale vers un rétablissement trop lente peuvent choisir de se faire opérer. Les patients qui supportent la douleur peuvent renoncer à la chirurgie sans hypothéquer leurs chances de rétablissement total après 12 mois. Les deux stratégies offrant des résultats semblables à un an, la chirurgie reste une option pour des patients bien informés.

 

 

Références

  1. Postacchini F, Giannicola G, Cinotti G. Recovery of motor deficits after microdiscectomy for lumbar disc herniation. J Bone Joint Surg Br 2002;84:1040-5.
  2. Aono H, Iwasaki M, Ohwada T, et al. Surgical outcome of drop foot caused by degenerative lumbar diseases. Spine 2007;32:E262-6.
  3. Weinstein JN, Tosteson TD, Lurie JD, et al. Surgical vs nonoperative treatment for lumbar disk herniation: the Spine Patient Outcomes Research Trial (SPORT): a randomized trial. JAMA 2006;296:2441-50.
  4. Osterman H, Seitsalo S, Karppinen J, Malmivaara A. Effectiveness of microdiscectomy for lumbar disc herniation: a randomized controlled trial with 2 years of follow-up. Spine 2006;31:2409-14.
  5. Thomas KC, Fisher CG, Boyd M, et al. Outcome evaluation of surgical and nonsurgical management of lumbar disc protrusion causing radiculopathy. Spine 2007;32:1414-22.
  6. Gibson JN, Waddell G. Surgical interventions for lumbar disc prolapse. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2.
  7. Hansson E, Hansson T. The cost-utility of lumbar disc herniation surgery. Eur Spine J 2007;16:329-37.
Chirurgie versus traitement conservateur prolongé en cas de sciatique

Auteurs

de Geeter K.
Dienst Orthopedie, Sint-Maria Ziekenhuis, Halle
COI :

Mots-clés

chirurgie, sciatique

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