Revue d'Evidence-Based Medicine
Expérience individuelle et expérimentation scientifique
Pourquoi avons-nous si souvent l’impression qu’un traitement médicamenteux précis présente une efficacité clinique significative tandis que des études randomisées et en double aveugle ne montrent pas d’efficacité ou une efficacité faible ? Une mise en doute de notre expertise clinique sur base d’une expérimentation limitée nous fâche. Nous avions conjuré nos incertitudes et notre impuissance par une foi fortement investie dans un médicament actif. Pas facile donc d’en faire notre deuil.
Depuis les temps anciens, existe une dualité entre croyance en une vérité scientifique cachée derrière le réel et une croyance dans ce qui est observable. L’expérience donne, de fait, l’information exacte, mais c’est l’interprétation et la généralisation qui tournent mal. L’expérience est anecdotique, source d’hypothèse et essentielle avant d’initier une expérimentation de manière sensée. Cette expérimentation est nécessaire pour distinguer l’apport spécifique de l’intervention de celui de divers autres facteurs qui peuvent influencer les résultats. Ce sont ces facteurs d’influence (pris en compte dans une intervention versus placebo ou filtrés par la randomisation) qui compliquent et troublent l’interprétation de l’expérience personnelle.
Les antidépresseurs en exemple
Dans une étude d’intervention, une amélioration est observée dans 40% des cas sous antidépresseur évalué versus 30% dans le groupe placebo, soit un effet propre de l’antidépresseur pour 10% des patients (NST=10). Que signifie ce résultat pour la pratique ? Dans notre pratique clinique, lors de la prescription de cet antidépresseur à tous nos patients dépressifs correspondants aux critères d’inclusion dans l’étude, une amélioration sera observée pour 40% d’entre eux (NST=2,5), mais nous oublions bien vite l’effet placebo que nous ne pouvons, dans la pratique, pas dissocier de l’effet réel du médicament (10% de personnes améliorées). Nous surestimons donc l’effet thérapeutique de nos interventions actives porté par le progrès technologique couronné de succès et rempli de promesses (1).
Les raisons de l’efficacité
En tant que cliniciens, nous sommes surtout pragmatiques : si un traitement « marche », quelle qu’en soit l’explication, nous sommes dans le bon. Il existe cependant des raisons de rechercher une optimalisation du traitement. Beaucoup de médicaments sont onéreux, pour le patient comme pour la société. Ils ont des effets indésirables potentiels, sévères ou non. Ils sont une charge pour l’environnement. Une meilleure prise en charge du patient lui est parfois sacrifiée.
Selon Kaptchuk et coll. (2), les patients peuvent se sentir mieux lors d’une étude clinique pour trois raisons :
1) le fait d’être sélectionné pour participer à une étude, avec des examens de suivi approfondis réguliers, associé à une guérison spontanée (effet Hawthorne)
2) le traitement (placebo) médicamenteux ou non
3) l’interaction soutenante entre patient et médecin.
Kaptchuk a comparé ces différentes composantes dans une RCT incluant des patients avec colon spastique, montrant des différences significatives (p<0,001) : amélioration significative pour 62% des patients avec traitement de soutien du médecin + médicament placebo, pour 44% des patients sous placebo et pour 28% de ceux restés sur une liste d’attente. Cette étude illustre la dimension multifactorielle d’un effet placebo et qu’un placebo n’est pas synonyme d’absence de traitement. Tant les circonstances du contact que les caractéristiques du médecin et du patient jouent un rôle, comme les propres caractéristiques du traitement administré. La littérature utilise les termes d’effets de guérison contextuels (1).
Les effets contextuels
Une stratégie doit tenir compte de différents facteurs : la sévérité de l’affection, le risque de ne pas traiter, le bénéfice attendu versus effets indésirables, l’efficacité d’alternatives. Les préférences du patient, ses capacités de compréhension, nos propres angoisses de soignants, les circonstances, les conflits d’intérêt sont tout aussi déterminants pour une prise en charge individualisée. Il est important que nous soyons conscients que la prescription du bon médicament n’est qu’une partie d’une intervention complexe. Un effet placebo petit ou grand a un rôle constant. Si nous voulons employer adéquatement ces effets contextuels dans la pratique, il nous faudra cibler une relation patient-médecin optimale, dont les items importants sont : respect, empathie, proximité, rituels précis, cadrage sur l’affection, concertation (3). La prescription d’un comprimé placebo sans une interaction patient-médecin adéquate a beaucoup moins d’effet et comporte le risque que le patient ne se sente pas respecté ni pris au sérieux. Le « pouvoir de guérison » des médecins et patients, refoulé par le progrès technologique, doit reprendre sa place. Les études cliniques montrent la valeur propre du médicament actif par rapport aux effets contextuels. Ces deux éléments doivent être utilisés dans leur entièreté et en bon équilibre.
Se tenir au courant des preuves scientifiques comme investir dans une relation patient-médecin partagée, stimulante et individualisée sont deux conditions nécessaires à l’optimalisation de notre art de guérir.
Références
- Miller FG, Kaptchuk TJ. The power of context: reconceptualizing the placebo effect. J R Soc Med 2008;101:222-5.
- Kaptchuk TJ, Kelley JM, Conboy LA, et al. Components of placebo effect: randomised controlled trial in patients with irritable bowel syndrome. BMJ 2008;336:999-1003.
- Churchill LR, Schenck D. Healing skills for medical practice. Ann Intern Med 2008;149:720-4.
Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :
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