Revue d'Evidence-Based Medicine
Limiter la prescription d’antibiotiques en mesurant la CRP et par un apprentissage de la communication ?
Contexte
La détermination de la CRP en pratique de médecine générale pourrait contribuer à exclure une pneumonie en cas d’infection des voies respiratoires inférieures (1), ce qui permettrait de mieux cibler la prescription d’antibiotiques. Cette prescription est influencée par une incertitude diagnostique mais aussi par des facteurs non médicaux. Une prise en compte plus importante de la perspective du patient et une amélioration de la communication médecin-patient pourraient renforcer les bases des décisions médicales (et diminuer la prescription d’antibiotiques). Les preuves étaient cependant insuffisantes pour montrer que la détermination immédiate de la CRP ou qu’une meilleure communication diminue la prescription d’antibiotiques en cas d’infection des voies respiratoires inférieures sans mettre la sécurité en péril.
Résumé
Population étudiée
- 431 adultes d’un âge moyen d’environ 50 ans, recrutés par 40 médecins de famille dans 20 pratiques de médecine générale aux Pays-Bas
- critères d’inclusion : infection probable des voies respiratoires inférieures (VRI) avec toux aiguë d’une durée de moins de 4 semaines, au moins un signe focal d’infection des VRI (dyspnée, sibilances, douleur thoracique ou auscultation anormale) ; au moins un signe clinique général de maladie (t°>38°, sudations, céphalées, myalgies, sensation d’être malade)
- pas de mention de critères d’exclusion.
Protocole d’étude
- étude contrôlée avec randomisation en grappes (tous les médecins et les patients d’une même pratique avec la même intervention) et protocole factoriel (2 x 2)
- intervention : test CRP rapide pratiqué par le médecin généraliste (n = 10 médecins, 110 patients) ou apprentissage de 2 heures à l’amélioration des aptitudes de communication du médecin (n = 10 médecins, 84 patients) ou une association de ces 2 interventions (n = 10 médecins, 117 patients)
- contrôle : soins habituels (n = 10 médecins, 120 patients).
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : nombre de prescriptions d’antibiotiques durant la première consultation (consultation index)
- critères secondaires : nombre de prescriptions d’antibiotiques, nombre de reconsultations, guérison clinique, satisfaction et reprise des activités du patient dans les 28 jours post consultation index
- suivi par le dossier médical et via un journalier complété par le patient durant 28 jours.
Résultats
- journalier disponible pour 90% des patients
- prescriptions d’antibiotiques : moins avec le test CRP rapide (31%) qu’avec les soins habituels (53%, p=0,02) et avec apprentissage à la communication (27%) versus soins courants (54%, p<0,01) ; pas d’interaction statistiquement significative entre les 2 interventions
- pas de différence statistiquement significative pour le nombre de prescriptions antibiotiques, le nombre de reconsultations, la guérison clinique, la satisfaction et la reprise des activités du patient dans les 28 jours post consultation index.
Conclusion des auteurs
- Les auteurs concluent que le recours à une mesure immédiate de la CRP comme l’apprentissage du médecin généraliste à la communication entraînent une diminution significative de la prescription d’antibiotiques pour des infections des voies respiratoires inférieures sans mettre en péril la guérison clinique et la satisfaction du patient. L’association des deux interventions est probablement nécessaire pour atteindre la réduction optimale des prescriptions d’antibiotiques lors de cette affection très fréquente en première ligne de soins.
Financement
Nederlandse Organisatie voor Gezondheidsonderzoek en Ontwikkeling.
Conflits d’intérêt
Aucun n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude repose sur un protocole rigoureusement élaboré. Le nombre de patients à inclure est prédéterminé sur base d’une puissance de 80% pour montrer une diminution du nombre de prescriptions d’antibiotiques de 80% à 60%. Les chercheurs ont opté pour une randomisation par grappes, avec une même intervention pour tous les médecins et tous les patients d’une même pratique de médecine générale, pour éviter une influence réciproque entre médecins et patients. Ce type de randomisation représente un risque de biais de recrutement. Il est possible que les médecins n’aient invité que les patients qu’ils jugeaient susceptibles d’y être favorables à participer à l’étude. Les différences de comportement de prescriptions pourraient être liées non uniquement à l’intervention elle-même mais aussi à une sélection de la population de recherche. Les caractéristiques de base sont cependant semblables pour les différents groupes et une analyse de sensibilité prenant en compte les caractéristiques personnelles des patients inclus et le case-mix ne modifie pas les résultats. En outre, l’évaluation d’un sous-groupe de 14 médecins participants montre une absence de différence de comportement de prescription pour des patients inclus dans l’étude versus patients non inclus. Les auteurs n’excluent cependant pas que des variables non mesurées aient influencé les résultats.
Interprétation des résultats
Les deux stratégies semblent assez efficaces en termes de réduction du nombre de prescriptions d’antibiotiques. Notons cependant qu’un tiers des antibiotiques prescrits n’étaient pas recommandés par les guides de pratique nationaux (NHG-standaard) pour le traitement des infections des voies respiratoires inférieures. Les chercheurs examinent également les autres effets possibles de l’intervention. Ils observent que les patients sont aussi rapidement guéris et aussi satisfaits dans le groupe intervention. Ils n’envisagent pas de diminuer ni d’augmenter, dans le futur, le nombre de consultations. Cet aspect est important, particulièrement dans le groupe détermination de la CRP. Il n’est en effet pas impensable que les patients viennent consulter non parce qu’ils se sentent très malades mais plutôt « pour se faire tester ». De cette façon, une affection banale s’en trouve médicalisée. Les auteurs attribuent le succès de l’intervention à une gestion par deux abords : l’abord médical en premier lieu (augmentation de la certitude diagnostique) et, d’autre part, la voie de la communication (prise en compte des préoccupations du patient). Les interventions étant efficaces indépendamment l’une de l’autre, ceci ne peut évidemment pas représenter la seule explication. Une sélection (dissimulée) de la population d’étude (voir considérations méthodologiques) peut également être partiellement responsable de l’effet observé.
Autres études
Une synthèse méthodique (2) évaluant la valeur diagnostique de la CRP dans le diagnostic de la pneumonie communautaire (CAP pour Community Acquired Pneumonia) conclut à l’utilité de ce test pour exclure une CAP dans un contexte de risque a priori de pneumonie d’au moins 10%, comme dans un service d’urgences hospitalier. En pratique de médecine générale cependant, la détermination de la CRP modifiera la probabilité de présence d’une CAP de manière trop peu importante pour influencer la prise en charge (3). Nous avons récemment analysé dans Minerva une méta-analyse montrant l’inutilité de la CRP pour exclure une infection bactérienne chez l’enfant (4). Par rapport à d’autres études, l’efficacité de l’intervention concernant la communication est étonnamment grande sur le comportement de prescription. Une autre recherche néerlandaise (5) évaluant une intervention intensive multifacettaire (sessions d’éducation en groupe, apprentissage à la communication, feed-back, matériel éducatif pour les patients, éducation des assistants de pratique) n’obtenait qu’une différence de 14% entre le groupe intervention et le groupe contrôle. Les résultats d’autres études concernant l’efficacité de la détermination de la CRP sur le nombre de prescriptions d’antibiotiques sont contradictoires : la mesure de la CRP chez des patients souffrant de sinusite permettait de diminuer de 23% le nombre de prescriptions d’antibiotiques (6). Par contre, une étude d’observation incluant un groupe important de médecins généralistes en Suède montrait que la détermination de la CRP en consultation, versus non mesure, ne diminuait que de quelques pour cent la prescription d’antibiotiques, et qu’une valeur plus élevée de CRP en cas de diagnostic d’affection « virale » entraînait davantage de prescriptions d’antibiotiques (7). La présente étude ne nous permet pas de préciser la durée de l’effet d’une séance unique d’apprentissage à la communication. Un même effet favorable est observé durant la deuxième année d’étude versus la première. Une autre étude montre que l’effet ne disparaît pas immédiatement (8).
Pour la pratique
Cette étude montre que lors d’une suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures, tant la détermination de la CRP que l’amélioration de la communication peut faire diminuer la prescription d’antibiotiques. Les deux interventions ne nécessitent qu’un apprentissage limité (30 minutes pour la mesure de la CRP et une session de 2 heures pour l’apprentissage à la communication) et n’allongent pas le temps de consultation, ce qui en favorise la praticabilité. Une recherche à plus grande échelle, incluant davantage de médecins et de patients, reste nécessaire pour confirmer ces résultats étonnamment favorables, s’il est sûr d’exclure une pneumonie sur base de la mesure de la CRP, et l’ampleur du risque de ne pas administrer, à tort, d’antibiotique.
Conclusion
Cette étude montre qu’en cas de suspicion clinique d’infection des voies respiratoires inférieures, tant la détermination de la CRP qu’un apprentissage à l’amélioration de la communication peuvent faire diminuer le nombre de prescriptions d’antibiotiques sans mettre en danger la sécurité. Ces deux interventions nécessitent une courte formation et n’allongent pas le temps de consultation mais leur efficacité devrait être confirmée par des études de terrain incluant davantage de médecins et de patients.
Références
- Coenen S. Le diagnostic de pneumonie. MinervaF 2004;3(2):24-6.
- Falk G, Fahey T. C-reactive protein and community-acquired pneumonia in ambulatory care: systematic review of diagnostic accuracy studies. Fam Pract 2009; 26:10-21.
- van der Meer V, Neven AK, van den Broek PJ, Assendelft WJ. Diagnostic value of C reactive protein in infections of the lower respiratory tract: systematic review. BMJ 2005;331:26-9.
- De Sutter A. Utilité d’une CRP chez des enfants présentant de la fièvre ? MinervaF 2009;8(8):106-7.
- Welschen I, Kuyvenhoven MM, Hoes AW, Verheij TJM. Effectiveness of a multiple intervention to reduce antibiotic prescribing for respiratory tract symptoms in primary care: randomised controlled trial. BMJ 2004;329:431-3.
- Bjerrum L, Garhn-Hansen B, Munck AP. C-reactive protein measurement in general practice may lead to lower antibiotic prescribing for sinusitis. Br J Gen Pract 2004;54:659-62.
- André M, Schwan A, Odenholt I; Swedish Study Group on Antibiotic Use. The use of CRP tests in patients with respiratory tract infections in primary care can be questioned. Scand J Infect Dis 2004;36:192-7.
- Arnold SR, Straus SE. Interventions to improve antibiotic prescribing practices in ambulatory care. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 4.
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